L’année scolaire se poursuivait, avec son lot d’élèves plus ou moins blessés. Si j’exagérais juste un peu, j’aurais dit que le flux hebdomadaire de patients avoisinait presque celui de Ste Mangouste. Je ne m’en plaignais pas, au contraire. Au moins, j’étais bien occupé et ne pensais pas à mes propres malheurs. Me concentrer à deux-cent pour cent sur le travail pour oublier que ledit travail m’avait fait perdre mon seul et unique amour, et mon futur enfant…

Outre les « petits bobos » causés par des chutes ou divers sortilèges ratés, je recevais toujours la visite d’Engel qui avait le chic pour attirer les accidents. Certains joueurs de Quidditch en tenaient une belle aussi. Remettre des membres en place allait finir par devenir ma spécialité. Et sinon, il y avait les cas spéciaux. La lycanthropie d’Engel que je suivais depuis bientôt un an, Eshani qui fut longtemps victime d’un Obscurus, et, plus récemment, la malédiction de Mika. Et pas des moindres.

Peu après la reconstruction de Poudlard, le corps enseignant apprit que le jeune Poufsouffle avait subi deux décès. Ou plutôt trois, si l’on comptait celui qui l’avait changé en un être différent des humains normaux. On l’appelait la malédiction du Nogitsune. Une malédiction asiatique consistant à rattacher une personne à une autre à travers un rituel létal, afin d’en faire une sorte de soldat obéissant. Tellement obéissant qu’il ne faisait plus la distinction entre amis, famille et ennemis si, par malheur, son maître lui demandait de tuer. Ayant ainsi survécu à la lame maudite qui le transperça durant le rituel en octobre dernier, Mika devint un Kyūbi. Ramené à la vie par son maître, il était capable de prendre l’apparence d’un renard à neuf queues, chacune représentant une vie. Dès qu’il mourait, il perdait une queue mais gagnait en puissance magique.

Étant donné que Mika était déjà mort trois fois en peu de temps, la directrice avait donc décidé d’engager un suivi afin de veiller à sa bonne santé malgré tout. Le côté psychologique était déjà pris en charge par des legilimens, et le côté physique allait m’être attribué. Je fis donc en sorte d’utiliser le maximum de mon temps libre pour étudier les ouvrages dégotés à la réserve de la bibliothèque avant le rendez-vous organisé par la directrice avec Mika, à la fin de ce mois d’avril. Je n’avais encore jamais fait face à ce genre de cas, je devais m’y préparer au mieux.

J’accueillis le jeune homme et le professeur McGonagall en semaine, après les derniers cours de la journée. La directrice fit en sorte d’isoler l’infirmerie et d’y interdire l’accès durant notre entrevue, et nous laissa seuls après m’avoir donné le dossier de Mika. Assis sur un lit, un peu mal à l’aise, celui-ci attendait que je termine mon analyse. Un long silence était tombé entre nous, silence qu’il brisa alors que je lisais le rapport concernant sa dernière mort en date.

- Vous… Enfin, tout le monde s’inquiète pour rien… dit-il. J’ai entièrement régénéré depuis.

Installé sur un simple tabouret en face de mon patient, je restai concentré sur ma lecture.

- Cela n’empêche pas de vérifier que tout va bien pour vous, répondis-je quand même. Ainsi, tout le monde peut être tranquillisé.

Je refermai le dossier et levai les yeux sur Mika.

- Croyez-moi, Monsieur Wilde, j’aimerais vous épargner les examens et vous laisser tranquille, continuai-je, compatissant. Mais je dois m’assurer que vous avez su vous remettre correctement de trois décès tous aussi violents les uns que les autres.

Ce n’était pas rien. Peu importait son immortalité passagère donnée par ses sept queues restantes, il restait humain et devait recevoir les soins nécessaires à sa condition, s’il le fallait. Je me levai et, tout en déposant le dossier au bout du lit, je repris la parole.

- Et, soit dit en passant, ce serait dommage de mettre votre ami Monsieur Jeon sous calmant parce que je ne lui aurai pas confirmé que vous êtes en parfaite santé, dis-je avec un sourire en coin, histoire de détendre un peu l’atmosphère.

