- Bon sang…

Cela faisait trois fois que je ratais mon essai. Dépité, je lâchai un grand soupir et laissai mon dos reposer contre le dossier de mon fauteuil.

Ce que je faisais ? Des points de suture. Pas sur quelqu’un, heureusement, sinon cette personne serait en train de souffrir le martyr. En vérité, je m’entraînais sur un mannequin, ou plutôt un morceau que j’avais posé sur mon bureau. Et ce n’était pas du grand art… Pour commencer, ce genre de méthode n’était pas tellement appréciée en médicomagie. Les guérisseurs – pas tous mais ils demeuraient rares – n’aimaient guère la médecine moldue. Pourtant, elle avait du bon, sur certains aspects. Et j’estimais que les points de suture en faisaient partie. Combinés à la magie, c’était du soin de qualité !

Je savais très bien les faire à la main. J’avais eu un bon entraînement à mes débuts à Ste Mangouste, avec un mentor qui était sur la même longueur d’ondes que moi. Mais il était parti avant d’avoir pu m’enseigner la suture avec baguette magique, une méthode plus propre et plus rapide. Et comme j’avais eu pas mal de travail par la suite, je ne m’étais plus penché sur le problème. Alors me voilà en train de me dépatouiller avec ce bout de mannequin, du fil, une aiguille et ma baguette que je finis par envoyer rouler sur le bureau, épuisé. Je réessayerais demain. Il se faisait tard, j’avais mal aux yeux à force de rester concentré.

J’étais en train de fermer les yeux pour me reposer un peu quand une lueur attira mon attention. Un koala argenté passa à travers les carreaux de la fenêtre et vola jusque devant moi. C’était un patronus. A qui appartenait-il ? Et que venait-il faire ici ? Je le sus quand la voix de Merindah s’en échappa. Elle avait l’air totalement paniqué. Elle me demandait de venir la voir à son cabinet parce qu’elle n’arrivait plus à ranger la réserve. Ah, la fameuse réserve. Un sacré bazar là-dedans. Je voulais bien venir l’aider mais pourquoi semblait-elle si troublée ? C’était si monstrueux que ça ?

Le patronus disparut. Je me levai, pris ma baguette, attrapai ma veste et quittai l’infirmerie. Il restait encore deux heures avant de terminer ma journée mais tant pis. Je laissai un mot sur la porte pour prévenir que je m’absentais à Pré-au-Lard. Sur le chemin, j’envoyai mon propre patronus répondre que j’arrivais. Je fis aussi vite que je le pus et débarquai devant le cabinet de la médicomage généraliste au bout de quinze minutes. J’entrai dans la salle d’attente et allai directement frapper à la porte du bureau. Quand Merindah ouvrit, je la vis confuse et tremblante. Elle avait même l’air d’avoir envie de pleurer. Je fronçai les sourcils.

- Merindah ? Ça ne va pas ? m’enquis-je, inquiet.

Mon regard tomba sur sa main qui saignait.

- Mais qu’est-ce qui t’es arrivé ?

Je pris doucement son poignet et observai l’entaille qui barrait sa paume. Elle portait également des traces de rouille.

- Je vais désinfecter ça, décidai-je. Viens et explique-moi.

J’entrai dans le bureau, repérai le petit évier, les cotons et le flacon de désinfectant magique. Je m’emparai de ces derniers, imbibai un premier coton d’eau et revins auprès de Merindah en l’incitant à s’asseoir. Et je commençai à nettoyer sa plaie. Je savais bien qu’elle pouvait le faire toute seule mais là, elle semblait avoir besoin d’aide, et pas que pour arranger la réserve.

Elle bredouilla quelque chose comme le fait qu’elle était tombée, sans en être sûre. Elle avait l’air vraiment perturbé. Je ne la savais pas si découragée par un peu de rangement… Il y avait sûrement autre chose. Après avoir terminé la désinfection, j’observai l’entaille sur le creux de sa main. Elle était profonde mais pas assez pour des points de suture. S’il avait fallu en faire, j’aurais utilisé la bonne vieille méthode manuelle que je maîtrisais parfaitement. Je n’avais pas l’intention de charcuter Merindah comme ce pauvre morceau de mannequin que j’avais lâchement abandonné sur mon bureau.

- Je suis désolée, soupira la jeune australienne. Je voulais pas… je voulais pas te déranger.

Je sortis ma baguette.

- Ce n’est pas… ce n’est pas à cause ça que je t’ai fait venir, je… je sais désinfecter les plaies…

J’eus un petit sourire. Honteuse, elle baissa la tête et je frissonnai quand quelques mèches de ses cheveux me chatouillèrent le poignet.

- Cela ne fait aucun doute, répondis-je, à la fois amusé et compatissant.

D’une main, je soutins la sienne, paume bien visible et accessible. De l’autre, je pointai le bout de ma baguette sur une des extrémités de l’entaille.

- Y a… y a quelque chose en bas… dit Merindah alors que je m’apprêtais à réaliser le sort de soin.

Je fronçai les sourcils, le regard interrogateur.

- Peut-être que je devrais appeler la police magique ou… la brigade des créatures magiques ou…

Sa voix se perdit dans un tremblement. Je comprenais mieux pourquoi elle était dans tous ses états. Cependant, elle n’avait pas su identifier ce qui se trouvait au sous-sol. Si c’était encore un fichu épouvantard… Mais il fallait bien l’aider. Je devais prendre mon courage à deux mains.

