Cela faisait désormais un mois que j'habitais à Poudlard et que je partageais ma vie avec Mika. Enfin ma vie... Ma chambre, plutôt. C'était... Oui. Bref. J'avais finalement réussi à m'habituer autant à sa présence qu'à sa personnalité qui, je l'admettais maintenant, m'apaisait, paradoxalement à son débit de parole d'ailleurs. Ainsi, comme tous les soirs, m'étais-je endormi paisiblement, comme jamais je ne m'étais endormi en Asie à bien y réfléchir. Ici, à Poudlard, je dormais bien, d'un sommeil de plomb. Quand bien même mon devoir ne s'arrêtait pas, quand bien même je me sentais limité, accablé par mon rôle au sein des Jeon, je dormais bien. Si bien, d'ailleurs, que je n'avais rien entendu de ce qu'il se passait en dehors de notre chambre. Seul le contact de Mika sur moi me poussa au réveil.

Ouvrant un oeil, puis l'autre, je fronçai doucement les sourcils en tentant de l'écouter. Il se passait quelque chose ? Quoi donc ? Je ne le savais pas, mais ce que je n'ignorais pas ici était que Mika avait peur. Et que sa peur, à défaut de me contaminer, ne me plaisait pas. De quoi avait-il peur ? Un cri attira mon attention alors que le jeune sorcier me tirait tout bonnement du lit. Que se passait-il ? Le laissant me guider, dans mon simple pyjama gris, jusqu'à la fenêtre, son balai dans sa main, je tentai désespérément de connecter mes neurones encore endormis lorsqu'un grand bruit enfonça la porte de notre chambre, me faisant sursauter. Sans attendre, j'attrapai ma baguette dès lors qu'il lâcha mon poignet. S'il y avait une chose que je connaissais, c'était la façon de se défendre. Contre quoi ? Je ne le savais pas et... Et Mika était déjà dehors.
Défendre notre chambre, notre maison ou ne pas laisser Mika seul... Le choix fut rapide. Et si j'hésitai quelques secondes à quitter la terre ferme de notre dortoir, le nouveau fracas et la terreur qu'il me semblait ressentir chez mon ami me poussa à l'action. Attrapant sa main, j'enfourchai alors son balai, derrière lui, passant mes mains autour de sa taille pour me serrer contre lui, oubliant toute distance de respect tant je n'étais pas à l'aise sur un balai. Au moins lui faisais-je confiance... Il était joueur professionnel. Il ne nous ferait pas tomber.

- On va où tu veux. Soufflai-je alors, l'air frais de la nuit m'obligeant au réveil.

De toutes les manières, je n'avais aucune idée de l'endroit où nous pourrions nous réfugier à cette heure-ci de la nuit.

Arrivé dans un endroit de Poudlard que je ne connaissais pas encore, je suivis le sorcier sans aucune méfiance. Mika avait gagné ma confiance, c’était certain. Et il avait besoin de moi. Enfin. De moi ou de n’importe qui d’autre sûrement, mais puisque j’étais là, j’allais faire le nécessaire. Alors entrai-je dans ce qui me semblait être des vestiaires, me laissant entraîné par le jeune Poufsouffle avant qu’il ne laisse enfin sortir Rainy, tout aussi apeuré que lui de cette situation.

Observant lapin et sorcier alors que les deux me semblaient presque avoir la même réaction, je laissai Mika me toucher, prendre ma main, sans reculer. Je n’étais toujours pas à l’aise avec cela. Loin de là. Mais… Il en avait besoin. Même si le sentir contre moi soudainement me figea bien malgré moi sur place. Je ne savais plus vraiment comment agir, là… Mais… Il s’excusa, tremblant de toute part. Et sa voix autant que sa posture me fendirent le cœur. Je… Je n’aimais pas le voir comme ça.
Le laissant s’accrocher à moi sans que je ne bouge vraiment, je tentai de réfléchir, de savoir ce qu’il serait le plus approprié de faire. Ce contact ne m’aidait pas à garder les idées claires. Et sa voix qui s’élevait de nouveau… Non plus. Il avait peur. Bien trop peur. Et il s’inquiétait…

Son inquiétude me toucha, peut être d’ailleurs fut-ce cela qui me fit bouger… Levant les bras, je les enroulai autour de lui pour le serrer contre moi, fortement. Sourcils froncés, ma main se glissa dans ses cheveux pour garder sa tête contre mon torse.

- Il ne t’arrivera rien. Lui soufflai-je finalement, bougeant lentement ma main dans son dos comme pour tenter de le calmer, peu convaincu que cela soit utile pour dire la vérité. Je suis là.

Cela non plus, je n’étais pas convaincu que cela fonctionnerait. Oui. J’étais là. Mais ce n’était certainement pas de cela dont il avait besoin. Mais c’était la seule chose que je pouvais alors lui apporter.

- Calme toi…

C’était ce que je désirais le plus. Son soleil s’était caché et… Et j’admettais que cela me faisait bien plus de peine que je ne l’aurais cru. Mika sans son soleil n’était pas Mika… Et c’était Mika que je voulais retrouver.

- Les professeurs vont gérer là-bas. Tentai-je de rassurer. Je suis sûr que tout ira bien. On va… J’observai rapidement autour de moi. On va rester ici jusqu’à ce que ça se calme, d’accord ? Je reste avec toi…

Je n’avais, de toutes les manières, l’envie d’aller nulle part ailleurs. Pas tant qu’il avait peur. Pas tant qu’il avait froid. Pas tant qu’il semblait si fragile.
Je n'étais, certes, pas réellement rassuré. Je n'avais rien compris, de ce qu'il se passait, du mal qui avait frappé nos dortoirs mais rien n'avait réellement d'importance à cet instant que l'état de mon colocataire devenu ami.

Ce contact était étrange. A vrai dire, je n’avais jamais eu de tel contact avec la moindre personne. Est-ce que cela me dérangeait ? Oui… Et non. Enfin… Je n’en avais pas l’habitude mais il en avait tant besoin que… Je n’avais même pas l’idée de me séparer de lui.