J’avais bien vu à quel point ces deux-là étaient proches lorsque j'avais soigné Mika d’une hémorragie interne, peu après mon arrivée à Poudlard. Par habitude, bien que l’infirmerie fût réservée à Mika pour une bonne heure, je tirai ma baguette de ma ceinture et ouvris le paravent tout autour du lit pour cacher le jeune homme au reste de la salle.

- Retirez seulement le haut, s’il vous plaît, indiquai-je retroussant les manches de ma blouse. Ce sera suffisant. Essayez simplement de vous détendre. Si vous en avez besoin, parlez. Je vous écouterai. Et manifestez-vous si quelque chose ne va pas.

Il déclara que ses deux morts en tant que Kyūbi ne furent pas si terribles car il n’avait pas eu le temps de souffrir, que c’était comme s’endormir. Il avait raison, cependant, son corps et son esprit pouvaient avoir été traumatisés sans forcément s’en rendre compte. Il évoqua le fait que son ami Hyun-Ki avait à chaque fois été présent pour le soutenir, aider son corps à se remettre.

- Même quand j’étais pas là.

Consciemment, j’imaginais. Il pouvait se considérer chanceux d’avoir Hyun-Ki à ses côtés. Je me demandais si ce dernier était suivi psychologiquement, lui aussi. Voir son ami maudit et supporter la lourde charge de prendre soin de lui n’était pas une mince affaire. Je gardai ce questionnement dans un coin de ma tête pour la directrice plus tard, laissai Mika retirer son pull et le tee-shirt qu’il portait dessous.

Il n’était pas plus épais qu’un an auparavant. Il ne demeurait pas grand non plus mais tout de même trop mince. Enfin, tant qu’il était en bonne santé et qu’il ne maigrissait pas plus, cela irait. Sinon, il me faudrait lui trouver un régime adapté.

- L’Avada n’a… n’a causé aucun dégât… expliqua-t-il. Mais pendant la tempête, la barre de fer a traversé de là à l…

Il se tut, tandis que je suivais son geste allant de la clavicule gauche jusqu’au bassin. Je remarquai alors que sa peau était marquée à différents endroits. Comme des traces de morsures… humaines. De petites morsures, quelque chose de gentillet, si j’osais dire. Si Mika n’avait pas commencé à essayer d’en cacher quelques-unes avec ses mains, le visage rouge comme une pivoine, j’aurais fait l’erreur de demander d’où ces morsures venaient. Et nous aurions fait face à un certain embarras difficilement camouflable puisqu’il lui aurait fallu se justifier. Mais au vu de sa réaction, je compris aussitôt que les moments intimes passés avec son ami Hyun-Ki ne me regardaient absolument pas.

- La seule blessure qui fait encore mal parfois c’est celle de la lame… souffla-t-il, le regard fuyant.

Je fis en sorte d’apaiser ce moment de confusion en oubliant totalement ce que je venais de voir, et en me focalisant sur ses réels maux, ne manquant pas d’exprimer mon avis à voix haute afin de détourner également son attention.

- Je pense que c’est le genre de blessure qui ne sera jamais vraiment soulagée, déclarai-je en me penchant pour examiner son sternum dont la cicatrice était recouverte par le tatouage d’un renard à sept queues. Elle a été faite par une lame maudite, la douleur est là pour vous rappeler ce que vous êtes désormais. Je peux vous aider à l’atténuer, mais elle reviendra.

J’illustrai ma proposition en sortant un petit tube blanc de la poche de ma blouse. C’était un baume magique apaisant. Il suffisait d’en appliquer une noix sur le doigt et de masser l’endroit endolori jusqu’à pénétration complète. Tout était écrit dessus, en petites lettres. Je déposai le tube sur le lit à côté de Mika, lui donnant le choix de le prendre ou non.