- J’irai voir, décidai-je, confiant. Mais d’abord, ne bouge pas.

Je me concentrai sur sa blessure et lançai un sort informulé. Au fur et à mesure que sa peau guérissait, je déplaçai doucement ma baguette jusqu’au bout de l’entaille jusqu’à ce qu’elle fût complètement refermée.

- Et voilà le travail, annonçai-je, fièrement.

Je lâchai sa main.

- Allons-y, déclarai-je. Et quand nous nous serons débarrassés de ce… truc, je t’aiderai à ranger. C’est un peu de ma faute, ajoutai-je avec un sourire désolé. J’aurais dû te dire que la réserve était une telle catastrophe.

Je n’avais pas prévu qu’une créature y eût fait son nid, mais…

Merindah m’emmena jusqu’à la porte de la cave qu’elle ouvrit. De nouveau tremblante, elle me laissa passer devant. Je commençai par lancer un « Lumos », puis je descendis avec prudence. Déjà parce que l’escalier n’était pas commode. Ensuite parce que si je me retrouvais en face d’un épouvantard, je risquais de finir la descente en roulant. Rien que de penser à ce jour d’octobre, en compagnie de Ruby que j’avais voulu protéger, j’en frissonnai d’horreur. J’avais vraiment eu l’impression de retourner en arrière, face à cette porte enflammée derrière laquelle Elizabeth hurlait de détresse…

Je pensais que Merindah aurait attendu en haut. Mais elle se tenait juste derrière moi, avançant à mon rythme.

- Il y a quelqu’un ? commençai-je par demander, à voix haute.

On ne savait jamais. Quoi que ce fut, cela pouvait être doué de parole. Mais il n’y eut aucune réponse.

- Bon… fis-je, un peu déçu.

Je regardai Merindah qui était pâle comme un linge et avait du mal à respirer.

- Tu devrais rester là, conseillai-je.

Je continuai et me retrouvai en bas. Je tendis l’oreille, ne perçus rien de plus qu’à notre arrivée. Augmentant la luminosité de ma baguette, j’avançai lentement vers le fond de la cave. C’était encore plus humide et sale qu’à ma dernière venue. En rangeant, nous aurions intérêt à nous protéger pour ne pas mettre la main sur un champignon ou de la moisissure… Bref, où était cette créature, cet épouvantard ou que sais-je ? Pour faire un peu avancer les choses, je déplaçai quelques objets à l’aide d’un sort, histoire de rester à bonne distance de ce qui pouvait surgir de ce capharnaüm. Il y avait comme une odeur de fourrure mouillée…

- Tu es sûre d’avoir vu… commençai-je.

Mais je fus interrompu par la chute d’une boîte en métal, et le froissement d’un sac. Soudain, une ombre me fonça dessus. Mon seul réflexe fut de lancer un « Protego » informulé, et la chose fut projetée quelque part sur le côté. Il y eut une multitude de bruits, et je vis alors un sac poubelle filer vers l’escalier, droit sur Merindah qui poussa un hurlement de terreur. Attends… un sac poubelle ?

- Accio ! lançai-je.

Le sac poubelle resta sur place et atterrit aux pieds de la demoiselle qui était tombée à la renverse dans l’escalier. Le sort m’envoya l’animal que j’attrapai de ma main libre par le derrière de la peau du cou. C’était… un chat. Et un chat bien mal en point. Il était maigre comme un clou et si faible qu’il se débattait à peine. Pauvre bête… Depuis combien de temps était-il ici ? Mon regard tomba sur la lucarne à demi ouverte qui se trouvait au fond de la cave. Il avait dû rentrer pour s’abriter sans trouver le moyen de ressortir… Il devait être affamé. Il semblait jeune également. Il lui manquait un peu de poils par endroits et l’une de ses pattes avant pendouillait mollement.

- Merindah, ça va ? demandai-je en la rejoignant.

Je rangeai ma baguette pour porter correctement le chat dans mes bras.

- Rien de cassé ?

Visiblement non mais elle avait l’air réellement bouleversé. D’un revers de main, elle essuya ses yeux larmoyants et dit :

- Je… je crois…

Elle avait eu une sacrée frayeur.

- Je suis désolée… souffla-t-elle en peinant à retenir ses sanglots. Je suis vraiment désolée...

Je ne pensais pas qu’elle en serait si tourmentée, et j’avouais avoir du mal à comprendre sa réaction. Avait-elle craint, comme moi, de se retrouver face à une créature lui rappelant un traumatisme du passé ? Ou était-elle simplement hypersensible ? Ou les deux ? Je n’en savais rien du tout. Mais ce n’était sûrement pas le moment de lui poser la question. Elle avait l’air si démuni et si fragile que je laissai le chat, m’assis sur la marche à côté de Merindah et la pris doucement par les épaules.

- Tu n’as aucune raison de t’excuser, la rassurai-je. Ҫa va aller, ce n’était qu’un chat.

Ce dernier était d’ailleurs si faible qu’il ne chercha même pas à s’enfuir.

- Viens, je vais t’aider à remonter, décidai-je. Le rangement attendra.

D’une main, je ramassai le félin, et de l’autre, je soulevai ma collègue sous le bras pour la remettre debout. Je la soutins jusqu’à ce que nous soyons retournés au cabinet, et je refermai la porte de la cave derrière nous.