- Je sais. Repris-je à sa suite.

Je ne doutais pas de son courage, loin de là. Et il y avait surtout un mais qui ne fut pas des plus difficile à comprendre. Pas forcément très rationnelle, certes, mais pas illogique pour autant. Et quand bien même cela ne l’aurait pas été… Je m’en moquais. A cet instant, ce n’était pas la chose le plus importante. Nous aurions tout le loisir, une fois qu’il serait calmé et rassuré, de réfléchir. Ainsi le laissai-je se serrer d’autant contre moi. Ma main enfouie dans ses cheveux n’avait pas bougé. Solide comme je pouvais rarement le paraître, je restai calme. Quand bien même les battements de mon cœur témoignaient de la tension interne que tout cela avait fait naître en moi.

- C’est normal.

Il n’avait pas à me remercier. Il était un ami. L’un des premier qui avait fait preuve de bienveillance gratuite à mon égard. Ce n’était presque qu’un juste retour des choses que de le soutenir lorsqu’il en avait besoin, rien de plus.

Enfin, son visage se décolla de mon corps, me faisant baisser les yeux pour croiser son regard et me stopper un instant. Il était… Je préférai ne pas terminer mes pensées, me concentrant sur son mouvement de recul alors que le froid des vestiaires me frappait soudainement.

- Ne t’excuse pas. Soufflai-je alors doucement.

Que ce soit pour cette « fuite », pour ce contact, je refusais qu’il s’excuse… Mais le lui faire comprendre était une autre histoire. Alors je l’observai. Sans bouger, vérifiant que Rainy ne s’aventure pas trop loin, je vis Mika faire tomber le matelas et s’y installer, recroquevillé.
Resté debout, je n’avais pas bougé d’un iota. Pour dire toute la vérité, je ne savais pas réellement quoi faire ou quoi dire pour le rassurer d’avantage, pour lui permettre d’aller mieux. Et il me fallut de longues minutes de réflexion pour, enfin, bouger. Avançant à travers le vestiaire, je finis par trouver une cape, sûrement oubliée par son propriétaire, que j’attrapai pour rejoindre, Rainy pris sur le passage, Mika. Doucement, je me glissai à côté de lui, le couvrant de la cape et surtout passant mon bras autour de ses épaules pour l’attirer à moi. Ce geste était difficile. Quand bien même je tentais de ne rien laisser paraître, mon corps entier se tendait. Mais il en avait besoin. Il devait avoir froid et… Sa peur… Je ne voulais plus la voir dans son regard.

- Lorsque j’étais en Corée, commençai-je alors en serrant le jeune homme contre moi, et que je n’allais pas bien. Je me réfugiais régulièrement dans le jardin de mes parents. Au fond, il y a un pangji. C’est… Un bassin rectangulaire. Je m’asseyais le plus loin possible de la maison, caché de la vue de tout le monde, et j’observai l’eau. Ça me calmait.

C’était une histoire inutile. Mais je n’avais, à vrai dire, que cela pour lui faire penser à autre chose. Ma vie n’était pas intéressante, sans aventure… Alors… Je faisais seulement avec ce que j’avais.

Ne sachant pas quoi faire, j’avais ainsi tenté de lui raconter une sorte d’histoire qui n’en était pas vraiment une, juste… Une anecdote, tout au plus. Mais une anecdote qui sembla fonctionner alors qu’il réfléchissait à ce qui pouvait faire office de bassin ici. Bien. C’était le but. Qu’il réfléchisse à autre chose, qu’il me réponde et qu’il pense à tout sauf à ce qu’il se passait entre les murs du château.

- Cela ferait un grand bassin, tu ne penses pas ? Relançai-je ainsi avant qu’il ne me pose une question.

A quoi ressemblait le jardin de mes parents… Vaste question tant je le connaissais pour m’y être réfugié plus d’une fois.

- Il est grand oui. Et boisé. Quand on sort de la maison, il y a une sorte de terrasse même si elle ne sert pas. Puis il y a des escaliers qui descendent vers un petit pavillon ouvert rouge. De là, le jardin s’étend encore et est dégagé. Tous les arbres se trouvent derrière le pangji. C’est contre eux que je m’installe pour observer l’eau, face à la maison. Et… A droite, quand tu es assis autour du bassin, tu peux voir un raton laveur qui se cache. Ou des écureuils aussi.

J’avais l’impression de parler pour ne rien dire. Peu loquace habituellement, ma voix n’étant pas réellement celle qui était importante chez moi, je n’avais jamais pris l’habitude de m’exprimer, et encore moins de faire des monologues. Mais je le faisais. Malgré tout.
Et ma main s’était mise, doucement, à caresser son bras, comme pour le réchauffer, autant que pour le rassurer, de manière automatique. Elle ne se stoppa que lorsque sa question fut posée. En avais-je besoin ici ?

Y songeant un instant, je soupirai alors doucement avant qu’un très, très léger sourire n’étire le coin droit de mes lèvres, presque tendrement.

- Non. Admis-je. Je pensais que j’en aurais besoin. Au moins un peu. Mais… Je crois que c’est toi mon pangji depuis que je suis ici. Tu as été la première personne à m’accueillir comme tu l’as fait. Et même si tu parles toujours aussi vite et que je ne comprends pas toujours tout encore… Tu es quelqu’un de bien et de solaire. Et ça m’aide à me sentir bien ici. Alors… Je n’ai pas besoin de me cacher, ou de vouloir être seul. Finis-je d’expliquer, peut être plus transparent que je ne l’avais jamais été jusque lors. Et toi, alors ? Qu’est-ce que tu fais quand tu te sens un peu triste ? M’enquis-je, la voix plus basse, peut être même plus douce pour tenter de l’apaiser du mieux que je pouvais.