J’examinai ensuite sa clavicule gauche, me visualisant la façon dont il avait été perforé jusqu’au bassin par la barre de fer indiquée dans le rapport. Elle avait traversé le cœur et la moelle, ce qui le tua instantanément. Au passage, elle mit quelques côtes en miettes et termina sa course dans l’os iliaque opposé. Une belle brochette…

Me postant un peu plus de côté pour lui donner un peu d’espace, je repris ma baguette en main et touchai le torse de Mika avec la pointe. Je fis un examen tout ce qu’il y avait de plus basique : contrôle de sa respiration, des battements de son cœur et de sa tension. En pointant ma baguette sur son front, je vérifiai également sa température corporelle. Rien à signaler. Je fis le tour du lit, demandai à mon patient de reculer le plus près du bord pour être proche de moi, et de tenir son dos bien droit. Quand il se fut exécuté, je posai mes mains sur ses épaules et me penchai en avant, les yeux rivés sur sa colonne vertébrale, attentif à ce que je voyais. Je me redressai ensuite. Tenant toujours le jeune Poufsouffle par une épaule, je libérai une main. Joignant l’index et le majeur, je les posai à la base de sa nuque. Et, petit à petit, je descendis, m’arrêtant doucement sur chaque vertèbre jusqu’en bas de son dos.

- D’autres douleurs particulières ? questionnai-je durant ce moment, à voix un peu plus basse, comme si le calme qui s’était installé dans l’infirmerie me poussait à ne pas vouloir le briser. Vertiges, migraines, nausées ?

Je le sentis se raidir à un moment, situai l’endroit douloureux où la lame maudite avait dû ressortir, à peu près en face du sternum.

- Beaucoup de migraines quand… quand il y a conflit entre moi et le Kyūbi… déclara Mika. Ou quand j’essaie de lutter contre un ordre…

Il parla des nausées qui se manifestaient quand il reprenait la main après avoir perdu le contrôle de ses actes. Il expliqua avoir l’impression de se noyer, et de pouvoir à nouveau respirer lorsqu’il revenait à lui.

- Et je suis souvent raide, mais je crois que c’est car je fais beaucoup de sport… En fait, j’arrive pas toujours à savoir pourquoi j’ai mal…

Parvenu à la dernière vertèbre, je rompis le contact.

- Vous allez faire un rapport sur ce que je vous ai dit ? demanda-t-il, craintif.

Je refis le tour du lit pour pouvoir lui parler en face, indiquai qu’il pouvait se rhabiller.

- Je sais que tout le monde cherche à savoir à quel point je suis dangereux, à quel point mon maître pourrait me faire faire des choses horribles, reprit-il, visiblement très inquiet. Et je sais que vous voulez toujours que je donne son nom, même du nouveau, mais… Il n’est pas hostile… Pas plus que moi…

Je tirai de nouveau le tabouret et m’assis dessus. Posant les coudes sur mes cuisses pour joindre mes mains entre mes genoux, je soupirai et lui offris un sourire rassurant.

- Je vous crois, répondis-je. Comme je crois également qu’il n’est pas nécessaire de vous forcer à révéler le nom de votre maître si vous ne le voulez pas. En tout cas, ce n’est pas moi qui le ferai.

Je baissai les yeux sur mon alliance, me dis que si j’étais suicidaire, j’aurais tout tenté pour pousser Mika à bout et obtenir des réponses. Mais je n’étais pas ce genre de personne. Si je tenais encore à la vie ? Pas sûr, en vérité. Ce qui me donnait encore le courage de continuer, c’était de constater que j’étais encore utile à ce monde. Les remerciements des personnes soignées et rassurées qui sortaient de l’infirmerie suffisaient à maintenir ce dévouement que j’avais toujours eu pour la guérison d’autrui. Le professeur McGonagall l’avait bien compris. M’engager à Poudlard avait été sa façon de me dire que je devais continuer sur la voie que j’avais choisi, parce qu’elle demeurait la bonne malgré ce qui était arrivé à Elizabeth. De toute façon, que pouvais-je faire d’autre ? J’étais l’un des meilleurs dans ce que je faisais, et je ne m’étais jamais imaginé exercer un métier différent. La médicomagie était toute ma vie.