D’abord, je fis asseoir la jeune femme sur un fauteuil. Ensuite, à l’aide de ma baguette, je fis apparaître une caisse de transport pour chat dans laquelle je plaçai l’animal. Puis j’allai me laver les mains, et ramenai un mouchoir à Merindah, avant de tirer une chaise pour m’asseoir près d’elle.

- Tout va bien, tu es en sécurité ici, dis-je d’un ton calme pour l’aider à s’apaiser.

Ma main alla doucement lui frotter le dos en signe de réconfort. La voir si pâle et tremblante était tellement différent de son aura solaire habituelle que c’en était presque choquant. Et je n’aimais pas du tout la savoir dans un tel état. Je devais faire quelque chose.

- Bouge pas, fis-je en me levant.

Je doutais qu’elle pût aller quelque part, vu le tremblement de ses jambes. Comme je connaissais bien les lieux, il ne fut pas difficile de dégoter quelques plantes, une tasse et de quoi faire chauffer de l’eau. Je préparai rapidement une petite infusion magique tranquillisante que je vins mettre dans ses mains.

- Tiens, ça te fera du bien.

Elle attrapa la tasse à deux mains, et la contempla tout en profitant de sa chaleur.

- Merci, dit-elle à voix basse.

Je me contentai d’un hochement de tête, et allai nettoyer le plan de travail sur lequel j’avais fait ma préparation. Un silence s’installa entre nous. Silence durant lequel je perçus la respiration profonde de Merindah qui tentait peu à peu de se calmer.

- C’était donc vraiment rien, n’est-ce pas ? demanda-t-elle alors que je me lavais de nouveau les mains.

Je fermai l'eau et me séchai.

- Rien de dangereux, confirmai-je en revenant m'asseoir.

Elle leva les yeux au ciel avec embarras.

- Eeeerh, quelle idiote, lâcha-t-elle avec un peu plus de désinvolture. J’ai cru que c’était…. Enfin… dans le noir et tout, ça ressemblait vachement à une créature de chez nous. Une créature qui ressemble littéralement à un sac poubelle en mauvais état…

Je fronçai les sourcils, ne connaissant pas la créature dont elle parlait.

- Mais… c’est celle qui a tué ma sœur et ma mère.

J’ouvris la bouche à demi, surpris. Maintenant, je comprenais pourquoi elle avait tant paniqué. La pauvre… Heureusement que ce n’était qu’un chat, finalement.

- Mais…. Mais tout de même. Je ne sais pas pourquoi je t’ai appelé, toi, continua-t-elle, confuse. J’ai un garde du corps à l’étage, c’est ça le pire. Je ne sais pas… t’appeler toi a semblé être… je sais pas, logique. Tu dois me trouver tellement stupide !

Elle rit nerveusement.

- Ҫa va me coûter combien de steaks cette histoire ?

Je fis semblant de réfléchir.

- Mmh... à mon avis, il faudrait le bœuf entier, répondis-je.

Nous échangeâmes un rire, bien que le sien fût encore trahi par le récent traumatisme. Ma main alla un instant se poser sur son avant-bras.

- Je suis désolé pour ta mère et ta sœur, dis-je, plein de compassion. Je me demandais pourquoi ça t’effrayait tant, je le sais maintenant.

Je brisai le contact, hésitai. Non, je n’allais pas lui demander quel genre de créature avait dévoré sa famille. Je ne voulais pas faire ressurgir de mauvais souvenirs. Au pire, j’irais chercher à la bibliothèque avec l’indication « ressemble à un sac poubelle usé ».

Je me retournai pour regarder le chat qui restait bien tranquille dans sa cage. Je ne savais pas trop ce que j’allais en faire. Je n’aimais pas spécialement les chats, en vérité… Par contre, je comptais bien le remettre sur pattes avant d’envisager son adoption par quiconque en voudrait. A l’infirmerie, je trouverais sûrement un remède adapté aux animaux, et les elfes de maisons lui prépareraient de quoi se nourrir.

- L’autre jour, je ne te l’ai pas proposé, repris-je, mais cette fois j’insiste. Quand tu voudras nettoyer la cave, appelle-moi. Et ne t’en fais pas pour aujourd’hui, tu ne m’as pas dérangé, assurai-je avec un sourire.

La demoiselle plaisanta sur le fait que j’allais la ruiner. Je ricanai puis nous reprîmes notre sérieux. Elle comprit que sa panique devait avoir eu l’air improbable à mon sens sans être au courant de la tragédie à laquelle elle avait fait face.

- Je vais te filer des actions dans une boucherie, ça ira peut-être plus vite.

Une riche idée ! Elle prit le temps de boire quelques gorgées d’infusion. Je la sentis un peu plus détendue mais hésitante. Finalement, elle se racla la gorge et prit la parole.

- Les Moremplis – c’est le nom de cette créature – vivent en Océanie uniquement.

Je ne pensais pas qu’elle en parlerait. Elle avait paru si bouleversée, j’imaginais qu’elle voulait vite oublier sa mésaventure. Je restai silencieux, attendant la suite.

- Ils…. Ils vivent seuls, mais entrent dans les maisons la nuit pour tuer… poursuivit-elle. Ils ne font aucun bruit, vivent dans l’obscurité, et dévorent leurs victimes. La seule manière d’en arrêter un est… de l’arrêter une fois qu’il a terminé.