Rarement, je parlais. Rarement, je m'exprimais sur ce que je pensais et ressentais. Je n'en avais habituellement ni besoin ni envie, peu désireux que l'on m'oublie lorsque j'osais, enfin, prendre la parole. Pour autant, outre sa peur que je désirais lui faire oublier, l'honnêteté faisait parti de ma personnalité. Une honnêteté qui me poussa à dire les choses, à lui expliquer ce qu'en un mois, un seul mois, il avait fait pour moi... Bien plus que la totalité de mes connaissances. Et c'était pour cela, qu'il était devenu mon ancre, mon... Bassin, en quelque sorte. C'était pour cela que je ne doutais pas de son courage, ni de son soleil, quand bien même les ombres avaient obscurci son ciel, quand bien même il tremblait tant de peur et de froid, je n'arrivais pas à douter de lui une seule minute.
Tournant la tête vers lui, je croisai son regard, l'observant avec un sentiment que je n'expliquais ni ne voulais réellement comprendre. Il semblait confus, troublé sans que je ne comprenne pourquoi. Je le laissai alors reprendre sa place contre moi, une place à laquelle je commençais à peine à m'habituer pour l'heure.

Et lui alors ? Que faisait-il lorsqu'il était triste ? Il volait. Ce n'était pas étonnant au vu de sa passion. Pourtant, il essayait de ne jamais être triste. C'était honorable. Sûrement plus que moi dont l'humeur maussade était presque constante, à vrai dire. Peut être moins depuis que j'étais à Poudlard néanmoins.

- Tu as le droit d'être triste quand même. Tins-je à préciser comme s'il pouvait l'avoir oublié.

Je ne le pensais pas, certes, mais au moins était-ce dit. Et puis... Il reprit parole. Surpris, je me figeai légèrement sur place, les yeux plongés dans un vide alors que seule sa voix emplissait le silence des vestiaires. Lentement, au fur et à mesure que ses mots me touchaient, certainement plus que de raison, mon visage se baissa vers le sol. Mika n'était pas seulement quelqu'un de bien et de solaire... Il était... Un tout. Un tout qui avait commencé à me compléter sans même le vouloir, comme le soleil pouvait compléter la lune. Il voulait que je sois heureux. Parce que je le méritais, que j'étais là, pour lui.

Quel fut le mot qui me toucha le plus ? A vrai dire, je ne pouvais pas le savoir. Tout ses mots m'avaient touché au point qu'une larme dévala ma joue pour s'écraser sur mes cuisses, suivi d'une autre puis d'un sanglot. Sans être de la tristesse, il s'agissait soudain d'un soulagement, comme d'un souffle d'espoir que j'attendais depuis des années. Aux yeux de quelqu'un, j'existais. C'était le plus important, le plus prenant pour moi. Instinctivement, mon bras se resserra autour du sorcier.

- Merci... Murmurai-je alors que les larmes roulaient sur mes joues.

Merci de me donner une place. Merci de me voir. Merci de faire attention. Merci d'être là, avec moi. Tout simplement.

Je n'avais pas réussi à me contenir. Cela ne me ressemblait pas, cela ne ressemblait pas à mon éducation. Mais cela s'était imposé à moi. C'était plus fort que moi. Jamais je n'avais ressenti cela dans ma vie, ce sentiment d'être là, présent et visible pour quelqu'un. Pour lui, à ses yeux, je n'étais pas une marchandise ou une décoration qui deviendrait utile un jour lorsque l'on se déciderait à le marier. Non. J'étais moi. Hyun-Ki. Une personne qu'il voyait et dont il voulait prendre soin. Pourquoi le voulait-il ? Je m'en moquais. Ou plutôt... Mika était quelqu'un de bon, foncièrement, cela me semblait donc presque... Normal. Le fait de le savoir, qu'il me le dise, par contre... Et alors m'étais-je mis à pleurer sans pouvoir m'en empêcher.

Le laissant se glisser face à moi, mes yeux, rougis par les larmes, captèrent son regard et se plongèrent dans les siens. Il s'excusait ? Mais pourquoi ? Au contraire... Se rendait-il compte de ce qu'il m'offrait à cet instant ? Malgré sa peur, malgré le froid, malgré la situation, Mika m'offrait une chose inestimable dont il ne semblait même pas avoir conscience. Le laissant sécher mes larmes, je n'arrivais pas à décrocher un mot, à lui expliquer qu'il pouvait tout faire à cet instant mais pas s'excuser. Jamais. Pas sur cela alors que mon coeur me semblait pour la première fois plus léger.

J'ouvrais doucement les lèvres. Il fallait que je lui dise, que je le rassure. Il n'avait pas à s'inquiéter. Il devait se féliciter à la limite, se rendre compte combien il était important, presque essentiel aux autres, à moi. Mais le contact de sa peau me figea. Ses pouces étaient... Doux. Ses gestes, son regard me troublaient sans que je n'arrive à en définir la substance. Mon coeur manqua un battement alors qu'il glissait contre moi pour m'enserrer avec douceur. Une étreinte à laquelle je répondis, pour la première fois, plus instinctivement, enroulant mes bras autour de lui pour l'y maintenir.

Et à nouveau, ses mots me touchèrent. Encore. Toujours de la même façon alors que mes bras se refermaient à nouveau plus solidement autour de lui.

- Je ne suis pas triste... Finis-je enfin par prononcer, osant enfouir mon visage dans son cou. Je suis...

Qu'étais-je ? Comment pouvais-je le dire, l'expliquer ? Cela me semblait tellement difficile à croire, à exprimer... Et c'était pourtant tellement vrai.

- Je suis heureux... paisible... Pour la première fois de ma vie.

Mais il y avait plus que cela. Plus que cette sérénité qui venait d'éclaircir mon coeur d'un rayon de mon nouveau, mon seul soleil. Plus que d'admettre que je n'étais pas heureux, que je n'aimais pas ma vie, mon devoir, ma place. Il y avait lui.

- Et je serais toujours là pour te protéger. Avais-je fini par souffler dans un murmure. Si tu as besoin de moi, je serais là.