- Je ferai effectivement un rapport sur notre échange, et sur votre état de santé, poursuivis-je en délaissant la vue de mon alliance pour porter attention à mon patient. Je ne peux rien cacher, au risque d’être tenu pour responsable si les choses tournaient mal. Je dis bien « si », insistai-je. Tant que vos pertes de contrôle n’engendrent rien de dangereux pour vous et votre entourage, ce que j’indiquerai dans ce rapport ne vous vaudra pas un suivi plus poussé et contraignant. Bien évidemment, cela implique de travailler de votre côté sur les meilleures méthodes de maîtrise de vous-même et du Kyūbi. Je ne suis pas le mieux placé pour parler de psychomagie, mais si je devais donner mon avis, je pencherais sur un moyen de vous apprivoiser, de trouver un équilibre, une harmonie entre vous.

C’était la même chose pour la lycanthropie.

- Je peux également vous trouver quelques tisanes et herbes à consommer pour vous aider à vous apaiser quand vous en ressentez le besoin, ajoutai-je.

Je pris quelques secondes pour réfléchir à la suite.

- En ce qui concerne le sport, pensez à faire des étirements après chaque séance de sport, conseillai-je. Mais attention, pas dans l’immédiat. Après l’effort, nous sommes moins réceptifs à la douleur, et c’est là que nous pourrions étirer nos muscles plus qu’il ne faut. Attendez quelques heures. Vous pouvez même les faire avant de vous coucher, pour vous détendre et faire le vide dans votre tête. Rythmez-les à votre respiration, ne les rendez pas douloureux, ne forcez pas. Des étirements doux sont mieux adaptés à votre condition et à votre corpulence.

Je rangeai ma baguette dans ma ceinture.

- En parlant de corpulence, quelles sont vos habitudes alimentaires ? questionnai-je. Ou quelles étaient-elles, et quelles sont-elles aujourd’hui, si elles ont changé depuis le mois d’octobre ?

Il fut d’accord sur le fait d’essayer les techniques d’apaisement, notamment lors des nuits de pleine lune car durant cette période, son hôte était très agité. Il peinait à garder le contrôle face à un ordre donné à l’entité, et se devait de céder le terrain. Un équilibre avait été établi mais il arrivait qu’il oscillât, et il avait parfois l’impression de perdre par fatigue.

- C’est normal, dis-je d’un ton compatissant. La lutte intérieure que vous menez vous épuise psychologiquement, et par conséquent, physiquement.

Il évoqua ensuite son aversion pour les légumes, ou plutôt l’aubergine, ce qui faisait qu’il n’avait même pas essayé de goûter à autre chose.

- Je… Je mange ce que je veux… Surtout de la viande, beaucoup de viande et du coca, ou du sucre. J’ai toujours besoin de sucre, mais tout le monde évite de m’en donner après vingt heures car sinon je dors pas…

Je hochai la tête sans rien dire pour le moment, attendant qu’il ait terminé.

- Depuis octobre… La première semaine après… Enfin, la première semaine, je crois qu’on a dû me nourrir… Jizo et moi avons été en conflit.

Son Kyūbi s’appelait donc Jizo.

- Et… On a arrêté de bouger, on était figés et… Et après, quand Jizo dominait le plus, je mangeais comme mon maître… Et quand j’ai… Quand j’ai changé de maître, j’ai perdu beaucoup de poids pour ça aussi… Mon maître nous faisait manger de façon équilibrée, mais au travers d’ordres, et sans le vouloir, il a maintenu Jizo aux commandes pendant des semaines… J’ai perdu aussi beaucoup de poids… Mais je remange pour quatre alors ça va mieux. Je peux juste pas… Enfin manger équilibré ça… J’ai toujours faim et je maigris…

Bon, d’après ce que j’entendais, il me fallait lui trouver un régime adapté à sa condition. Difficile quand je n’avais jamais eu affaire à une personne touchée par la malédiction du Nogitsune. J’avais encore de nombreuses recherches à entreprendre et, malheureusement pour Mika, des tests à réaliser souvent pour contrôler son poids.

