Une nouvelle journée plutôt tranquille venait de se terminer. Depuis la reconstruction de Poudlard, tout était redevenu comme avant. Ou presque… Il y avait eu beaucoup de pertes, dans les élèves comme parmi les membres du personnel. Et cela se ressentait encore, même deux mois après les événements. J’avais fait tout mon possible pour soigner et maintenir en vie un maximum de personnes. Mon métier de guérisseur me rappelait que malgré mes capacités, je ne pouvais pas sauver tout le monde… C’était toujours frustrant. Mais pas décourageant. Car ceux qui étaient en vie me donnaient la force de continuer.

J’espérais ne plus avoir à revivre de tels événements. Mais à Poudlard, il fallait s’attendre à tout et se préparer au pire. Je commençais à comprendre la raison pour laquelle la directrice m’avait engagé. Ou plutôt, les deux raisons : avoir un personnel infirmier assez solide pour affronter les fléaux qui s’abattaient sur l’école, et m’occuper assez pour me sortir de ma grande dépression. Je devais avouer que la combinaison des deux était bien pensée. Sauf que dans des jours comme aujourd’hui où il ne se passait pas grand-chose, les sombres pensées revenaient vite au galop.

Ce qui me sauva juste à temps fut la plainte d’une demoiselle qui entra dans l’infirmerie alors que j’étais en train de procéder aux derniers rangements dans le bureau des infirmiers.

- J’ai maaaaal ! Madame ! Madame ! Il faut me donner un truc, là ! Ça fait super mal !

Fronçant les sourcils, je rangeai le dernier parchemin dans l’armoire contenant les autorisations de sortie de l'infirmerie, et sortis du bureau. Une élève était assise sur un lit, à côté du professeur Wheeler qui semblait très contrariée. Ne la voyant pas souvent agacée, je me dis que la jeune Serpentard devait avoir fait une bêtise. Toutefois, je n’avais pas besoin de savoir la raison de ses blessures, cela ne me regardait pas, d’autant plus qu’Erin avait déjà pris la responsabilité de s’occuper de ce cas. Et ce cas s’appelait Kathleen Hensley, dix-sept ans, que j’avais vu beaucoup trop de fois me demander de l’aider à vaincre ses gueules de bois à répétition après quelques soirées plus ou moins légalement arrosées. Je me demandais si je ne faisais pas une erreur de garder cette information pour moi, au lieu d’en informer son directeur de maison… Je prenais un sacré risque. Ma gentillesse me perdra, un jour…

- M’sieur Meyeeeer ! héla Kathleen quand elle me vit approcher.

Elle agita vers moi son poignet rouge et gonflé alors qu’Erin quittait l’infirmerie.

- C’est un accident ! Genre, j’ai voulu voler à balai comme tout le monde et je me suis écrasée par terre et je vous jure, j’ai super mal ! Je peux plus le bouger ! Et ma jambe ! Elle va être bleue ! Comment je vais mettre des robes, moi ?

- Doucement, Miss Hensley, répondis-je avec mon éternel calme et un sourire toujours rassurant. Vous risqueriez de vous blesser davantage.

Je tirai un tabouret et m’assis dessus, face à la demoiselle.

- Bien, montrez-moi d’abord votre poignet, demandai-je en tendant la main, paume vers le haut, pour le prendre doucement entre mes doigts quand elle s’exécuta.

Il avait sacrément enflé. De ma main libre, je tirai ma baguette de la poche de ma blouse et la pointai sur la blessure pour une vérification supplémentaire. Comme je le pensais, pas de fracture. Un problème écarté.

- Vous avez là une belle entorse, déclarai-je en posant ma baguette sur le bord du lit, à côté de Katlheen. Elle n’est pas grave, ajoutai-je avec un nouveau sourire apaisant. Il n’y a pas de déchirure des ligaments, seulement une contusion. Vous vous en sortez bien.

J’allais pouvoir lui arranger cela en moins de deux. Fouillant dans la poche intérieure de ma blouse, je dénichai un tube de pommade magique. Elle était d’une efficacité telle que dans quelques minutes, cette entorse ne serait plus qu’un mauvais souvenir. J’en mis une noix sur le bout de mon index et commençai à masser le poignet avec des mouvements circulaires, sur le dessus et dessous.

- Le cours de vol des septième années n’est-il pas le mercredi matin ? demandai-je avec une pointe d’humour dans la voix.

