Elle eut l’air faussement révolté, la main posée sur le cœur et la bouche à demi ouverte.

- Par Merlin, Constantine ! s’exclama-t-elle. Moi qui te considérais comme un modèle, comme un héros ! Ooooh me voilà absolument cho-quée !

J’éclatai de rire.

- Ça va, ça va, t’as de la chance, je ne vais rien dire, ton secret est sain et sauf, fit-elle sur le ton de l’humour, avant de rire à son tour.

Elle but une gorgée de bière et je l’imitai. Je la regardai terminer la confection du dessert, acceptai sa demande de préparer une salade pour l’entrée.

- Mets-y…. ce que tu veux dedans, je te fais confiance même si maintenant, je sais que tu brises les règles des hôpitaux !

Je ricanai en allant fouiller dans le frigo, tandis que mon hôte démarrait le grill pour les gambas. Je lui donnai le saladier dans lequel marinaient les bestioles, et sortis les ingrédients pour la salade : quelques jeunes pousses de verdure mélangées, une tomate, des dés de jambon, un peu de fromage, un demi avocat et un demi pamplemousse. J’aimais beaucoup le mélange sucré-salé, j’espérais que cela plairait aussi à Merindah. Avec cela, je préparai une sauce qu’Elizabeth faisait souvent et que j’appréciais : un peu de crème fraîche, une cuillère à café de miel, une autre de moutarde, un peu de sel et de l’huile d’olive. Le tout mélangé donnait une saveur particulière à la salade, entre salé, sucré et piquant.

L’odeur des gambas commença doucement à se répandre dans l’appartement, et mon estomac se mit à crier famine. Que j’aimais ce parfum ! J’avais hâte d’y goûter. J’étais en train de terminer ma bière quand Merindah déposa la dernière gamba dans un plat.

- Allez, commençons ! fit-elle, satisfaite. Tu peux amener les gambas à table ? demanda-t-elle.

- Jawohl Kapitän*, répondis-je en attrapant le plat.

J’allai le déposer près de la salade et du poulet. La demoiselle ajouta deux nouvelles bouteilles de bière. Nous mîmes rapidement le couvert et pûmes enfin nous installer devant notre assiette.

Ce fut un repas bien agréable, et une des rares fois où j’oubliai un peu mes malheurs pour ne penser qu’à l’instant présent. Le côté solaire de Merindah et sa positivité faisaient véritablement du bien. Je fus presque déçu de voir la fin de la soirée arriver. Le temps était passé si vite…

- C’est une tuerie ces trucs, dis-je en mangeant encore un lamington avec gourmandise. Arrête-moi ou je vais tout manger.

Je pris cependant le temps de bien le savourer, comme le précédent.

- J’espère que notre rescapé n’a pas mis le cabinet sens dessus dessous, commentai-je en pensant au chat que nous avions laissé en bas.

Elle rit en me disant qu’elle m’avait prévenu pour les lamingtons. Puis elle assura que même si le chat avait mis le bazar, le rangement ne serait pas insurmontable, et que cela ne pouvait pas être pire que lorsque j’étais venu l’aider la première fois.

- N’empêche, faudrait peut-être pas trop tarder à aller le voir, dit-elle. Il doit être assez perdu, le pauvre…

- Oui.

J’avalai ma dernière bouchée de lamington, détournai le regard du plat comme si cela allait me persuader de ne pas en prendre un autre. Je résistai à peine deux secondes avant de me servir encore. Merindah semblait dans ses pensées.

- Mh, au fait, je t’ai pas proposé, navrée, mais si ta femme veut t’accompagner en juillet pour notre voyage, elle serait la bienvenue, proposa-t-elle soudain.

Je faillis avaler de travers, le cachai en buvant une bonne gorgée de bière.

- J’ai commencé quelques réservations mais je pourrai facilement ajouter une personne de plus, si besoin.