Je n'étais pas la personne la plus solide, la plus courageuse ni la plus vaillante. Je n'étais pas non plus le sorcier le plus digne, le plus fier ou le plus valeureux. Mais pour ceux qui m'étaient importants, pour ceux dont la vie m'importait, pour lui, j'avais l'impression naissante de pouvoir soulever des montagnes, comme si cela était une évidence plus qu'un effort. D'inconnu, il était devenu un ami. Rapidement. Peut être même trop. Mais il était si facile de lui faire confiance, de se laisser guider par sa lumière, que cela ne m'avait pas choqué jusque lors. Aujourd'hui, je me rendais compte de la place qu'il avait su se faire dans mon coeur pourtant bien sombre et que je pensais avoir fermé à double tour.
J'étais venu en Angleterre dans l'optique de fuir, de ne croiser personne ou presque pour vivre en solitaire et sans pression. J'avais atterri dans un puit de lumière et de bienveillance qui commençait à me fissurer, à attendrir l'esprit que je voulais pourtant froid et fermé aux autres.

- J'ai confiance en toi...

C'était la conclusion la plus parlante, la plus logique que je pouvais lui donner. En un mois, un seul petit mois, Mika avait forcé des barrières que les années avaient pourtant forgées avec force. Il avait su éclairer un esprit que la lumière avait quitté depuis bien trop longtemps et, en fin de compte, c'était peut être pour cela que j'avais confiance. Malgré ce temps réduit, malgré mes peurs, malgré ma tristesse.

Il... Pleurait ? Non ! Enfin ! Non ! J'avais voulu le rassurer, le consoler, l'aider à ne plus s'inquiéter, jamais le faire pleurer ! Au contraire, je ne voulais pas être le responsable des nuages dans son ciel... Et ses sanglots brisèrent doucement, encore un peu plus, les barrières que j'avais érigées. L'air désolé, je ne savais pas comment réagir. C'était injuste ? Qu'est-ce qui était injuste après tout ? Rien ne me semblait l'être. Au contraire. J'avais, en cet instant, l'impression d'avoir une chance inouïe, d'avoir pris la meilleure décision de ma vie en demandant mon transfert ici. Et rien d'autre ne semblait avoir d'importance que ce sentiment de sérénité qu'il m'apprenait.

- Ce n'est pas injuste. Soufflai-je ainsi sans plus d'explication.

Rien ne l'était car c'était ma vie même qui m'avait poussé jusqu'ici, dans cet endroit où je me sentais bien, paradoxalement à la situation qui nous avait mené dans ces vestiaires. Mais il voulait être là pour me rendre heureux. Pour le reste de ma vie.

- Tu n'es pas obligé...

Il faisait déjà les choses sans le vouloir, sans chercher à le faire. Je ne voulais pas être un poids supplémentaire, je pouvais m'occuper de moi et seulement observer sa chaleur et sa lumière m'éclairer. Il n'avait pas besoin de s'inquiéter, de le vouloir sur un temps qui pourrait être long. Pourtant, malgré mes mots, j'avais de nouveau glissé une main dans ses cheveux, comme pour le garder près de moi, toujours plus près de moi. Son odeur, sa présence, ses mots, tout semblait me troubler soudain, sans que je n'aie pu le prévoir, le prévenir. Fermant les yeux un instant, mon esprit s'échappa, libérant un instant, un très court instant, les confins de mon coeur qui battit soudainement douloureusement jusqu'à ce que Mika se recule et que je puisse observer son visage.
Les larmes qui avaient perlé sur ses joues me blessaient. Pas physiquement, certes, mais de manière insidieuse, comme s'il s'agissait de larmes qui m'étaient indirectement adressées.

- De quoi ? M'enquis-je à ses remerciements alors qu'à son instar, ma main se levait vers sa joue pour s'y poser, peut-être trop tendrement cette fois-ci.

Mais que pouvais-je faire d'autre ? Je n'arrivais pas à être insensible. Je n'arrivais pas à garder mes distances lorsqu'il semblait avoir besoin d'un contact de la sorte. Bien sûr, je n'étais pas des plus à l'aise, craignant d'aller trop loin, d'avoir des gestes inconvenants. Mais c'était plus fort que moi. Les yeux fixés sur le jeune sorcier, je n'avais qu'une envie : le voir sourire de nouveau.

Et il le fit. Était-ce réel ? Ne se forçait-il pas ? Je l'espérais. Mika était entier, honnête. Je refusais qu'il se module pour moi. Au contraire. Je voulais qu'il vive, qu'il ressente ce qu'il devait ressentir, là où moi je n'y arrivais pas, lui devait le faire, il pouvait le faire.

Ne le quittant plus des yeux, ma main se trahissant par une légère caresse contre sa peau, je le laissai alors parler. Je comprenais ses mots. Tout quitter était difficile, quand bien même l'on pouvait ne pas être heureux, encore plus lorsque l'on pouvait l'être, quitter son pays et ses repères était difficile. Et qu'il ne se soit pas concentré sur cela... Ne m'étonnait pas non plus. Solaire et actif, cela ressemblait à celui qu'il était. L'inverse, d'ailleurs, m'aurait peut-être même étonné.
Mais qu'il me dise cela... Qu'il puisse penser que j'avais été son souffle. Que j'étais important... A nouveau, mon coeur rata un battement. Plus fort. Plus intense que le dernier alors que j'avalai ma salive, me rendant compte d'une chose que j'avais pourtant mis à l'écart jusque là. Il y avait quelque chose. Un sentiment que l'amitié qui se construisait entre nous n'était en rien responsable. Une chose que je devais éloigner de moi sans en avoir pour autant envie. Pour preuve, un léger sourire vint finalement étirer mes lèvres. Mon regard, tendre, apaisé, était posé sur lui et doucement j'hochai la tête.

- Très bien. Ensemble. Soufflai-je à mi-voix. Mais ne te force jamais à sourire pour moi.