Je fronçai les sourcils. Il devait bien exister un moyen de vaincre une telle horreur, non ? Elle expliqua qu’une fois qu’un Moremplis avait terminé de manger sa victime, il s’allongeait dans son lit pour la digérer. Puis il disparaissait. Un vrai cauchemar ambulant…

- C’était le soir de Noël. J’ai entendu un peu de bruit dans la chambre de ma sœur, mais… je ne sais pas, je ne me suis pas levée, je me suis rendormie. Puis… Y avait un orage, cette nuit-là… J’avais onze ans et elle douze, et un peu de mal à me rendormir. Du coup…. J’ai fini par aller dans sa chambre. Son lit était vide et…. Y avait du sang.

Je me tendis. Elle n’avait qu’onze ans…

- Alors… j’ai couru voir mes parents, je suis rentrée dans leur chambre. Mon père dormait, et… et à côté de lui, il y avait cette créature, à la place de ma mère. J’ai… il m’a vue, j’ai hurlé et quand mon père s’est réveillé, le Moremplis a disparu. Depuis…

Elle se tut et laissa échapper un long soupir rempli de tristesse, les yeux rivés vers le sol. La connaissant toujours pleine de vie, souriante, lumineuse, débordante de chaleur, je n’aurais jamais imaginé qu’elle cachait une enfance traumatisée par la mort brutale de sa mère et de sa sœur aînée. Je n’avais jamais vu de Moremplis, et j’espérais ne jamais y faire face. En pensant à ses victimes, je frissonnai d’horreur, ne sachant dire si elles avaient le temps de souffrir ou non.

Ce qu’avait vu Merindah cette nuit-là était tout simplement atroce. Je comprenais également mieux son envie de poursuivre la tradition familiale du soin Ngangkari qu’utilisait sa mère. Une bien belle manière de lui rendre hommage.

- Bref… Voilà. Heureuse que ce ne soit qu’un chat, conclut la jeune australienne d’une voix rendue un peu tremblante par le récit du drame.

En temps normal, depuis la disparition d’Elizabeth, j’avais un peu de mal avec le contact physique, notamment avec les femmes. Pour exercer des soins, je n’avais évidemment aucun problème. Mais même si je ressentais l’envie d’enlacer pour le simple fait de réconforter, je n’y arrivais pas. Cela me donnait cette désagréable impression de trahir la mémoire de mon épouse. Avec Engel, ce n’était pas la même chose parce qu’elle était une enfant à mes yeux. J’aimais encore Elizabeth, elle me manquait terriblement. Chaque jour sans elle était une souffrance que je cachais tant bien que mal, que je n’arrivais pas à vaincre.

Là, à travers le récit de Merindah, le chagrin qui se lisait dans sa voix et ternissait ses traits ordinairement rayonnants, je ressentis cette envie de la prendre dans mes bras pour la réconforter, mais mon corps ne bougea pas d’un centimètre. Elle avait peut-être besoin de plus de soutien que des mots. Pourtant, je fus incapable de le lui montrer. Tout ce que je pus faire fut d’envoyer de nouveau ma main aller frotter doucement son dos.

- Avec plusieurs années de retard, je te présente toutes mes condoléances, déclarai-je. Et… je pense que ta mère peut être fière du chemin que tu as parcouru depuis. Tu marches sur ses traces avec brio. Et d’ailleurs, bon, ça n’a pas autant de valeur… mais moi aussi je suis fier de toi, ajoutai-je avec un sourire.

Je me gardai de lui dire que si elle s’était levée dès qu’elle avait entendu du bruit dans la chambre de sa sœur, elle n’aurait peut-être rien pu faire. Le Moremplis les aurait dévorées toutes les deux, avant de s’attaquer à leur mère puis à leur père qui ne se serait pas réveillé. Elle n’avait pas à culpabiliser pour ça, mais je ne dis rien, de peur de la froisser d’une quelconque façon.

- Tu as ton propre cabinet de médicomage, et ça c’est cool, ajoutai-je, plus légèrement. La réserve mérite un bon récurage et c’est visiblement l’antre des chats perdus dans les sacs poubelle… Mais au moins, on lui a évité une bien triste fin, fis-je remarquer avec humour. Je suis sûr qu’il est content et qu’il nous remercie.

Nous regardâmes vers le chat qui n’avait pas plus d’expression qu’une statue de cire.

- Bon OK, ça ne se voit pas, comme ça… Il doit sûrement intérioriser.

Elle leva un regard humide vers moi et demanda si je pensais vraiment ce que je disais au sujet de l’estime que je lui tenais, et que sa défunte mère devait ressentir là où elle était. J’affirmai d’un signe de tête empli de sincérité. Puis elle essuya ses joues en lâchant un petit rire, déclara que si le chat était dans la cave depuis aussi longtemps, la caisse devait le terrifier. Ah oui… Je n’y avais pas pensé. Je la regardai se lever et approcher de l’animal. Elle s’agenouilla devant la cage et, d’un geste prudent, l’ouvrit doucement. Cependant, il resta prostré au fond, le regard perdu.

