Je gérais de nombreuses choses dans ma vie. Les filiales de l’entreprise familiale en Angleterre, les arrangements, les conflits européens… Oui. Je gérais beaucoup de choses. Mais s’il y avait bien une chose que je ne gérais pas, c’était qui pouvait faire partie de ma garde rapprochée. D’abord car je n’avais pas le temps pour cela. Ensuite car mon père était en grande partie le responsable de nos hommes de main. Enfin, parce que mon père comme moi avions toute confiance en Small, le supérieur des gardes de la maison Narkhirunkanok.
Aujourd’hui, d’ailleurs, allait être le début de quelques nouvelles recrues et surtout d’un certain Alexis dont on m’avait vanté les mérites. L’homme n’était pas arrivé depuis longtemps et avait pourtant fait preuve d’excellence sur le terrain. Une promotion méritée lui avait donc été accordée. Soit. A vrai dire, je ne voyais pas réellement d’inconvénient à voir ma garde s’agrandir. S’il était de confiance, je n’aurais rien à dire. Dans le cas contraire, il suffirait d’un malencontreux sort pour nous éviter davantage d’ennuis.

Ainsi prêt, je m’étais rendu dans l’un des salons d’accueil, thé servi pour commencer cette journée, afin d’attendre Small, Jack et le petit nouveau. J’aimais à connaître mes hommes, à connaitre leur visage et à leur parler avant toute mission. Ils vivaient pour l’immense majorité près de moi. Mieux valait, donc, que je sache à qui j’avais à faire.

Arquant un sourcil, j’avais autorisé l’entrée dès lors qu’un bruit à la porte m’indiqua leur présence. Parfait. Pile à l’heure, comme d’habitude. Une chance au vu du nombre de rendez-vous qui m’attendait encore ce matin.

- Bonjour Small. Avais-je salué. Jack.

Elle ? Je n’avais pas salué ledit Alexis, soudain arrêté par les paroles de mon chef de garde. Comment ça, elle ? Clignant des yeux, mon regard s’était tourné vers la nouvelle recrue apparaissant sous mes yeux qui… Était effectivement une « elle ».
Comment pouvait-elle être une « elle » ? Enfin… ce n’était pas… Qui avait eu l’idée saugrenue d’accepter une femme ici ? Fronçant légèrement les sourcils, j’avais hoché la tête à l’encontre de Small.

- Merci. Laissez-nous s’il vous plait. Je vais m’entretenir avec… Alexis, c’est cela ? Soufflai-je.

Alexis… C’était un prénom masculin, non ? Pourquoi portait-elle un prénom masculin ? Était-elle… Oh. Peut-être avait-elle changé de sexe. Cela expliquerait bien des choses.
Laissant ainsi Small et Jack quitter la pièce, j’avais esquissé un léger sourire presque trop avenant, invitant la jeune « femme » à s’installer face à moi.

- Un thé ? Proposai-je. J’ai pour habitude de ne pas m’entretenir avec mes hommes mais il semble visiblement qu’il y ait… Disons un changement dans mes recrutements. Vous êtes donc… Une femme... Peut-être donc préférez vous une simple tisane ?

Les pieds dans le plat, c’était le moins que l’on puisse dire, mais au moins ne tournai-je pas autour du pot. Je n’en avais ni le temps, ni l’envie.

- Mademoiselle Vega. Savez-vous quel métier vous vous apprêtez à faire ? Demandai-je alors, tentant de comprendre pourquoi mon père avait pu autoriser une telle « promotion ». Pensait-il qu’elle pourrait me séduire pour que je cesse de batifoler à droite et à gauche, avec des hommes et des femmes sans penser à rien ?... Il n’oserait pas… ? Que savez-vous faire ? Qu’avez-vous déjà fait dans votre vie ? Demandai-je alors, croisant les jambes. Dites moi tout.

Ce n’était pas lui laisser une chance que de s’expliquer. Seulement m’assurer qu’elle n’était pas… Enfin à vrai dire, je n’en savais rien. Je ne comprenais juste pas sa présence ici.

- Un café ? Parfait.

Elle voulait un café, elle aurait un café. Appelant l’un de mes hommes, je lui avais demandé, en thaï, le café le plus serré qu’il soit. Si elle désirait s’amuser à cela, elle trouverait facilement son homme alors que je l’observais et surtout que je la questionnais. Que faisait-elle là ?
Un an qu’elle travaillait donc pour ma famille… Il allait falloir que je trouve l’imbécile qui avait embauché une femme et surtout… Par Merlin. Elle avait été remarquée car des petits voyous avaient voulu pénétrer des événements sans invitation ? Nous étions en manque de personnel à ce point ?