Je connaissais déjà la réponse et savais qu’elle n’avait rien à faire sur un balai à cette heure-ci. D’autant plus qu’elle ne faisait pas partie de l’équipe de Quidditch de Serpentard.

Elle sursauta et voulut retirer sa main. Mais elle se fit mal et cessa de gigoter. En plus de se plaindre inutilement du froid que procurait la pommade, elle m’avait l’air d’exagérer un poil trop sur sa situation actuelle.

- Seulement une entorse ? fit-elle ensuite tandis que je terminais de faire pénétrer la pommade à travers sa peau.

Elle paraissait déçue.

- Vous croyez que si j’avais tout cassé, Miss Wheeler m’aurait enlevé l’heure de colle ?

Ah. D’accord, je comprenais mieux. Mademoiselle avait voulu échapper à la punition en agissant de manière totalement idiote.

- Non mais ! Que je vous explique, Monsieur ! reprit-elle, visiblement révoltée. En fait ! Y a eu erreur sur la personne. J’étais pas censée finir en colle.

Ça, je n’en demeurais pas certain.

- Mais Miss Wheeler est persuadée que c’est moi qui faisais le bordel au fond de la salle et je comprends pas pourquoi ! Je dormais !

Ne pas lever les yeux au ciel…

- Bref. J’ai été collée. Mais vu que c’était injuste, j’ai voulu prendre l’air et là, j’ai vu un balai. Sauf que je crois que Miss Morgane a pas fait bien son travail, parce qu’il était cassé, ce balai ! Et je suis montée dessus, sauf qu’il a pas tenu et je me suis écrasée au sol. Heureusement que j’étais qu’au premier étage !

Je retins un soupir, me concentrai sur le poignet de Kathleen que je pris entre les paumes de mes mains. Quand celles-ci émirent une lueur bleutée en même temps qu’une sensation de froid, je levai un regard réprobateur sur ceux de la jeune Serpentard.

- Je peux concevoir que le professeur Wheeler ait peut-être pu se tromper sur la personne à envoyer en heure de colle, déclarai-je en insistant bien sur le « peut-être », car je connaissais assez l’énergumène pour penser qu’elle l’avait mérité. Mais cela ne vous donne pas le droit de désobéir, et encore moins de cette manière. Réfléchissez… fis-je sans lui laisser le temps de protester. En voulant fuir l’injustice de laquelle vous dites être victime, vous offrez le meilleur moyen à votre professeur de vous punir pour de bon. Et en plus de cela, vous perdez sa confiance. Double punition.

Elle n’avait pas été très maligne. Comment prouver son innocence le jour où il le faudrait vraiment ? Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même.

- Je ne vais pas vous bassiner sur le fait que votre action était absurde et dangereuse, je pense que votre professeur l’a déjà fait, poursuivis-je en baissant les yeux sur son poignet que je tenais toujours entre mes mains, et qui dégonflait peu à peu. Ce sur quoi j’aimerais cependant insister, c’est sur le lien entre ce qu’il vous est arrivé, et ce que l’école a dû traverser ces derniers mois. Je crois que nous avons perdu bien assez de monde, il est inutile de rajouter les cascades irresponsables d’élèves frustrés par l’autorité du corps enseignant.

Mon ton était resté calme et courtois, bien qu’un peu agacé. Je n’aimais pas réprimander les élèves qui venaient demander des soins ici parce qu’ils avaient surtout besoin de se sentir mieux et rassurés. Mais cette fois, je ne pouvais pas laisser passer un acte irréfléchi après les épreuves récentes.

- Je n’ai pas envie de ramasser d’autres cadavres, surtout pour des raisons aussi stupides, j’espère que vous me comprenez.

Je lâchai son poignet à présent guéri.

- Ménagez-le pendant vingt-quatre heures, conseillai-je. Il est encore fragile.

La mine renfrognée, Kathleen marmonna quelques mots à propos du fait qu’elle n’avait la confiance d’aucun professeur à Poudlard. Forcément, en jouant les pestes têtues et de mauvaise foi… Elle reprit ensuite son air indigné.

- Mais c’est pas ma faute ! C’est Miss Morgane qui a pas rangé ses balais défoncés ! se défendit-elle maladroitement. Puis je suis pas frustrée par l’autorité, M’sieur ! Je suis frustrée qu’on me colle !

C’était la même chose…

- Je faisais que faire la sieste, c’était tout ! J’faisais rien de plus !

Quand bien même… Mais je ne dis rien, me contentai d’un hochement de tête tout en évitant de montrer ma consternation face à une histoire qui devenait de plus en plus ridicule.