Était-ce le moment de lui dire la vérité au lieu d’inventer des histoires à deux noises ? Sur le coup, j’ouvris la bouche, prêt à le faire. C’était maintenant.

- C’est gentil de ta part, répondis-je. Mais ce ne sera pas la peine.

Je me raclai la gorge pour faire passer les petits picotements qui me gênaient.

- Elle…

L’hésitation me gagna. Je devais arrêter de mentir, c’était idiot. Cela ne ferait pas revenir Elizabeth.

- Elle a la santé fragile.

Oh bon sang…

- Elle ne supporte pas les longs trajets, poursuivis-je avec un sourire désolé. Nous sommes allés sur l’Île de la Réunion pour notre voyage de noces, ajoutai-je, et ce n’était pas un mensonge. L’aller s’est bien déroulé mais le retour a été… long.

Ça aussi, c’était vrai. Sauf qu’elle avait simplement été un peu nauséeuse au décollage de l’avion, en vérité.

- Et on peut oublier le Portoloin, ce serait pire, plaisantai-je. Mais ne t’en fais pas, dis-je en chassant l’information d’un revers de main. L’Australie est trop effrayante. J’affronterai les scorpions géants pour elle.

J’aurais largement préféré…

- En attendant... fis-je en me levant. Je t’aide à débarrasser, et on va essayer d’aller soigner le chat.

Elle répondit simplement que l’absence de mon épouse était dommage mais elle comprit et ne chercha pas à en savoir davantage. Je l’en remerciai intérieurement.

- Et ne t’en fais pas, je te protègerai des scorpions géants !

Elle se leva à son tour, approuva le fait que nous ne devions pas tarder à retourner voir le chat. Je l’assistai pour débarrasser toute la vaisselle, et je la vis mettre le reste des lamingtons dans une boîte en plastique qu’elle me tendit.

- Tiens, ce sera ta récompense pour avoir volé à mon secours, dit-elle avec un sourire. Et ton indemnité kilométrique d’être venu jusqu’ici.

Nous nous mîmes à rire, je pris la boîte en la remerciant. Nous quittâmes ensuite l’appartement et redescendîmes au cabinet. Rien n’était sens dessus-dessous, et le félin avait mangé tout son bol de croquettes.

- Bon… il a l’air d’avoir bien mangé, c’est bon signe, commenta ma collègue.

- Oui. Il ne reste plus qu’à essayer de l’attraper.

Et ce ne fut pas une mince affaire. Même en étant les plus doux et persuasifs possible, le pauvre chat ne se laissa pas vraiment faire. Malheureusement pour lui, je dus lui administrer un calmant, sinon il m’était impossible de l’examiner.

Comme je l’avais aperçu dans la cave, l’une de ses pattes avant était cassée. Il portait des traces d’écorchures là où il lui manquait des poils, et il s’était aussi abîmé quelques griffes. Tandis que Merindah désinfectait ses plaies, je m’occupai de poser une petite attelle sur sa patte cassée. Avec un sort, je la fixai correctement de façon à ce qu’il ne pût pas l’enlever. Puis nous réparâmes ses griffes, et mademoiselle – car nous découvrîmes qu’il s’agissait d’une femelle – put retourner dans sa petite caisse de transport pour sortir de sa torpeur. Si j’arrivais à lui faire un bain, cela n’allait pas être du luxe. Son pelage sentait l’humidité et la moisissure…

- Je crois que je vais profiter de son ensommeillement pour l’emmener, et tenter de l’apprivoiser un peu pendant son réveil, déclarai-je.

Je pris la cage d’une main, la boîte de gâteaux de l’autre et souris à Merindah.

- Ҫa t’évitera une bagarre chien-chat.

Je me dirigeai vers la sortie.

- Je te donnerai des nouvelles. Merci pour le repas, et à bientôt !

Et je quittai le cabinet, et Pré-au-Lard pour retourner au château.