- Vous leur avez donc dit « non » plus fermement ? Me permis-je de railler légèrement en buvant mon thé alors qu’elle reprenait sur sa vie.

C’était finalement elle le petit voyou… Des combats de rue… Soit. Et Small lui avait fait subir le même entraînement que mes hommes ? Mmh. Small était souvent bien trop bon avec les autres et notamment avec les femmes. Définitivement. Je lui faisais pourtant confiance mais j’admettais que le doute persistait face à cette Alexis.
Quoique…
Un sourire amusé avait étiré mes lèvres alors que j’haussai les sourcils à ses mots. N’importe quoi disait-elle…

- Evidemment, professionnellement… Repris-je en secouant la tête sans masquer mon air amusé. Savez-vous faire la cuisine et le ménage, Miss ?

Une balle perdue, certes. Mais une balle qui m’amusait alors que je secouai la tête, me redressant alors.

- Suivez-moi.

Ce n’était cette fois pas une plaisanterie mais bien un ordre. Je l’entraînai alors à travers les couloirs jusqu’à une salle d’entraînement personnelle. Le même entraînement que mes hommes n’est-ce pas… Sans un mot, j’avais préparé des haltères, y glissant des poids jusqu’à ce que je ne sois satisfait. C’était lourd. Très lourd. Trop lourd même pour mes hommes à vrai dire mais… Soit !

- Allez-y. Soulevez. Dix fois. Maintenant. Ordonnai-je dans un sourire amusé alors que je m’installai sur le banc de musculation pour l’observer. Et lorsque cela sera fait, attaquez-moi. Je vous en prie.

J’admettais ne pas croire en ses capacités. Les combats de rue était une chose, certes. Le combat réel, la défense, en était une autre.

Ah. Une grimace. J’aurais presque cru avoir raté mon coup, je l’admettais. Mais ce n’était pas le cas. J’avais tout à fait réussi… Et il me fallut bien de la concentration pour ne pas sourire à sa grimace. D’autant que l’entrevue ne faisait que commencer… Un début marqué d’un sarcasme évident auquel elle répondit sérieusement. En cassant des bras donc. Comment ? Je me le demandais bien. Comment se débrouillait-elle avec ses bras féminins ? Non. Définitivement. Je ne voyais pas. Et ce fut en partie la raison de ma question suivante : savait-elle faire ce que toute femme devait faire ? Non. Était-elle donc inutile ? J’admettais que sa répartie, sa façon de tout ramener au travail qu’elle devrait en réalité faire.

- Je n’ai aucun nom de code avec les hommes qui me sont proches, et j’insistai effectivement sur le mot homme, preuve que c’était certainement là une première… Et probablement une dernière.

Mais allais-je m’en tenir à des questions comme d’habitude ? Evidemment… Que non. Je l’avais entraîné à travers les couloirs jusqu’à une salle d’entraînement. Ma salle d’entraînement. Un honneur qu’elle ignorait alors. Mais qu’importe. Elle n’était pas là pour regarder les fleurs et les papillons. A la place, je lui avais demandé deux choses. Soulever des haltères et m’attaquer. Rien de bien difficile. Ou pas. J’admettais avoir un peu exagéré sur les poids… Chose qu’elle ne put que remarquer alors que la barre qu’elle tenta de lever ne bougea pas d’un millimètre ou à peine. Parfait. D’autant plus qu’elle me prouva qu’elle n’était pas de taille. Une petite difficulté et voilà qu’elle défaillait. Levant les yeux au ciel, je m’approchai alors, calmement, pour lui indiquer qu’elle était tout bonnement renvoyée lorsque…

A vrai dire lorsque rien. Je ne compris pas ce qu’il se passait. J’étais debout et l’instant suivant, j’étais au sol, une douleur claire dans le bas du dos me prouvant ma chute ridicule. Et voilà qu’elle s’asseyait sur moi ?! Mais… ! En plus osait-elle me répondre et faire preuve d’ironie ?! Quelle… J’allais m’énerver. Les sourcils froncés, blessé dans mon orgueil, j’allais m’énerver lorsque Small arriva en courant, alerté par le bruit sourd de ma chute.

- Monsieur ! Tout va b…

Son regard se figea sur nous alors que je voyais très distinctement un léger sourire s’afficher sur son visage. Une chance qu’il soit considéré comme un ami en plus d’être le chef de mes gardes du corps…

- Tout va bien. Grondai-je.
- Impressionnante n’est-ce pas ? Alexis est la meilleure garde du corps que j’ai eu à entraîné depuis un certain temps. Je savais qu’elle vous plairait.