- Mon garde du corps a un chat, dit Merindah. Je peux passer le voir pour lui emprunter de quoi le nourrir, mais… ensuite quoi ? Je peux pas vraiment m’en occuper, avec Rainbow, ce serait un désastre…

Effectivement. Chien et chat pouvaient s’entendre. Mais un jeune chien curieux et plein d’énergie face à un chat faible et terrorisé, j’en doutais fortement.

- Qu’est-ce qu’on peut faire ? s’enquit ma jeune collègue en se tournant vers moi. A cette heure-là, le vétérinaire magique doit être fermé, faudrait descendre sur Londres pour en trouver un ouvert… Mais je doute que transplaner lui plaise.

Elle jugea bon de le remettre sur pied avant tout, mais loin du jeune chien de berger qui vivait chez elle. Oui, c’était le mieux à faire. Je me levai à mon tour et m’agenouillai à côté d’elle pour observer le chat. Il eut un mouvement de recul mais à part s’écraser un peu plus contre la paroi, il ne put aller bien loin. A mon avis, il n’allait pas sortir tout de suite.

- En attendant de lui trouver un refuge, je pensais l’emmener avec moi, suggérai-je. Le placer dans un lieu neutre le rassurera un peu plus.

Même si Rainbow se trouvait au-dessus de nous, dans l’appartement de Merindah, son odeur planait ici et le chat devait la capter.

- Les elfes de maison lui trouveront de quoi le requinquer. Mais d’abord, tu as raison, il faut le soigner.

Je réfléchis, grattant la courte barbe de mon menton du bout des doigts.

- Je te propose d’aller demander un peu de nourriture à ton garde du corps. Et pendant ce temps, je vais essayer de faire sortir cette petite bestiole pour commencer à la soigner. Je me demande si ton prédécesseur ne gardait pas une boîte destinée au soin des animaux, en cas d’absence du mage vétérinaire, fis-je en fouillant dans ma mémoire. Je vais redescendre à la cave et voir ce que je trouve.

Je me levai, tendis ma main pour l’aider.

- Ça te va ?

Elle déclara que le chat serait au calme avec moi, au château. Puis elle accepta le plan que je lui proposais, et chacun partit de son côté, moi au sous-sol, elle à l’étage.

Ma recherche ne fut pas une mince affaire. Armé de ma baguette pour éclairer mon chemin, je farfouillai dans tous les recoins, à chaque fois certain que dans un tiroir ou au fond d’un placard se trouvait du matériel de soin pour animaux. Je vidai quasiment toutes les étagères d’une armoire qui se trouvait au fond de la réserve – probablement là où le chat avait passé le plus clair de son temps – sans dénicher le moindre pansement.

Dans un soupir, je passai au côté opposé de la pièce, manquai de me casser la figure en trébuchant sur un chandelier à moitié rouillé. Je réussis à rester debout en m’appuyant sur un meuble en métal chargé de poussière qui vola tout autour de moi. Je toussai, éternuai deux fois.

- Scheiße*… maugréai-je, désemparé en réalisant que le nettoyage allait être plus long que prévu.

Je n’étais pas découragé pour autant. Si j’avais dit à Merindah de m’appeler pour débarrasser tout cela, je comptais bien honorer ma promesse.

Poursuivant ma recherche, je finis par trouver le graal dans une caissette en bois qui se trouvait sous un amas d’autres caisses et planches que la moisissure avait commencé à attaquer. Elle portait les inscriptions « Soins pour animaux. » Quand je pus enfin l’atteindre, j’utilisai un « Alohomora » pour la déverrouiller. C’est à ce moment-là que j’entendis des pas en haut des escaliers, et la voix de Merindah.

- Constantine ? T’es vivant ?

J’eus un sourire en coin mais ne répondis pas, bien trop concentré sur l’intérieur de la boîte que j’inspectais minutieusement. J’y trouvai du désinfectant, des compresses, un rouleau de bandage, des onguents, quelques potions et des plantes.

- Si t’es en danger, je suis pas sûre de venir te chercher, mais tu as tout mon soutien, promis !

Je ricanai, levai devant mes yeux une fiole de potion anti puces.

- Constantine ?

J’ouvris la bouche pour répondre, mais elle reprit.

- Constantine, j’ai de la bière bien fraîche à l’étage !

J’éclatai de rire, me tournai vers la sortie, ébloui par ma baguette que j’avais posé à côté de moi. D’ici, je ne voyais pas Merindah mais je devinais vers où je devais laisser porter ma voix.

- J’espère que c’est vrai, sinon gare à toi ! répondis-je.

Je reposai la fiole, fermai la caisse et la soulevai. Je la calai sous mon bras et, de ma main libre, attrapai ma baguette avant de retourner en bas des escaliers.

- La bataille fut rude mais j’ai ce qu’il faut, annonçai-je fièrement en remontant vers ma collègue.

Je m’arrêtai sur l’avant-dernière marche et lui tendis la caisse.

- Elle n’est pas lourde, assurai-je. Je te la laisse, je dois me dépoussiérer.

En effet, à force d’avoir soulevé la saleté et les toiles d’araignées, j’en avais partout sur les vêtements, et même dans les cheveux. Je les enlevai comme je pus avec les mains, et à l’aide de la magie, même si je n’avais jamais été très doué pour le nettoyage magique… Au moins, j’avais enlevé le plus gros et ne risquais pas de salir le cabinet de Merinda.

- Tu as pu… commençai-je.