- Et elle ? Elle va finir bleue ? s’enquit la jeune fille en tendant sa jambe pour me la montrer. Je suis tombée dessus aussi et je dois porter une super robe ce soir, ça serait chiant…

Une robe ? Et pour quoi f… Oh. Je compris au moment où je me posai la question. Mademoiselle avait donc prévu une de ces soirées durant lesquelles elle était incapable de contrôler ses envies d’alcool, et après lesquelles je la voyais toujours débarquer pour me demander mon meilleur remède requinquant. Cette fois, je ne pus m’empêcher de soupirer. Cette petite était désespérante. Et en même temps, je ne pouvais pas lui en vouloir de profiter de sa jeunesse. J’étais dans une position difficile. En tant qu’adulte responsable, je ne pouvais pas lui dire de faire ce que bon lui semblait parce que « la vie était trop courte ». Et d’un autre côté, je n’avais pas l’autorité nécessaire pour me permettre de lui interdire ses écarts de conduite. Je pouvais cependant très bien la menacer de tout révéler à la directrice. Mais j’avais déjà fait l’erreur de la couvrir bien trop souvent, et elle pouvait s’en servir contre moi. Et là, je risquais mon poste. Je le risquais dans tous les cas, en vérité… Dans quel merdier m’étais-je mis ?

Récupérant ma baguette, je la pointai sur la jambe de Kathleen et prononçai un sort de soin informulé. La trace de coup qui la marquait disparut aussitôt.

- J’espère que vous réalisez la chance que vous avez, dis-je très sérieusement.

Je ne précisai pas quelle chance car il s’agissait d’un peu tout : celle d’être seulement collée au lieu de finir renvoyée, celle de ne pas avoir encore été prise la main dans le sac quand elle organisait ses soirées, celle de bénéficier de mes soins, celle d’être toujours en vie, contrairement à beaucoup de ses camarades qui s’étaient noyés dans le lac lorsque les cachots avaient été détruits…

Comme je demeurais certain qu’elle trouverait un nouvel argument puéril ou insensé, simplement par esprit de contradiction, je décidai de passer à autre chose et rediriger la conversation sur un sujet plus léger… ou presque.

- Quelle couleur ? La robe ? demandai-je en me levant.

Je poussai le tabouret près du paravent. Étant donné que ma journée était terminée, je retirai ma blouse de médicomage et la laissai reposer sur mon bras replié. Je pointai ensuite ma baguette sur tous les rideaux de l’infirmerie qui se fermèrent un par un tandis que la lumière de quelques torches s’allumait aux quatre coins de la pièce.

Elle se vanta du fait d’avoir toujours été chanceuse, et exprima sa gratitude envers mon sens du service que n’importe qui aurait trouvé démesuré.

- Noire et blanche avec un dos nu super sympa ! fit-elle ensuite, très fière. Dommage que Jay puisse pas venir, il aurait grave kiffé, d’ailleurs, mais il est trop sérieux, lui, bougonna-t-elle à voix basse.

Son visage s’illumina de nouveau.

- Ah ouais et moitié transparente, avec un body pour cacher c’qu’il faut, ça va être magnifique ! ajouta-t-elle, visiblement très excitée.

Je pinçai les lèvres en me disant que, partie de cette façon, elle allait encore mal finir ce soir…

- Mais du coup, vous comprenez, une jambe bleue quand j’ai une peau parfaite, ça le fait mal, quand même…

- Mh… bien sûr, acquiesçai-je ironiquement, exaspéré par son excès de confiance en elle.

Je fis le tour de l’infirmerie, vérifiai rapidement que les quelques patients de la journée n’avaient pas laissé d’affaires.

- Hé d’ailleurs ! M’sieur ! héla Kathleen, plus en forme que jamais. J’me posais la question… Vous m’aidez toujours quand j’suis un peu vaseuse, c’est super sympa et tout, hein, mais ça vous dirait pas de m’aider un peu plus ?

Étant en train de regarder sous le dernier lit, je me redressai et la regardai avec les sourcils froncés. Cette histoire sentait mauvais…

- Et les autres aussi ! Genre… J’suis pas la seule à être vaseuse, évidemment, vous vous doutez bien, j’sais que vous êtes pas un débile, vous.

