« J’ai des choses à faire, désolée ». Cela avait été mon excuse la plus utilisée depuis la rentrée. Une excuse qui n’était rien d’autre qu’un mensonge alors que je ne faisais que dormir – cours – manger un peu pour ne pas dépérir malgré mon manque d’appétit. Rien d’autre. Alors quand Elora m’avait proposé de reprendre nos soirées, j’avais évidemment refusé. Encore. Comme avec tout le monde. A la place, ce soir, j’allais sûrement me plonger dans la correction de copies ou… enfin… Je trouverais bien quelque chose à faire. Je n’avais seulement pas envie de me mêler aux autres qui semblaient si facilement avoir repris le cours de leur vie malgré les événements, malgré tout. Moi… Moi j’en étais incapable. J’étais une incapable. Je n’arrivais pas à l’oublier. C’était plus fort que moi.

Au moins arrivais-je encore à faire cours du moins… Enfin… Je leur donnais les enseignements. C’était l’essentiel. D’ailleurs venais-je de terminer un cours lorsqu’un renard avait surgi sur mon bureau, me faisant cligner des yeux. Inutile de douter. Je savais très bien de qui il s’agissait. Et si j’allais encore lui rappeler que je n’avais pas le temps… Je ne m’étais certainement pas attendu à cela.

- HEY ! REVIENS !

Mais non. Elle était déjà partie, ma baguette en gueule. Je n’avais pas eu d’autres choix que de la suivre, que de lui courir après, pestant largement contre cette bêtise qui m’obligeait à courir dans les couloirs, à croiser d’autres personnes que je ne voulais pas voir. D’autant qu’elle m’avait fait courir loin la bougresse ! J’étais totalement hors de souffle lorsqu’enfin elle s’arrêta, reprenant forme humaine.

- Elo… Je n’ai pas le temps… Maugréai-je, peu décidée à accepter ce kidnapping.

Un fait qu’elle ne sembla même pas prendre en compte alors qu’elle prenait place sur la couverture, me laissant bête, à l’observer. Elle avait réellement préparé tout ça ?... Baissant le regard, je n’étais pas convaincue que cela soit une bonne idée. Faire illusion quelques minutes était une chose, devoir subir tout un repas à sourire lorsque je n’en avais pas envie et à faire semblant de m’amuser… Je n’étais pas convaincue en être réellement capable.

- Une lettre ?

J’avais malgré tout pris la peine de m’approcher, de prendre la lettre sans m’asseoir, toujours peu convaincue du bienfondé de tout cela.

- Qui m’a écrit une lettre ?...

Une lettre que j’allais apprécier ? Mouais. J’en doutais un peu mais… mais je l’avais ouvert.
Six fois. Ce fut ce qu’il me fallut pour réussir à capter, à comprendre que cette lettre comprenait des mots de mes collègues, de mes élèves et anciens élèves et… Et je… Les larmes m’étaient montés aux yeux. Impossible à retenir, à cacher alors que je m’asseyais enfin sur la couverture pour relire, encore une fois, les mots et… Et je…

- Pourquoi ?... Avais-je sangloté, attirant mes genoux à moi pour cacher mon visage, incapable de faire face au flot d’émotions qui venait me prendre à la gorge. Je n’ai rien fait qui mérite ça…

Car c’était finalement le plus douloureux à cet instant. Ces compliments… ils m’allaient droits au cœur mais… Mais j’avais cette impression que tous se trompaient de personne, que je les avais tous trompé depuis des années et… Et je pleurais. Je pleurais sans arriver à m’arrêter, sans pouvoir regarder ma meilleure amie. Je pleurais. C’était aujourd’hui tout ce que je savais faire.