Je me détournai pour éternuer encore. Satanée poussière !

- Excuse-moi… Tu as pu trouver à manger à notre nouvel ami ? m’enquis-je en franchissant l’encadrement avant de refermer la porte derrière moi.

Elle feignit d’être offensée par le fait que je doutais de son stock de bière existant. Puis elle se mit à rire.

- A tes souhaits ! fit-elle avant de repartir vers le bureau.

- Danke*, dis-je en la suivant.

Elle déposa la caisse et l’ouvrit pour regarder son contenu. Pendant ce temps, elle m’expliqua qu’elle avait déposé de la nourriture devant la cage du chat mais qu’il n’avait pas l’air décidé à sortir. Elle proposa de le laisser tranquille au calme et de revenir plus tard. Nous aurions peut-être plus de facilité à le soigner quand il aurait mangé.

- Je doute qu’il décide de se laisser toucher pour le moment…

- Tu as raison, affirmai-je. On doit l’effrayer.

Pour mon plus grand plaisir, la jeune femme déclara qu’elle avait effectivement quelques bières fraîches.

- On peut monter chez moi pour le laisser tranquille, un peu. J’ai de quoi nous faire à manger, donc ça nous laisse le temps de dîner et de redescendre ensuite plus tard. Il sera probablement un peu plus coopératif s’il voit que tout va bien ici. Qu’en dis-tu ?

Je regardai l’heure sur la pendule du bureau. Mes horaires de service à Poudlard étaient officiellement terminés pour aujourd’hui, je pouvais donc rester ici en la charmante compagnie de Merindah. Alors je hochai la tête.

- Très bonne idée, répondis-je. Je te suis. Et merci pour l’invitation.

Je fermai la caisse de soins pour animaux. Nous quittâmes ensuite le cabinet qu’elle avait verrouillé de l’intérieur, et nous montâmes jusqu’à son appartement. Dès notre entrée, nous fûmes accueillis par un Rainbow très content de revoir sa maîtresse. J’eus aussi droit aux fêtes, et me mis à rire quand il s’étala par terre, sur le dos, pour recevoir des caresses. Je m’accroupis et lui grattouillai le ventre tandis que sa queue s’agitait de joie contre mes chaussures.

Après avoir contenté le canidé – bien qu’il aurait sûrement voulu des caresses à l’infini – je me redressai et contemplai les alentours. C’était un joli appartement de taille moyenne, bien aménagé sans être trop chargé malgré la présence de nombreuses plantes vertes et fleurs exotiques. Les tons crème et beige du salon ouvert sur la cuisine donnaient ce côté chaleureux que je reconnaissais en Merindah. Un couloir semblait mener vers le reste de la demeure. Toutefois, même si mon hôte déclara que je pouvais faire comme chez moi, je restai dans la pièce à vivre, bien trop intéressé par certaines plantes dont j’en reconnaissais certaines pour leurs vertus guérisseuses.

Je n’étais jamais venu ici quand son prédécesseur l’occupait. Vu le phénomène et l’état du cabinet, sans parler de la réserve, je me disais que la présence de la jeune australienne rendait les lieux beaucoup plus accueillants. J’entendis la demoiselle fouiller dans son frigo, et la vis poser deux bouteilles de bière accompagnées de verres adaptés sur le comptoir qui nous séparait. Des bières australiennes apparemment. J’avais hâte d’y goûter. Ma collègue m’invita à prendre place sur l’un des hauts tabourets, ce que je fis avant de venir croiser les bras dessus.

- Alors… à manger… fit-elle en retournant voir dans le frigo.

Pendant ce temps, je m’occupai d’ouvrir les bières et de les verser dans chaque verre. Au fur et à mesure de ses trouvailles, Merindah les posait devant moi.

- Gambas grillées, chicken parmigiana et… si t’es sage, peut-être des lamingtons ! annonça-t-elle enfin. Qu’est-ce que t’en dis ?

Un sourire s’étira sur mes lèvres.

- Ce que j’en dis ? C’est que toi, tu sais me parler, répondis-je en secouant mon index dans sa direction. Enfin… à part pour les lamingtons, je ne sais absolument pas ce que c’est, avouai-je en haussant les épaules. Mais je te fais confiance.

Je ricanai et me levai pour la rejoindre de l’autre côté du comptoir.

- J’aimerais t’aider à préparer le repas, proposai-je. Tu m’acceptes dans ta cuisine ?

Je pris les deux verres de bière et lui tendis le sien.

- Mais d’abord, on trinque.

Elle déclara ironiquement qu’il était impardonnable de n’avoir jamais goûté à ses lamingtons, et qu’elle n’arrivait pas à croire au fait qu’elle ne m’en avait jamais fait à l’époque où les autres internes et elle essayaient de m’amadouer lorsqu’ils faisaient des bêtises. Cela me fit bien rire. Elle expliqua qu’il s’agissait d’un gâteau moelleux à la vanille enrobé dans du chocolat, le tout roulé dans de la noix de coco. J’en salivais déjà. Elle accepta mon aide pour le repas, et éclata de rire.

- Travailler sans être hydraté ? Mais Merlin, j’ai failli commettre l’irréparable ! Le comble pour un médicomage. Heureusement que tu es là, aaaah… on reconnaît tout de suite l’âg… je veux dire l’expérience ! taquina-t-elle.