- J’imagine que vous avez conscience des méfaits du sucre sur l’organisme, dis-je tout en réfléchissant. J’ai toutefois l’impression que votre hôte l’absorbe assez vite pour vous éviter le diabète. Pour le moment, j’ai envie de vous dire de ne pas diminuer votre consommation, parce que c’est ce qui le nourrit. Mais effectivement, évitez le soir si vous voulez pouvoir trouver le sommeil. Quant aux légumes…

Comment lui donner envie d’en manger ?

- Je dois reconnaître que l’aubergine a un goût particulier, et en général, ce n’est pas le légume par lequel on commence lorsque l’on veut les découvrir. Pour tout vous dire, je n’aimais pas ça quand j’étais jeune. Mais les goûts changent en prenant de l’âge. Bon… par contre, vous ne me ferez jamais manger de betterave, j’ai vraiment horreur de ça, ajoutai-je en ricanant.

Je repris mon sérieux.

- La plupart des légumes sont composés essentiellement d’eau, et ils sont presque nuls en graisses et protéines. Ils vous apporteront un tas de vitamines et de minéraux, des fibres et des antioxydants. Ils vous éviteront les carences.

Et il en avait sûrement, au vu de sa maigreur et de la pâleur de son visage.

- Dans le cas d’une prise de masse, les légumes contiennent des fibres qui permettent de réguler la glycémie. Ils sont riches en micro-nutriments essentiels au bon fonctionnement de l’organisme. Et ils sont peu caloriques, c’est pourquoi nous pouvons en manger en grande quantité.

Je me levai du tabouret et le repoussai près du paravent. Cette fois, je ne me servis pas de la magie et fis moi-même le tour du lit en ouvrant le rideau, nous découvrant à nouveau au reste de l’infirmerie vide.

- Vous devriez essayer d’ajouter les légumes à vos repas, conseillai-je. Progressivement, sans vous mettre la pression. Enlevez-vous le goût de l’aubergine de l’esprit, et considérez cela comme une toute nouvelle expérience. Je dirais que pour commencer doucement, vous devriez essayer la courgette. C’est en général ce que l’on donne en premier aux n… nourrissons…

Ne pas flancher maintenant.

- … lors de la transition du lait vers les légumes, poursuivis-je.

Je me raclai la gorge.

- Le goût est plutôt doux. En velouté, c’est super bon.

J’ignorai le frisson qui me parcourut le dos et retournai auprès de Mika.

- La carotte a cette saveur sucrée accentuée quand elle est cuite. Elle se mange bien avec la viande, vous qui en consommez beaucoup. Sinon, je vous recommande la pomme de terre, un classique qu’il est difficile de ne pas aimer.

Étant donné l’heure, je retirai ma blouse et la repliai sur mon bras. Si personne ne venait suite au départ de Mika, j’irais faire un tour à la bibliothèque avant le dîner.

Le jeune Poufsouffle affirma avoir toujours eu besoin de consommer du sucre et, qu’au contraire, Jizo mangeait très peu. Quand Mika augmentait ses doses de nourriture, il éliminait très vite. Il me conta le jour où j’étais venu le soigner de son hémorragie interne, et le fait qu’il n’avait pas su manger pendant plusieurs jours malgré mes recommandations. Le guérisseur du club de Quidditch avait dû le mettre sous fortifiant hypercalorique pour lui faire reprendre du poids, afin qu’il pût remonter sur un balai. Il avoua ensuite prendre un complément alimentaire, ce qui ne m’étonnait pas.

- Vous… Enfin je veux pas vous rappeler quelque chose de difficile… dit-il alors que les premières torches s’allumaient aux quatre coins de l’infirmerie. Vous… Vous avez des micros absences, et… La force d’un Kitsune, c’est l’observation et la réaction…

Ah.

- Je veux pas être intrusif, mais… Si… Enfin, je veux pas vous blesser avec mon cas… C’est… Ma mère me fait déjà manger des légumes. Je dois obligatoirement manger du Kimchi blanc à tous les repas, même si ici, c’est difficile.