Pourquoi ? Pourquoi tant de gentillesse à l’égard d’une meurtrière ? Car c’était là la façon dont je me voyais. Une incapable meurtrière ayant tué des élèves par son incompétence… Mais eux… Pourquoi disaient-ils le contraire ? Pourquoi étaient-ils bienveillants à mon égard ? Je n’avais rien, absolument rien fait qui méritait cela…
Sanglotant, je n’avais pas lutté lorsqu’Elora avait posé ma tête sur son épaule. J’avais… J’avais besoin de cela. Je l’admettais, besoin de ses bras qui m’avaient souvent réconforté, de ma meilleure amie. Mais ses mots…

- J’ai fait tomber la tour… Avais-je articulé entre deux sanglots.

Je me souvenais avoir fait le trou avant que la tour de s’effondre davantage, écrasant des élèves et… J’étais coupable. Je ne voyais pas les choses autrement… J’avais tué. Au lieu de les protéger, je les avais condamnés…

- J’aurais dû les sortir de là avant que tout s’effondre, Elo… Sanglotai-je à nouveau. J’aurais dû… Je n’en sais rien… J’aurais dû trouver une solution… J’aurais dû faire plus…

Mais je n’avais même aucune idée de comment j’aurais dû faire les choses. Une preuve supplémentaire, sûrement, que je n’étais pas à ma place. D’autres avaient tellement bien géré, tellement bien réussi à les aider…

- J’arrive plus à sourire… Je… je passe mon temps à penser qu’ils sont morts, à tout ceux qui sont morts et… J’ai peur que ça se reproduise, j’ai peur que… J’ai peur que tout le monde me déteste à cause de ce que j’ai fait, que les enfants ne me fassent plus confiances et… Ils étaient innocents, ils n’avaient pas mérité tout ça… Ils n’avaient rien mérité… ça allait être Noël et… Et je n’ai pas pu rendre leurs enfants à leurs parents… J’ai détruit des familles et… Et je comprends pas ce qu’il s’est passé, je comprend plus rien du tout…

Dépassée… Oui, Elora avait trouvé le terme juste, nous avions été dépassés, je me sentais dépassée. Je m’en voulais, de ne pas avoir été là, de n’avoir pas pu tous les sauver alors que je devais les protéger, de… Je m’en voulais pour tout. Parce que je ne savais pas qui blâmer d’autre que moi. Parce qu’il me fallait un coupable et que c’était plus facile de me désigner, moi. Et j’avais mal… Vraiment mal…

Je m’étais littéralement effondrée, culpabilisant sûrement bien trop sur tout ce qu’il s’était passé. Je ne savais plus comment gérer, comment effacer cette souffrance de tous les instants, cette culpabilité qui m’effrayait autant que le regard des survivants. Mais nous étions tous dépassés, bien sûr… Et je culpabilisai désormais car je mettais Elora dans cette situation désagréable. Parfait…
Mais une battante… En étais-je réellement une ? Depuis plus d’un an maintenant, j’avais l’impression que les choses s’effondraient de plus en plus. Il y avait eu Andrew d’abord, puis Ayden et…

- Ayden est mort… Avais-je murmuré en baissant les yeux.

Elora était la seule au courant de ce qu’il s’était passé et… Enfin… Oui, cela faisait des mois mais… Sa mort m’avait… Elle m’avait secoué. Plus que je ne l’aurais cru alors que j’étais pourtant coupable de l’avoir détourné du droit chemin.
Son baiser sur ma tête m’avait fait lever les yeux. Elora était là, elle avait toujours été là… Même dans mes pires imbécilités, elle était toujours là et j’avais doucement hoché la tête, me lovant un peu plus contre elle, apaisée par les bras de ma meilleure amie.

- Je veux pas déranger… Avais-je malgré tout murmuré.

Et il m’avait fallu de longues minutes pour respirer, pour reprendre ma contenance et pour réussir à me redresser, m’excusant à mi-mot pour tout ça, pour mes larmes, pour son épaule, pour… Pour plus ou moins tout, à vrai dire alors commencer…

- J’ai besoin de… De sucré. Admis-je en attrapant une chocogrenouille pour l’avaler, soufflant d’aise à ce goût réconfortant. Et de Whisky. Avais-je ajouté, la laissant me servir pour boire le verre cul sec.