Je lui lançai un faux regard de reproche.

- Toi, tu files du mauvais coton… fis-je pour illustrer mon âge avancé avec une bonne expression de « vieux ».

Mon rire se mélangea au sien. Les verres tintèrent entre eux, et chacun prit une gorgée de bière. Elle était très bonne !

- Bon, n’hésite pas à… ouvrir les tiroirs et placards, dit ma jeune collègue. Ce n’est pas toujours parfaitement organisé ou rangé, mais ça n'est pas au point de la réserve. Aucun chat dans un sac poubelle ne devrait te foncer dessus.

- Il y aurait du souci à se faire, commentai-je avec un sourire en coin.

Au moins, son traumatisme était passé et elle en riait maintenant.

- Tu prépares la marinade des gambas pendant que je m'occupe du poulet ? proposa-t-elle. Je dois avoir de l’ail, de l’huile et… oh du citron vert, tiens ça peut être pas mal. Je dois aussi avoir un peu de piment, si ça te tente. Juste… fouille. Tout est dans le placard de droite.

- Ҫa marche.

Je réussis à trouver ce que je cherchais, avec un peu d’aide de temps en temps, notamment pour la ciboulette et le persil qui se cachaient au fond du frigo.

- Je te propose de laisser les gambas telles qu’elles, et de les décortiquer au moment de manger, dis-je avant de me mettre à l’œuvre. On va s’en mettre plein les doigts, mais c’est ça qui est bon, commentai-je avec un hochement de tête entendu.

Et surtout, cela me ferait gagner du temps à la préparation puisqu’il fallait laisser mariner les gambas une bonne heure avant de les faire cuire. Après m’être lavé les mains, je m’installai sur le plan de travail à côté de Merindah et versai les petites bestioles dans un saladier. Je les recouvris d’une bonne dose d’huile d’olive, de jus de citron et d’ail écrasé. Je n’y mis cependant que très peu de piment, ne supportant pas beaucoup l’épicé. Puis je ciselai la ciboulette et ajoutai le sel et le poivre. Je mélangeai le tout et mis le saladier au frigo pour laisser mariner.

En attendant, je regardai la demoiselle préparer le poulet, ajoutai un peu de parmesan dans l’assiette quand il en manqua un peu au moment de tremper l’escalope dedans. Quand elle eut terminé, je m’appuyai dos au plan de travail, mon verre de bière à la main. La cuisson du poulet n’allait pas se faire maintenant, c’était rapidement fait et les gambas avaient besoin de mariner encore.

Je proposai donc à mon hôte de partager le paquet de chips que j’avais sorti d’un placard en cherchant les ingrédients tout à l’heure. Nous les dégustâmes assis sur les tabourets devant le comptoir.

- Parle-moi un peu de l’Australie, dis-je curieux quant au voyage que nous avions évoqué pour le mois de juillet. J’en ai eu un aperçu au mariage mais j’imagine que ça ne suffit pas. Et puis… c’est toujours mieux d’avoir le point de vue de quelqu’un qui y est né et y a vécu.

Lorsque je rétorquai qu’elle filait du mauvais coton, elle pouffa de rire. Puis, avant même que je pusse prévoir le geste, elle se mit sur la pointe des pieds et m’embrassa sur la joue. Mon air surpris l’amusa de plus belle, et elle en joua en disant que les jeunes de nos jours avaient un sacré culot. Je levai les yeux au ciel avec un rire. Je ne lui faisais pas dire ! Elle m’avait perturbé, cette petite maligne…

La jeune australienne déclara ensuite qu’elle n’avait pas elle-même vidé et rénové l’appartement, et que c’était l’œuvre de son père qui avait embauché des sorciers professionnels.

- Puis il a insisté pour que ses gars fassent le reste. J’ai dit non, je voulais organiser le cabinet et la réserve moi-même, mais franchement, j'aurais peut-être dû l’écouter, je ne m’attendais pas vraiment à ça.

Si j’avais su, j’aurais trouvé un moyen de contacter son père pour lui dire de gérer la réserve. Maintenant, c’était à moi de le faire… Mais bon, je n’allais pas m’apitoyer sur ça. Je m’étais proposé et, au moins, cela me permettrait de connaître tout ce que Merindah aurait en sa possession pour exercer son métier. Après coup, je pourrai l’aider à compléter avec les éléments manquants. Ce serait laborieux mais très rentable.

- L’Australie… c’est un beau pays, déclara-t-elle alors qu’elle s’attaquait à la préparation des lamingtons, sous mon regard curieux. La nature y est splendide. Tu l’as vue dans le grand Sud, en plein automne. Mais là où on ira, il y fera bien plus chaud alors qu’on sera en plein hiver. On ira plutôt dans le Centre et le Nord. C’est un pays… différent. Sous bien des formes, outre son climat. La culture est différente. Ici, il y a… une culture bizarre, traditionnelle, raciste sur les bords… Chez nous c’est différent. Combien d’atrocité sang-pur j’ai vu ?

Mon cœur se serra en entendant ses mots.

- Entre mariages arrangés, manigances et pouvoir… c’est écœurant. Chez nous, c’est différent. Très différent. Mon père n’aurait aucunement désir d'arranger quelconque mariage pour la « pureté du sang » ou le statut. Au contraire… il avait grincé des dents quand j’avais dit fréquenter Amos. Il disait de se méfier de ces vieilles familles Européennes. Ça n’a pas loupé, mais… outre ça, j’ai la sensation qu’en Australie, les gens sont juste beaucoup plus tolérants, cosmopolites et à se moquer bien plus des origines.