Non. Elle ne me plaisait pas. Elle m’énervait. Mais seulement parce que je venais de me faire avoir comme un imbécile. Les femmes… J’aurais dû m’attendre à de la ruse de sa part. Comme toutes les autres.

- Levez-vous. Nous avons fini la démonstration. Grommelai-je en me redressant, époussetant mon costume alors que Small repartait, joignant les mains et s’inclinant pour nous saluer. Savez-vous manier des armes à feu ? Soufflai-je avant de me stopper. Tient… Voilà une chose à laquelle je n’avais pas pensé… Peut-être cela la rebuterait-elle. Small vous a-t-il expliqué la vie d’un garde du corps ? Repris-je en lui faisant signe de me suivre jusqu'à la première salle que nous avions quitté. Mes hommes vivent ensemble dans quelques immeubles m’appartenant. Ils y sont logés, nourris et blanchis. Tous peuvent sortir sous certaines conditions. Ils doivent être joignable et doivent revenir en moins de cinq minutes à toute heure du jour et de la nuit. Etant donné votre genre… Je ne vous ferais pas l’affront de vous faire vivre avec des hommes. De ce fait, vous aurez un appartement plus éloigné des immeubles. Il vous faudra néanmoins respecter la règle des cinq minutes. Cela vous convient-il ?

Et je savais exactement quel appartement j’allais lui proposer. Oh. Un magnifique appartement. Mais à six minutes du quartier général de la société. De quoi la renvoyer pour retard…

Cette petite peste m’avait eu, il fallait l’admettre. A terre, surplombé par une femme, je devais aussi admettre que mon orgueil venait d’en prendre un coup et que l’envie de la mettre dehors pulsa largement dans mes veines. Et j’aurais bien fini par le faire si Small n’était pas arrivé, m’obligeant à faire bonne figure alors que je me relevai. Oui. Tout allait bien. Mais de là à dire qu’elle était impressionnante… Non. Elle m’énervait bien trop pour que je puisse dire une telle chose.

A la place, j’avais préféré faire comme si de rien était, reprenant sur les armes à feu et surtout sur la vie de garde du corps. Au moins semblait-elle déjà au courant de la responsabilité qui lui incomberait.

- Et vous n’avez aucun mal à vous dire que vous pourriez devoir vous sacrifier pour un inconnu ? Soufflai-je, pas franchement convaincu.

Une femme avait toujours des attaches, des choses qui l’empêcherait de faire son travail… N’est-ce pas ? Bon. Soit. Je cherchais des excuses, n’importe quelle excuse d’ailleurs. Mais au moins, si je devais la croire sur quelque chose, c’était bien ça : elle était têtue.
Mais je l’étais encore plus.

Vint donc la question du logement. Et quel logement. Un appartement, un bel appartement à elle seule. J’étais donc bien bon avec mes employés. Oui. Mais. Il se trouvait à six minutes d’ici. Or, tous mes hommes devaient être prêts en cinq minutes. Alors… Elle allait devoir courir. Et vite.

- Oui. J’ai une autre question. Savez-vous courir très vite ?

J’avais esquissé un sourire en posant ma main sur son épaule afin de nous faire transplaner dans son nouveau logement.

- Je vous laisse prendre possession de ce lieu. Expliquai-je en m’installant sur le canapé. Meublé, propre et moderne. Evidemment, nous pourrons vous installer la barrière anti transplanage si vous le désirez. Vous savez… La même barrière que dans nos bureaux du Quartier Général, celle vous empêchant de transplaner à l’intérieur de l’immeuble.

A mon petit sourire victorieux, l’on pouvait parfaitement deviner combien j’étais fier de moi, fier de mon coup, fier d’avoir gardé cet appartement que j’étais pourtant censé vendre il y a des mois de cela.

Gagné. Son visage était devenu blême. Preuve qu’elle avait eu l’idée de transplaner. Une idée que je venais de balayer du revers de la main. Pour autant… Là où certains auraient demandé un appartement plus près, là où d’autres se seraient insurgés… Elle était restée étonnamment calme au point que j’en hausse les sourcils, appuyant de nouveau le fait qu’elle serait prête avant même les cinq minutes. Je n’y croyais pas. Evidemment. Mais… Son sang froid était, il fallait l’admettre, remarquable. Même face à moi.
Et pire. Elle me demanda même un camion, me faisant plisser les yeux dans un silence de quelques secondes avant que je n’hoche la tête.

- Il vous sera prêté demain de quatre heure à six heure. Nous en aurons besoin ensuite pour déménager quelques bureaux d’un autre immeuble.