- C'est normal.

Bien sûr que c'était normal. Comment aurais-je pu refuser sa présence quand elle m'apaisait ? Je n'avais pas eu à lutter. depuis mon arrivée à Poudlard, je n'avais pas eu à reculer, je n'avais pas même cherché à le faire. Dès les premiers jours, alors que j'étais cloitré dans notre chambre, Mika était venu me trouver et m'éclairer de sa lumière. Et depuis lors, il avait toujours tout fait pour que je me sente bien dans ce pays qui n'était pas le mien. Avec succès, c'était certain. Mais même si cela était devenu important pour moi, même si ses sourires, sa lumière m'aidaient plus que de raison, plus que je n'aurais pu l'imaginer venant de quelqu'un, je me refusais à forcer son soleil. S'il voulait me sourire, rayonner, il le ferait de manière consciente et réelle. Chose qu'il accepta. Heureusement.

Le laissant reprendre une place qui semblait presque faite pour lui - cette place n'ayant jamais été prise par quiconque dans ma vie - je ne quittai pas sa joue, la caressant, lentement, du bout des doigts, profitant de sa douceur, de ce contact auquel je n'avais jamais vraiment pensé tant nous nous connaissions depuis peu de temps, mais qui me semblait à cet instant le seul que je désirais.
Posant mon menton sur sa tête, sans un mot, je me plongeai dans mes pensées. Dans mes réflexions et mes craintes qui, malgré moi, commençaient à arriver, lentement. Qu'étais-je en train de faire ? Dans quoi étais-je en train de tomber ? Avais-je même réellement envie d'y penser ? Pas maintenant... Maintenant, Mika avait besoin de moi et j'avais besoin de lui. J'avais appris à avoir besoin de lui, à lui donner une importance certaine auprès de moi. Trop, peut être, pour un ami d'un mois. Mais bien peu par rapport à ce qu'il m'apportait. Alors... Je profitai. Nier ne serait que mensonge. Les yeux fermés, ma tête posée contre la sienne, ma main caressant sa joue, je ne disais rien, ne bougeais plus et cela jusqu'à ce qu'il vienne se mouvoir lui même.

Un instant, je crus qu'il désirait quitter mes bras. Un instant, je sentis l'ombre commencer à obscurcir, de nouveau, mon esprit. Mais il n'en fut rien. Mika resta là. Et un léger soupir traversa la barrière de mes lèvres, comme un soulagement que je retenais malgré tout.

- Je ne sais pas. Admis-je alors en réfléchissant, humant son odeur en fermant de nouveau les yeux, comme pour retrouver l'entière sérénité qui m'étreignait près de lui. Qu'est-ce que tu peux m'apprendre ? Demandai-je, conscient qu'il s'agissait d'un moyen de l'approcher à nouveau, dans un autre contexte.

Après tout... J'apprenais ce dont j'avais besoin à Poudlard. Alors... Je pouvais me permettre un apprentissage "inutile", ou du moins qui ne serait pas tourné vers l'avenir qui m'attendait et ne me plaisait pas. Surtout si cela me faisait passer plus de temps auprès de Mika, auprès de mon soleil.

- Dis moi, Hae... Soufflai-je finalement en reculant finalement mon visage pour lever le sien de ma main pour l'observer un instant d'un regard que je n'avais jamais réellement eu jusque là, ce regard doux, plus attentif encore, voire même tendre. Est-ce que ça va mieux ?

Car je n'oubliais pas ce qui nous avait poussé ici ni quel avait été mon but jusque là, quand bien même avait-il été bousculé. Et plus encore... Je n'oubliais pas les larmes qui avaient assombri son visage si doux.

Il n’y avait qu’une réponse à ses propositions. Une seule qui me convenait, à vrai dire, et sûrement n’était-ce pas celle qu’attendait le sorcier. Je n’avais pas vraiment envie de choisir. Pas envie de me limiter à une seule activité. Quand bien même ce n’était pas convenable, ou acceptable, ce soir m’avait fait réaliser une chose que je tentai de camoufler, de mettre sous le tapis de ma rationalité. Cela ne faisait qu’un mois que nous nous connaissions. Bien sûr, il y avait eu du temps passé ensemble, beaucoup de temps. Partager un dortoir signifiait beaucoup, en un sens, surtout lorsque, comme moi, l’on y passait le clair de son temps et quand bien même il était absent les fins de semaines. Des fins de semaine qui, d’ailleurs, avait commencé à me sembler longues sans que je ne l’admette réellement. Alors… devais-je lui répondre ce que je désirais ? Ou devais-je être raisonnable, rationnel ?

Mika me troublait. Son rire me troublait. Sa voix me troublait. Sa présence même me troublait. Il avait su se créer une place importante, presqu’essentielle dans l’esprit d’une personne qui ne voulait avoir besoin de personne. Il m’avait fait baisser les armes le temps d’un instant, d’une soirée, quand il en avait besoin. Je savais que je devais redresser ces barrières. Je savais que je devrais rapidement reculer, arrêter ce tourbillon qui me prenait, moi seul. Mika avait besoin d’un ami. Certainement pas d’un simulacre d’ami troublé par tout ce qu’il pouvait faire.

- Tout ce que tu veux.

Je n’avais pas réussi à choisir, pas réussi à me décider de limiter sa compagnie à une tâche. J’étais faible. Ce n’était pas une surprise, à vrai dire. Bien au contraire. J’avais fui la Corée par lâcheté, par faiblesse. Cela ne faisait que le confirmer. Je ne savais pas me battre contre moi-même. Pas complètement. Preuve en fut mes inquiétudes tournées vers lui alors que mon esprit se battait encore intérieurement. Une lutte qui n’arriva pas à empêcher le regard que je lui lançai, son visage levé vers le mien. J’étais. Faible. Mais il allait mieux. Et cela restait le plus important. Quant à moi… Allais-je mieux ? Cela dépendait certainement du référentiel. Oui. J’allais mieux. En un sens car l’Angleterre m’avait apporté une sérénité que je n’avais jamais connu. Quand bien même elle était reliée en immense partie à ce sorcier que je tenais entre mes bras. Mais je n’allais pas mieux, non. Car cette chose que je refusais pourtant fermement allait finir par s’imposer si je ne me raisonnais pas. Et je n’arrivais pas à me raisonner, pas quand il me regardait de la sorte, pas quand il m’apaisait et trouvait les mots pour fissurer mes barrières.