J’eus un léger soupir, soulagé de ne pas le voir insister à propos de ces « micros absences » que son renard avait détecté chez moi. Il déclara manger du concombre et de la carotte crue, ainsi que du poivron et de la tomate cuite. C’était rassurant à entendre. Finalement, il ne repoussait pas tous les légumes.

- Et… Et je mange beaucoup de fruits, c’est plus simple car c’est sucré.

Une bonne alternative, oui.

- Genre, je mets de l’ananas partout et vous avez pas le droit de me dire que c’est horrible dans une pizza, un burger ou un toast car c’est faux !

Je ne pus m’empêcher de souffler par le nez avec un sourire en coin.

- Je ne m’y risquerai pas, répondis-je en levant innocemment les deux mains en l’air, faussement craintif.

Il enchaîna sur son addiction pour les frites, et sur ce qu’il avait convenu avec Hyun-Ki, à savoir rediriger ses envies vers la patate douce, ce qui était une riche idée.

- Je… Je mange des légumes, mais si je mange trop de légumes, je perds trop de poids… Mais j’ai une vraie addiction au sucre, mais en vrai… Je fais grave du sport et je suis souvent maigre alors plusieurs fois, le pédiatre a dit qu’il fallait tout tenter pour me faire grossir, et depuis, c’est encore vrai. Donc je mange le plus riche possible.

Je hochai la tête, compréhensif.

- Je valide la patate douce, fis-je en m’asseyant au bord du matelas, à côté de lui. Elle est source de vitamines qui vous apporteront largement les apports nutritionnels recommandés. Elle vous fournira également assez de calcium et de magnésium pour maintenir l’équilibre de votre organisme. Et vous pouvez la manger en frite, ajoutai-je avec un sourire entendu.

Je chassai une poussière sur le tissu de ma blouse.

- Si je comprends bien, votre métabolisme fonctionnait rapidement avant le mois d’octobre, repris-je. Et la présence de votre hôte n’y change pas grand-chose, au final. Vous avez toujours eu besoin d’apports énergétiques importants et réguliers, notamment à travers votre mode de vie actif. C’est plutôt idéal pour quelqu’un qui veut perdre de la masse, fis-je remarquer. Mais dans votre cas, il faudrait en prendre, ce qui est plus difficile. Je vous conseillerai donc d’essayer progressivement d’égaliser les quantités de viande et de légumes lors de vos repas. Mangez ce que vous aimez, ne vous forcez pas, vous pouvez oublier l’aubergine. Et n’hésitez pas à prendre un en-cas dès que vous en ressentez le besoin. Des fruits, par exemple, puisque vous les appréciez. Les fruits secs également, très riches en calories. Plutôt le matin.

Je fis une pause pour réfléchir.

- Si vous aimez les pâtes, vous pouvez y aller aussi. Les glucides qu’elles contiennent assureront une énergie plus pérenne que les sucres rapides du coca ou des bonbons. En plus, ça se mange à toutes les sauces, ce qui est plutôt sympa si, comme moi, vous êtes corrompu par la gourmandise.

Une idée me vint soudain, et je sortis encore une fois ma baguette. Pivotant le buste sur le côté, je la pointai en direction du bureau des infirmiers dont la porte était ouverte. Un « Accio » informulé plus tard, j’attrapai la petite boîte en bois carrée qui volait vers nous. L’instant d’après, nous entendîmes quelque chose chuter dans le bureau, comme une pile de parchemins.

- Oups… fis-je avec une légère grimace. Tant pis, je rangerai plus tard.

Je haussai les épaules et ouvris la boîte avant de la mettre dans les mains de Mika.

- Prenez ceci, ce sont des vitamines C. Un comprimé chaque matin qui vous aidera à réduire la fatigue et contribuera au fonctionnement normal de votre système immunitaire. A croquer ou à laisser fondre dans la bouche, c’est comme vous le souhaitez. C’est goût fruits rouges. Oh, et donnez-en à Monsieur Jeon, cela ne lui fera pas de mal. Revenez me voir quand vous n’en aurez plus.

Je profitai de ma baguette encore en main pour jeter un sort permettant de fermer tous les rideaux de l’infirmerie.