Du matin. Evidemment. Et j’avais menti. Nous n’avions besoin d’aucun camion mais j’espérais qu’elle habite trop loin des beaux quartiers pour que les deux heures soient suffisantes. Au pire, elle n’aurait qu’à transplaner en faisant des allers retours. Sauf si je me décidais à lui installer la barrière anti-transplanage avant… L’idée était presque tentante et… Pardon ? Crémaillère ?...
Arquant un sourcil, je devais admettre avoir été surpris. Elle osait. Cette gamine osait réellement voire même un peu trop.

- Vous êtes bien la première personne à vouloir de votre patron à votre crémaillère. Mais soit. Je viendrais, Miss Vega. Avec grand plaisir. J’ose seulement espérer que vos préparatifs seront à la hauteur de ma personne.

J’étais souvent orgueilleux, certes, mais j’exagérais avec le plus grand plaisir du monde si cela pouvait la mettre mal à l’aise ou lui donner un peu plus de fil à retordre. Elle jouait avec moi, je n’allais pas me priver d’en faire de même. D’ailleurs lui avais-je même serré la main dans un sourire amusé.

- Cela tombe bien. Vous commencez demain. A cinq heure trente.

Oui. Le camion lui était laissé jusqu’à six heure mais je la faisais commencer à cinq heure trente. C’était… Petit. Très petit. Et très amusant.

- Vous commencerez par l’entraînement habituel avant la première mission. J’ai une réunion à huit heure avec quelques investisseurs. Vous devrez visiter le lieu au préalable pour vérifier la présence de choses… Disons… Désagréable. Small vous expliquera et…

Et une idée venait de me traverser la tête.

- J’aurais aussi besoin de quelqu’un pour goûter les plats et boissons qui me seront servies. Vous jouerez ce rôle.

Ma malédiction m’empêchait d’avoir le goût et l’odorat, de prévenir les intoxications, les empoisonnements de ce fait. Elle allait donc commencer par se rendre utile en risquant de s’intoxiquer pour moi. N’était-ce pas merveilleux ?

- Cela vous va-t-il ? Soufflai-je malgré tout, conscient qu’elle n’avait pas réellement beaucoup d’options à cet instant.

Chips, bières et Pizza… J’avais arqué un sourcil. Ce n’était pas vraiment ce dont j’avais l’habitude mais il était bien hors de question que je passe outre une soirée avec mes employés. Evidemment. Alors un sourire avait légèrement étiré mes lèvres, moqueur.

- Tout me va, voyons. Je sais m’adapter. Je ramènerais même quelques bières.

C’était peut-être la seule chose que je pouvais avoir chez moi. N’en sentant pas le goût, j’appréciais de loin le pétillant de la chose et c’était déjà cela. En attendant, j’avais rapidement mis un terme à son espoir de camion, l’horaire lui étant donné. D’ailleurs sûrement serait-elle un peu surprise, la réalité était que j’avais avancé d’une heure la réalité… Elle n’aurait donc plus qu’à attendre. Enfin… Je lui avais tout de même donné une mission. La première. Et quelle mission ! M’accompagner au rendez-vous pour la vérification d’usage et… Être gouteuse. Une superbe mission qui l’obligerait à goûter mes plats. De la nourriture gratuite, oui, quoique j’avais bien senti son ironie, m’arrachant un léger rire. Mais elle acceptait, à la bonne heure ! Enfin… Avait-elle le choix ? Pas vraiment. Et elle le savait.

- Rassurez-vous. Il ne s’agit que de nourriture souvent luxueuse et le dernier goûteur n’est tombé malade qu’une fois ou deux… Bon. Peut être trois. Enfin… Je vous tairais l’histoire de l’avant dernier. Lui est décédé de déshydratation après des diarrhées violentes dû à un poison… Cela risquerait de vous effrayer.

Je mentais. Evidemment. Et le pire ? C’est que cela m’amusait. Si elle désirait cet emploi, elle allait devoir le prouver et prendre des risques… Quels qu’ils soient. D’ailleurs ne manquerais-je pas de filmer la première bouchée de mon repas. Je doutais très peu de la possibilité de la voir empoisonner. Pas avec ceux qui nous accueillaient lors de la réunion… Mais elle risquait malgré tout de le craindre… Ou du moins je l’espérais. Il n’y avait plus qu’à attendre ladite mission.

- Bien. Sur ce. Je vous dis donc à demain matin, Miss Vega. N’oubliez pas de m’envoyer la date de votre crémaillère, évidemment.

Esquissant un sourire, j’avais joint les mains à la thaïlandaise pour la saluer légèrement avant de transplaner. Douce enfant qui allait être malmener par mes soins, j’y comptais bien.