- Soleil. Répondis-je sans que mon regard ne vacille.

Je ne devais pas penser de la sorte. Me reprendre devenait essentiel. Je devais arrêter. Arrêter de penser à ses yeux qui m’observaient. A sa main qui me fit frissonner en glissant sur mes doigts. A son odeur qui m’étreignait. A ses lèvres dont je… Fermant les yeux un instant, je fronçai les sourcils. Je glissai. Mon esprit glissait vers ce que j’avais fui au Japon dans une intensité nouvelle dont je n’avais pas réellement conscience. Quelque chose s’était fracturé ce soir. Quelque chose que je refusais de reconnaître tant cela m’effrayait.

Au moins fuir son regard m’avait-il permis de reprendre mes esprits. Au moins quelques secondes alors que la peau de son visage que mes doigts frôlaient toujours me frappait de nouveau. Un ami. J’étais son ami. Et il était mon soleil. Quoique je puisse vouloir. En un temps bien trop court pour ne pas me secouer violemment.

- Tu devrais essayer de dormir. Avais-je finalement murmuré, reposant mon regard sur lui.

Il était si proche… Il m’était difficile de reculer, de me raisonner. J’avais besoin de le sentir bien. Quand bien même mon esprit se perdait dans une bataille sans fin, je me promettais d’ores et déjà que je ferais tout pour le sauvegarder, pour l’aider et pour le voir heureux. Parce qu’il le méritait. Il méritait ce qu’il y avait de mieux. Que cela me brise davantage ne m’importait pas. Pas plus que mes pensées. Tant qu’il était heureux.

Qu’est-ce qui m’ébranla le plus ? Était-ce la raison de sa question ou la main qui venait de frôler mon visage. Sûrement un mélange des deux. Une association qui vint parcourir ma peau, comme une caresse invisible.

- Dal. Soufflai-je bien plus doucement que je ne l’aurais voulu.

Je tentais. Je tentais désespérément de ne pas y penser. De refuser. De me battre contre cette chaleur qui m’étreignait et dont je n’avais pas réellement conscience jusque-là lorsque je l’observais. Je n’avais pas le droit. Je ne pouvais pas faire, penser ce que je pensais. Les limites avaient été fixées dès que j’avais quitté la Corée. Pourquoi arrivait-il à les faire reculer, à me faire céder le terrain que j’avais cru miner ? La réponse à cette question était pourtant si simple, si limpide. Tellement que je ne pouvais que l’appeler Hae. Mon soleil. A cet instant précis, j’eus l’impression que c’était seulement mon destin que de quitter l’Asie. Pas pour fuir. Pas pour me cacher. Mais pour lui. Comme si tout m’avait poussé à lui. De ce premier sandwich qu’il m’avait offert aux heures qu’il avait passé à me faire voir Poudlard, en passant par ses leçons difficile à réviser, par ses interminables monologues et à Rainy, même, qui l’avait plus qu’adopté.

- Je dormirais quand tu te seras endormi.

Nous étions là parce qu’il avait eu peur. C’était mon rôle que de veiller sur lui, de l’apaiser autant que je le pouvais sans être réellement convaincu que je sois réellement d’une aide précieuse. Je doutais toujours, de mes choix, de mes pensées… De presque toutes mes pensées, malheureusement. Car celle-ci, celle qui m’étreignait, était tout sauf dubitable.

Le laissant reprendre place, je plongeai ma main dans ses cheveux, rassurant, autant que je pouvais l’être, si cela était possible. Les yeux fixés devant moi, caressant presque distraitement ses cheveux, je me perdis dans des pensées confuses, paradoxales. Se confrontait en moi deux parties que tout opposait. D’un côté, le soleil, celui qui me donnait envie de me battre, de résister et d’être là pour lui. Celui qui se rappelait des mots de son cousin. Mener une seconde vie et relever la tête. En étais-je capable ? Non, disait cette seconde partie. Déshonorable. Fourbe. Faible. C’était les mots qui s’imposaient alors dans mon esprit. Des mots qui semblaient pourtant, au fond, ne pas faire le poids face à Hae dont la voix me ramena à la réalité autant qu’aux gestes que j’avais continué.

De quoi voulait-il parler ? Baissant la tête pour poser de nouveau mes yeux sur lui, je me figeai alors, ma main cessant tout mouvement et mon regard suspendu au sien. Que devais-je répondre à cela ? De quel sentiment parlait-il ? De quelle sensation ? Avec moi ? Pourquoi ? Comment ? Il avait… Un ami. C’était…
Mon cœur sembla, un instant, s’arrêter, comme figé par un instant qui pourtant était bien trop court tout en me semblant infini. J’étais silencieux. Pas parce que je ne voulais pas répondre. Mais parce que je ne savais pas quoi dire ni quoi faire. Un instant, fugace, puissant, ses lèvres m’avaient paru être la seule solution. Mais je n’avais pas le droit. Pas avec lui. Pas avec un homme. Pas un sang mêlé. Pas… Lui. Lui qui pourtant me semblait être un tout, ma complétion.

- Est-ce que tu veux que cela s’arrête, Hae ? Demandai-je finalement, dans un souffle sans que je n’arrive à le quitter des yeux, usant de ce surnom si particulier.