Oh bon sang…

- Mais du coup, y en a qui osent pas venir vous voir parce que genre ils veulent pas que ça se sache ou j’en sais rien et j’m’en fous un peu, en fait. SAUF QUE ! Du coup ! Vous pourriez devenir l’ange gardien de Poudlard ! Vous me donnez des potions d’avance, et moi je les distribue ! Vous en dites quoi ?

Pour qu’elle s’en fasse un stock personnel ou les vende à ses camarades ? Même pas en rêve ! Dans un nouveau soupir, je la rejoignis et me plantai en face d’elle, les bras croisés, ma blouse d’infirmier toujours pliée sur mon poignet.

- De la même manière que vous fichez en l’air vos relations avec vos professeurs qui veulent seulement votre bien, vous êtes en train d’abuser de mon soutien et je ne peux pas le tolérer, Miss Hensley, répondis-je, bien moins compatissant, cette fois. Je vous privilégie déjà beaucoup trop, j’espère que vous en êtes consciente. Et, au vu de votre comportement, vous ne le méritez pas. Alors, s’il vous plaît, contentez-vous du peu auquel vous avez droit, avant de tout perdre pour de bon.

Je retrouvai un peu de douceur et repris.

- Je me dois de soigner quiconque en a besoin, surtout si le terme « vital » s’y applique. Or, je pense que vous pouvez survivre à certains de vos lendemains de soirée sans avoir besoin de moi. Cela me montrerait que vous êtes un peu responsable, et que je peux vous faire confiance.

Comme je m’y attendais, elle fut très déçue.

- Mais m’sieeeeur… gémit-elle, en proie au désespoir. C’est vital pour moi de pas avoir mal au crâne, vous savez. Genre… Comment je fais pour suivre les cours si je vais pas bien ? Et si je suis pas bien les cours, je vais finir par être renvoyée…

Raison de plus pour se montrer prudente.

- Mais vous savez, vous, vous êtes gentil ! ajouta-t-elle. C’pour ça que je vous aime bien ! Vous êtes VRAIMENT gentil ! Pas comme tous les autres !

Je ne pus m’empêcher de lâcher un rire face à sa piteuse tentative de m’acheter.

- Les profs, vous dites qu’ils veulent mon bien, ils veulent surtout faire rentrer leurs trucs dans ma tête. En fait, les profs, c’est des dictateurs ! Vous, non ! Vous, vous me soutenez genre ! Donc ! Vous êtes quelqu’un de bien, M’sieur Meyer !

Je croisai les bras en levant les yeux au ciel, un sourire moqueur au coin des lèvres.

- Et sinon, je peux y aller ? s’enquit-elle. Faut que j’aille me préparer, moi ! J’vous inviterais bien, vous savez, mais j’sais pas si les autres seraient partants pour qu’un vie… adulte vienne ! se reprit-elle.

Je soupirai, ne relevant pas l’affront qu’elle avait failli me faire car c’était sans importance. Exaspéré autant qu’amusé par son comportement puéril, j’espérais vraiment que cette fille changerait un jour, qu’elle aurait le déclic de la maturité qui l’empêcherait de continuer sur cette voie si instable.

- C’est très aimable à vous, répondis-je, un poil ironique. Mais j’ai une potion à préparer pour une certaine fêtarde que j’aurais aimé savoir plus sage.

Je désignai la porte de l’infirmerie d’un signe de tête.

- Filez d’ici avant que je ne change d’avis, ordonnai-je, à la fois doux et autoritaire. Et faites attention dans les escaliers demain matin, klar* ?

- Merci m’sieeeeur ! fit-elle, heureuse. Promis, j’viendrai avant les cours, cette fois ! ’Fin… hésita-t-elle devant mon air peu convaincu. Après, si j’suis en retard, vous m’en voudrez pas, hein ? On dira c’est pour pas vous déranger à la première heure !

- Moui, on dira ça, répondis-je, désinvolte.

Elle descendit du lit et me fit un grand sourire.

- Promis, j’ferai attention, M’sieur ! A demain alors, Herrrrr Meyer ! C’est comme ça qu’on dit « Monsieur » en allemand, c’est ça ?

J’affirmai d’un signe de tête, elle quitta l’infirmerie en me saluant rapidement. Je soupirai. Cette petite… J’attendais impatiemment le jour où la maturité la rattraperait. Mais pour le moment, j’allais devoir m’armer de patience. De prudence également, ainsi que d’espoir. L’espoir que Kathleen n’eût jamais l’idée de crier sur tous les toits que l’infirmier de l’école l’aidait déraisonnablement.

Je m’étais vraiment mis dans un sacré merdier…