Adossé à la palissade entourant le potager situé à l'arrière de sa cabane – elle était sienne depuis trois hiver déjà – Stephen observait de manière assez sceptique, avouons-le, quelques légumes pousser sans relâche malgré la morsure du froid. Décembre. Les tomates ca poussent pas en décembre, putain, grinçaient ses pensées. Sauf quand on est sorcier, naturellement. Là, ca arrange tout le monde. Sauf la nature. On ne dérègle pas la nature, enfin. Mais bon, passons cet instant écolo. Le regard de Stephen obliqua en direction des serres... il ne les voyait pas, non, il supposait simplement leur emplacement. Leur emplacement à elles comme l'emplacement du professeur de botanique. A tous les coups il était lié au dérèglement climatique du potager. Le garde-Chasse n'avait rien contre le professeur Londubat, non, ses pensées filaient à tout va sans tenir compte du qui que quoi comment. Son regard se déporta ainsi à l'opposé, derrière, loin derrière, vers la foret interdite, délaissant ainsi les légumes pour se porter sur un autre sujet ; celui des sapins. Car c'est lui qui, chaque année, amenait ce dernier (avec quelques sortilèges, quand même), majestueux, sélectionné avec rigueur par ses soins, à la grande salle afin qu'il y soit décoré pour les fêtes à venir. Ces dernières approchaient d'ailleurs. Il n'était peut-être que le six décembre, mais Stephen voyait bien que les jours s'écoulaient à vitesse fulgurante. Et il n'était toujours pas tombé sur le sapin de ses rêves. Oui, ses rêves à lui. Celui qui ferait briller les yeux des gosses autant que les siens, celui qui accompagnerait les rêves de tout un chacun tant sa verdure était belle, son envergure ébouriffante, sa hauteur vertigineuse et son volume encombrant. Ajouter à cela des décorations et sa vue serait tout simplement exquise.
Objectif du jour bien en tête, celui de choisir un sapin unique pour une fête unique, Stephen se détacha de la palissade, quitta la zone du potager, contourna sa cabane et mit cap vers la zone interdite. La lisière, au moins. Visage farouche, dur, émacié, qui incline peu à le déranger, il n'était pourtant pas du genre à rabrouer qui que ce soit – loin de là. Mais les années avaient beau s'écouler, les apparences restaient trompeuses et on ne l'abordait que moyennant une demande nécessaire ou pour un pari idiot auquel le garde-chasse se prêtait volontiers au jeu. Bref, Stephen n'avait pas la cote avec les adolescents, c'était dommage, mais il vivait sans mal avec. Parce que certains venaient quand même le voir, lui parler, de tout comme de rien, ou simplement lui tenir compagnie silencieusement. Les professeurs aussi, heureusement quelque part, sinon la situation aurait été bien triste sous tous les rapports. Parlant de professeur, l'homme se demanda une fraction de seconde quand viendrait l'embêter de nouveau une certaine rouquine avant de voir à quelques pas de lui, à trois mètres voire moins de la lisière de la foret interdite, une tête d'un blond cendré qu'il connaissait bien mais qui s'était éloignée de lui radicalement le mois dernier ; Nora Sorensen. Leur relation cordiale voire amicale malgré la différence d'âge avait tournée au vinaigre quand elle avait découvert une tâche jugée horrible du Garde-Chasse ; la cueillette d'ailes de fées. Pas sa tâche, encore moins son activité, préférée, mais elle avait été nécessaire, on le lui avait expressément demandée. Elle devait comprendre. Il l'espérait en tout cas car mine de rien il appréciait ses quelques visites et discussions.
« Interdiction de pénétrer la foret, tu le sais bien, Nora, fit-il mine de gronder avant de se gratter la nuque et de reprendre toujours en approchant d'elle avant de la dominer complètement de sa hauteur : Alors que fais-tu dehors, à cet endroit précis, par ce temps glacial ? » Une introduction distante et une inquiétude présente. L'avait-on mis au défi ? Ou souhaitait-elle briser la glace et refaire 'la paix', comme ils disent ?