Pourquoi ne pouvais-je pas lutter contre moi, contre mes envies, contre son soleil ? Il s’agissait seulement de reculer, de revenir à une raison qui pourtant avait su me caractériser, me faire fuir ce que je touchais de nouveau. Pourquoi était-ce si difficile de lutter contre un inconnu qui n’en était plus un ? Pourquoi ne lui avais-je pas répondu… Attendant sa seule réponse comme un couperet final à ce qui ferait de moi un paria, une honte à sa famille ou, au contraire, un homme résigné dont la conscience l’aurait trompé.

Etais-je réellement comme la lune ? Je n'avais, à vrai dire pas la prétention d'en être convaincu. Moins important, moins essentiel, plus invisible... Qu'avais-je finalement de cet astre ? Rien que ce qu'il disait. Et cela me suffisait. Bien trop pour que cela soit rationnel. Mais puisque lune j'étais à ses yeux, lune je désirais être. Comme si tous mes doutes et mes questionnements se retrouvaient balayés par son seul désir. Etais-je donc réellement perdu ? Avais-je rendu les armes ? Je me refusais à l'admettre, à le comprendre. Je ne pouvais pas. Mais j'étais faible, incapable de faire machine arrière ou même de le vouloir.
J'aurais pu, pourtant. Mika m'avait offert une porte de sortie, une porte ouverte que j'aurais pu enfoncer au lieu de simplement la refermer. Je ne voulais pas que cela change. Je ne voulais pas que cette soirée soit oubliée. C'était plus fort que moi. Mais lui. Que voulait-il ? C'était le plus important, le plus essentiel avant que je n'accède à fermer cette porte de sortie.

Il ne le voulait pas non plus. Avait-il compris mes pensées derrière cette question pourtant simple et renvoyée ? Son regard semblait me l'affirmer sans que je ne puisse en être sûr. Je n'étais plus sûr de rien, plus même sûr de ce que j'avais le droit de faire. Je ne voulais plus en être sûr. Et ce surnom, ce nom qu'il avait décidé de me donner en écho au sien ne m'aidait pas à réfléchir consciemment, me perdant davantage encore.

Pourtant, malgré tout, je tentais de me raisonner, de me faire revenir aux limites de l'honneur, de ce que je devais être. Je ne serais jamais celui qu'on attendait de moi, Min-Ho lui même me l'avait fait comprendre avec ses mots. Mais ne pouvais-je pas être un simulacre de cette personne ? Ne pouvais-je pas me contenter de ce que l'on attendait de moi ? De ne pas me perdre dans quelque chose qui n'était pas possible, peut être même pas réciproque et dont je n'avais aucune idée de la profondeur. Tout avait beau me pousser à lui, me tirer vers lui, je ne devais pas céder. Je n'en avais pas le droit. Pas le courage. J'étais faible.

Et sa voix vint briser le silence qui s'était installé alors que j'avais été incapable de lui répondre davantage. C'était étrange. Le terme était bien choisi, définitivement. Bien trop étrange pour que mon esprit rationnel arrive à lutter. Bien trop étrange pour que ses mots ne m'ébranlent pas encore davantage. Les lèvres entrouvertes, je n'arrivais pas à réfléchir, à savoir ce qu'il fallait dire. Mon coeur battait bien trop fort. Mon sang pulsait dans mes temps. Mes doigts, doucement, se raffermissaient sur son visage qui ne faisait que m'attirer encore plus sans que je n'arrive, encore, à me détourner alors que la chappe de plomb qui s'était déposé sur mes épaules dès lors qu'il avait trouvé refuge dans mes bras semblait m'écraser toujours un peu plus.

- Ne t'excuse pas. Avais-je, finalement, articulé. Ne t'excuse jamais de t'expliquer.

Pas sur ça. Jamais. Pas quand ses mots faisaient écho à mes pensées et à mes interdits. Quand bien même il me semblait creuser davantage ce trou dans lequel il me faisait tomber sans en avoir conscience.

- Je... Commençai-je alors que mon visage se rapprochait du sien.

Je n'avais pas le droit. Ce n'était pas normal. Pas naturel. Pas... Moi ? Si. C'était bien le problème. Il était devenu essentiel à qui j'étais. En si peu de temps... Était-ce au moins possible à défaut d'être rationnel et normal ?

- Hae, je...

Mon front se posa contre le sien, penché en avant, vers lui. Comme dans un besoin de contact supplémentaire. Ma main restée contre son visage, je me tus, de nouveau. Je n'avais pas le droit. Pas le droit de faire ce que je désirais. Pas le droit de devenir celui qui l'entraînerait dans le déshonneur, dans l'anormal. Pas le droit de céder à tout ce qu'il représentait.
Mais je ne disais rien. J'avais pourtant beaucoup de choses à dire, à tenter de lui expliquer moi aussi. Mais comment ? Et... Si je me fourvoyais ? Si ce n'était justement qu'un mirage ? La chute allait être douloureuse. Comment le savoir si je ne disais rien ?

- C'est moi qui suis désolé. Murmurai-je en fermant les yeux. Je n'arrive pas à...

Je m'arrêtai. Le dire serait l'accepter. L'accepter serait risquer de le faire reculer. Le faire reculer me faisait peur. Plus que mon devoir, plus que mes obligations et l'obéissance que j'avais à ma famille, c'était son recul qui m'effrayait le plus à cet instant.
Mais ne pas lui dire ne serait-il pas pire ?

- Je ne veux pas que ce soit un mirage... Murmurai-je bien plus à moi-même que pour lui avant que je n'ouvre les yeux pour l'observer, bien plus proche que jamais. Mais c'est mal... Ce que je ressens c'est... mal. Je ne veux pas te forcer... Te rendre malheureux... Soufflai-je, difficilement, alors que ma voix se mettait à trembler. Tu ne dois pas me rendre heureux, tu le fais déjà... Mais... C'est mal...

Mes mots sortaient difficilement, l'anglais semblant soudain très loin de mes capacités. Je cherchais mes mots, buttant sur chacun d'entre eux, ma voix chevrotante trahissant ma peur intense. Sans rien dire, j'avais pourtant tout dit... C'était le pire qui puisse arriver.