Elle eut l’air soudain gêné et désolé.

- Navrée, c’est mon point de vue, dit-elle. C’est… le point de vue d’un étranger sur la situation actuelle, je suis désolée si ça te froisse.

Je secouai la tête, les mains jointes en bas de mon verre de bière à moitié vide.

- Nein, ne t’inquiète pas, assurai-je. Tes propos sont compréhensibles… et justes.

Je haussai les épaules.

- Pour être honnête, à moi non plus, ça ne me plaît pas. Cette idéologie des sangs-purs… Ҫa ne fait que répandre le mal et diviser le monde. On se croirait pendant le Troisième Reich avec la race aryenne. C’est décevant.

Je soupirai.

- Je viens d’une famille de sangs-purs, pourtant, je ne me sens pas supérieur à un sang-mêlé ou un moldu. Ni différent.

Mon regard tomba sur mon alliance.

- La preuve, je me suis marié avec une moldue, fis-je avec un sourire nostalgique.

Je regardai Merindah.

- Et mes parents ne m’en ont pas tenu rigueur, bien au contraire. Mais tu vois, avec ces idioties de pureté du sang, j’ai quand même craint leur réaction. C’est bête parce que je les connais, je sais très bien qu’ils seraient les derniers sorciers à renier les moldus.

- Nan, c’est compréhensible, répondit-elle. Avec tout ce qu’il s’est passé, la première guerre des sorciers, puis la deuxième, et maintenant… ça. Ça se comprend.

Elle ajouta que sa famille s’en fichait. Si elle se mariait à un sang-pur, cela les ravirait par rapport à l’héritage traditionnel, mais si elle aimait un moldu, personne ne dirait rien.

- Mon ex fiancé était un né-moldu, ça n’a jamais choqué mon père. Il est marié à ma sœur, d’ailleurs…

Ah.

- Bon, mon père le déteste, désormais, mais pas pour ses origines, rit-elle.

Cette histoire sentait la trahison… Mais je ne posai aucune question, cela ne me regardait pas.

- Mais ! Je crois que c’est une des rares fois où je t’entends parler de ta femme, lança-t-elle, avec surprise.

Elle avait raison. Même avant, lorsque nous travaillions ensemble à Ste Mangouste, je n’étais pas du genre à étaler ma vie privée devant mes collègues. Beaucoup savaient que j’étais marié, et on me demandait souvent « comment allait madame » quand on se disait bonjour le matin. Mais les conversations de couloirs s’arrêtaient là. Étant de nature un peu réservée, je n’avais pas annoncé la grossesse d’Elizabeth dès que la première échographie du troisième mois confirma la bonne santé du bébé. Je m’étais dit que j’attendrais la naissance de ma fille pour la leur présenter…

Ce n’était plus la peine d’en parler, désormais.

De plus, même si j’avais demandé à ce que la raison de ma démission ne fût pas révélée dans tout l’hôpital, je me doutais bien qu’à un moment donné, hors du cadre du travail, les employés de la direction avaient laissé échapper l’information. Ce qui me poussait davantage à ne pas retourner là-bas. Je n’avais vraiment pas envie de subir les « désolés » et les condoléances. Ce serait trop dur à supporter. L’enterrement avait déjà été un véritable supplice. A tel point qu’après presque quinze mois, je n’osais pas retourner au cimetière.

Comme tout avait brûlé dans la maison, je ne possédais pas la moindre photo d’Elizabeth pour me rappeler son bon souvenir et la douceur de ses traits. J’avais peur de craquer complètement et faire une bêtise si j’allais contempler le portrait qui se trouvait sur sa tombe.

- J’ignorais qu’elle est moldue, poursuivit Merindah alors que je chassais mes sombres songes pour cacher mon soudain mal-être. Rien contre cela, vraiment. Juste… une femme chanceuse de t’avoir.

Elle me fit un sourire que je lui rendis en guise de remerciement.

- Ce doit être une femme charmante. Vous êtes mariés depuis longtemps, d'ailleurs ? s’enquit-elle, curieuse.

Et c’était reparti pour mentir…

- Ҫa fait deux ans, dis-je en observant les œufs qui se battaient tous seuls à l’aide de la magie. Mais nous nous sommes rencontrés il y a sept ans.

Le souvenir fit immédiatement surface et je revis Elizabeth débarquer à Ste Mangouste avec sa blessure au bras, mordue par une créature magique. Elle était encadrée par deux mages infirmiers qui tentaient de la rassurer au sujet de toutes les choses bizarres qu’une moldue comme elle pouvait voir tout autour d’elle depuis son entrée dans le bâtiment.

- C’était une de mes patientes, dévoilai-je avant de lever les yeux sur Merindah. Et avant que tu fasses la remarque, ajoutai-je tandis que son regard se faisait étonné, oui, j’ai fait une entorse au règlement : je ne l’ai pas oubliétée avant sa sortie.

Je ricanai.

- Révélation : ton ancien mentor parfait ne l’est pas tant que ça, plaisantai-je. Mais j’ai un mot d’excuse, ça s’appelle le coup de foudre.