Oui. Voilà. J’avais besoin d’alcool et de sucre. C’était bien comme ça… Mais cela dit… J’avais fini par accepter de manger, par attraper différentes choses pour les avaler, pour commencer à me nourrir, chose que j’admettais ne pas vraiment avoir fait depuis un certain temps alors que mon estomac commençait à crier famine, bien trop heureux de retrouver le goût de la nourriture.

- Elo… Avais-je alors repris en relevant les yeux vers mon amie. On pourrait… Demain, on pourrait sortir aussi ? Je…

Ca me faisait du bien. Sortir. Ne plus être dans le château. Ca me faisait beaucoup de bien et… Et il fallait que je l’admette. Vraiment.

Ayden était mort et... Et j'avais du mal à l'accepter.Pourtant, rien n'avait été normal avec lui. Du début à la fin, tout avait été... Mieux valait même ne pas y penser et j'avais eu beaucoup de chance... Matthew Gimhae avait été un tant soit peu suffisamment magnanime pour ne pas me faire renvoyer malgré tout ce qu'il pouvait savoir... Mais malgré ça, malgré ma peine... Je n'avais voulu en parler à personne. Je n'avais voulu déranger personne alors même que tous étaient plongé dans la douleur des derniers événements. Mais une bêtise ?... Elora était gentille. Elle était... Toujours trop gentille avec moi. L'une des seules femmes capables de me supporter entièrement à croire. Alors je refusais d'en abuser. Je ne voulais pas et le sucre et l'alcool avait malgré tout fini par avoir raison de moi et de mon estomac. Vidant les verres, j'avais dû admettre que cela m'avait fait beaucoup de bien, plus que je ne l'aurais prévu alors que l'alcool me rendrait bientôt plus légère.

Alors finalement... Peut-être que sortir était une bonne idée, non ? Elle l'approuvait en tout cas mais ce que je voulais en particulier... J'avais rapidement battu la tête de gauche à droite.

- Je m'en moque. Juste... Juste pas trop de monde.

Si cela ne me dérangeait vraiment pas habituellement, je n'avais pas vraiment envie de croiser quelqu'un en ce moment, je n'avais pas envie de me forcer en plus de mes cours déjà difficiles. Je voulais seulement... Être loin du château même, de cette tour que j'avais détruite par ma bêtise et... Un paquet de carte ? J'avais pris ce qui m'était tendu en l'ouvrant. Elle savait que j'aimais collectionner ce genre de choses et...

- Merci... Avais-je murmurée, gênée de tant d'attention. J'ai de la chance de t'avoir...

Et j'avais même esquissé un léger sourire lorsque mon joueur préféré de l'équipe nationale de notre pays apparu face à moi.

- Lui, je l'avais pas...

C'était certainement très enfantin de collectionner des cartes à jouer mais j'avais toujours aimé ça. Depuis mes années collège jusqu'à maintenant et... Autant dire que je devais en avoir beaucoup plus d'une centaine. Vraiment. Beaucoup. Plus.
Et puis j'avais continué à trier le paquet, proposant même à Elora ceux que je savais qu'elle n'avait pas avant de lever la tête vers elle. Ce Week end ?

- On pourrait... On pourrait aller dans un endroit sans hommes ? Avais-je demandé. Je n'ai pas très envie d'en voir ou... Ou de sentir leur regard sur moi, ou de devoir supporter les lourdeaux ou même les gentils ne voulant que me parler. Je n'avais pas envie d'attirer qui que ce soit. Mais on peut sortir avec ton amie... Juste, pas d'hommes. S'il te plait.

Vieille fille à chat. C'est ce que j'étais et ce que je resterais. Et ça m'allait. Ca m'allait vraiment.