Sûrement bien des élèves auraient voulu connaître mon secret, celui qui faisait perdre sa voix à Mika. Mais à cet instant… Je le regrettai. Je voulais l’entendre, le rassurer, lui dire que tout allait bien. Pourtant, rien ne sortit de cela. Seule ma peur, seul mon autoflagellation se fit entendre. Ce n’était pas mal, disait-il. Je l’entendais. Mais je ne l’acceptais pas. Comment cela pouvait-il ne pas être mal ? J’étais un Jeon. Un héritier d’une famille puissante coréenne. Destiné à se marier avec une femme qui permettrait l’élévation de sa famille. Censé être digne et fier. Qu’avais-je, maintenant, de tout cela ?

Mais malgré cela, malgré mes peurs, mes doutes et ce recul évident que ma voix avait prononcé, tentant de me convaincre moi-même que je me trompais, que je ne pouvais pas, que je devais pas, je ne bougeais pas. J’avais encore besoin de sa chaleur autant que de son regard ou de cette main posée sur ma joue. J’avais besoin de me sentir là où je devais être, où j’étais vu, où il me voyait. Dans une ambivalence pourtant égoïste, je n’arrivais pas à me raisonner ou à me décider pour l’un ou pour l’autre des choix.

Mika, lui, choisit pour moi.

Je n’avais pas senti, pas voulu faire attention, qu’il m’attirait encore un peu plus vers lui. Perdu dans son visage si proche, je ne l’imaginais pas, me refusais à admettre cela possible pour ne pas y céder, pour ne pas faire quelque chose qu’il regretterait… Que je regretterais. Mais il le fit. Et ses lèvres se posèrent sur les miennes, m’électrisant violemment sur place. Comme une bouffée d’air bien trop chaud pour que je puisse le supporter, un courant électrique traversa mon corps, me couvrant de de frissons pour se concentrer dans mon ventre, sur mon cœur. Figé sur place, je n’avais pas immédiatement répondu, surpris, choqué peut être même de ce qui était en train de se passer. Mon cerveau s’embrouillait, se mélangeait alors qu’une partie de moi m’hurlait encore de stopper là, de revenir dans ce qui devait être le droit chemin. Une partie qui s’éloigna pourtant, trop rapidement pour ma conscience vacillante.
Prenant conscience de ce qu’il se passait, de ce qu’il avait fait, je me sentis soudainement léger, comme si toute idée noire me quittait à mesure que les secondes où ses lèvres découvraient les miennes s’écoulaient.

C’était maladroit. Sans assurance aucune. Mais c’était ce qu’il me fallait. A cet instant, plus rien d’autre que lui n’existait. La terre, la lune ou le soleil étaient devenus abstraits, autant que le temps et tout ce qui pouvait encore nous entourer. Il était mon centre, mon tout. Il était ce pourquoi j’étais venu ici, dans ce pays, dans ce collège. Ce pourquoi je devais me battre autant que me cacher. Tout me paraissait limpide. Peut être trop pour être réel.

Le souffle court autant de surprise que d’un sentiment que j’avais évité toutes ces années, je l’observai, encore, sans me séparer de lui. Mon regard trahissait mes peurs, revenant bien malgré moi, mais aussi mon trouble dont l’intensité dépassait l’entendement, et tous les sentiments que ce simple mois d’existence m’avait fait développer.

Tout avait été si insidieux, si masqué par ce que je ne désirais pas mais était. Je n’avais pas fait attention, j’avais refusé d’en prendre la mesure, préférant traduire cela par la gentillesse naturelle de mon soleil qui me faisait me sentir bien. Mais il était le premier. Le premier à m’avoir porté une réelle attention. Le premier à ne pas s’en être lassé. Le premier à se moquer de mon nom. Le premier dont les lèvres étaient devenues, soudain, un refuge.

- S’il te plait… Murmurai-je alors que sa voix venait de nouveau troubler mon esprit, douloureusement.

C’était difficile. Il ne pouvait certainement pas imaginer à quel point tout cela était difficile… Mal. Un mal que j’embrassai pourtant à nouveau alors que, pour le faire taire, pour qu’il cesse ce supplice que m’infligeait sa voix, ses mots, mes lèvres se posèrent sur les siennes. Encore. Ce n’était pas moins maladroit. Encore moins assuré. Mais c’était ma seule réponse à ses peurs autant qu’à la douleur qu’il me montrait.

Il allait pourtant falloir lui expliquer, lui dire que je n’avais pas le droit, pas le pouvoir de faire ce que je désirais. Que c’était déshonorable, contre tout entendement. Que j’étais un homme et que lui aussi. Qu’il ne fallait pas. J’aurais dû le faire immédiatement. Je le savais. Mais je n’y arrivais pas. Pas quand il semblait sombrer.
Mes bras s’enroulèrent, doucement, autour de lui, cherchant à le rassurer, à l’apaiser autant que je le pouvais. Je n’avais plus conscience de la réalité. Je ne voulais plus réfléchir, ni avoir peur. Je voulais seulement que son mal s’arrête.

- Arrête… S’il te plait, arrête… Repris-je contre ses lèvres.

Je ne savais malgré tout pas quoi dire pour le rassurer. Lui dire que ce n’était pas mal était un mensonge auquel je me refusais, auquel je n’arrivais pas à adhérer. C’était. Mal. Un mal dont j’avais envie, dont j’avais même besoin tant mon corps s’était empli d’une chaleur trop douce pour que je la refuse.

- Je suis désolé…

Murmuré dans un souffle, contre ses lèvres. J’étais désolé de lui infliger ce mal. De ne pas réussir à reculer. De ne pas le vouloir. D’être faible. Face à lui, face à ce que j’étais.

- Reste là…

Parce que j’avais beau savoir que c’était mal. J’avais beau me rendre compte de ce qui était contre nature, contre mes obligations, je ne voulais pas qu’il bouge. Je ne voulais plus qu’il parte.