- Je vais vous demander quelque chose d’un peu contraignant, dis-je en reportant mon attention sur Mika. J’aimerais qu’à partir de demain, vous notiez ce que vous mangez chaque jour, et que vous vous pesiez le matin au réveil. Dès que vous voyez une perte ou une prise de poids, faites-moi parvenir les résultats par écrit, pour que je puisse contrôler.

Un coup de baguette en direction du bureau amena un mini pèse-personne pliable que je lui donnai, en même temps qu’un autre bruit de chute se faisait entendre. J’allais avoir du travail supplémentaire…

- Gardez-le à proximité, sous votre lit par exemple.

Il fut visiblement très soulagé de pouvoir manger de la patate douce sous forme de frite, et voulut être sûr qu’il avait le droit de la consommer seulement de cette façon. J’en ris et le lui confirmai. Il demanda s’il pouvait toujours manger du chocolat et du beurre de cacahuète, je confirmai également.

- Hyun-Ki va le faire, dit-il à propos de ses pesées et contrôles des repas. Enfin, il l’avait déjà fait à un moment, il adore prendre des notes ! se reprit-il devant mon froncement de sourcils dubitatif.

Je ne relevai pas. Je savais que ma demande était un peu rebutante mais s’il affirmait que son ami pouvait l’aider à tenir un journal de ses repas et pesées, alors je lui faisais confiance.

- On doit vraiment… commença-t-il, un peu dépité. Enfin, j’ai de l’énergie et… Je vais bien.

Oui, il semblait en forme malgré tout.

- Vous ne transmettrez rien à l’équipe ? s’enquit-il soudain, à la limite de la panique. J’essaie au maximum d’éviter qu’on… Qu’on réalise ce qu’il s’est passé… J’ai mes arrangements, mais si ça s’apprend… Je sais que ça sera pas la mort, mais s’ils savent que je perds du poids, je vais encore devoir subir une visite médicale approfondie et je ne sais pas si je pourrai cacher la cicatrice…

Je hochai la tête pour lui signifier que j’avais bien saisi ses inquiétudes.

- Comme je l’ai dit à votre arrivée, votre bonne santé n’empêche pas un contrôle, répondis-je. Je sais que ce n’est pas agréable, je comprends votre contrariété. Mais s’il y a le moindre « problème », je pourrai le voir assez vite pour tenter de le résoudre rapidement. Et…

Je réfléchis à ma décision, repris.

- Je n’ai pas l’obligation de communiquer mes rapports à votre équipe tant que votre état ne devient pas critique, le rassurai-je. Je ferai tout le nécessaire pour que vous n’en arriviez pas là. De votre côté, faites donc en sorte que tout aille bien, ajoutai-je en le gratifiant d’une légère tape dans le dos.

Je me levai du lit.

- Je pense vous avoir tout dit. Avez-vous des questions, Monsieur Wilde ? demandai-je.

- Non, c’est bon… dit-il après m’avoir remercié. Je peux rentrer ?

Il se leva du lit et remit son pull par-dessus son tee-shirt.

- Vous êtes libre, confirmai-je en m’écartant pour le laisser passer. Passez une bonne fin de journée, Monsieur Wilde.

Il fila en vitesse. Je récupérai le dossier que j’avais laissé au bout du lit et me rendis au bureau des infirmiers. Pour un peu plus de confort car je comptais l’étudier et prendre des notes avant d’aller à la bibliothèque, je m’installai sur le canapé dans un coin de la pièce. J’allais avoir beaucoup de travail avec ce cas. Mais cela me convenait. Depuis mon premier jour en étude de médicomagie, je cherchais toujours à en apprendre le plus possible dans tous les domaines. J’aimais découvrir de nouvelles façons de guérir, de nouveaux poisons, de nouveaux sortilèges, ou même combiner mes connaissances avec ce que je découvrais. Tant que cela alimentait ma culture et mon savoir-faire médicomagique, tout était bon à prendre.

Ce que je souhaitais avant tout, c’était pouvoir être opérationnel au moindre besoin de la part des élèves et professeurs qui peuplaient Poudlard, et de quiconque croisait ma route hors de ces lieux.