La petite fille avait fini par se laisser convaincre. D’un naturel plutôt facile, élevée dans la menace d’un père tel que Corban, les caprices étaient généralement assez limités. Ainsi, Amara rentra chez elle. Chez elle. Cette vaste demeure froide et hostile qui ne lui avait jamais donné le moindre sentiment de sécurité ou même d’avoir sa place ici. Elle avait toujours eu la sensation de faire partie des meubles. Choisie par sa beauté, mais dont on pourrait rapidement se débarrasser en cas de changement de décoration ou d’inutilité. Pour autant, à l’inverse d’un buffet ou d’une toile, Amara ne pourrait probablement pas finir sa vie dans un nouvel intérieur. Cela n’avait jamais été ainsi que Corban avait vu les choses, et elle le savait parfaitement. Amara s’était habituée à marcher du bout des pieds, à ne rien être de plus qu’une invitée en sa propre demeure. Mais ce jour là, en rentrant, cette maison lui sembla encore plus pesante que d’habitude, entrant en contrast extrême avec ce sentiment de chaleur qu’elle avait ressenti au manoir Nott. En une nuit, Theodore lui avait fait sentir bien plus chez elle que Corban en 25 ans de mariage.
Boudeuse, Ottavia échappa des bras de sa mère et courut se réfugier à sa chambre. Des pas bien lourds et précipités qui réveillèrent Corban. Le sorcier se mit à grogner depuis la chambre, hurlant que cette maison n’était pas un cirque. Amara se crispa, sa gorge se nouant. C’était comme avoir nagé dans les eaux tièdes et cristallines de la Sicile avant de plonger tête première dans un bain d’eau glacée. L’air lui manquait presque, elle se sentait suffoquer, les larmes montaient à ses yeux. Des larmes qu’elle fut forcée de ravaler… Corban était réveillé. Il lui fallait être présente, comme si elle avait passé la nuit ici, comme si elle ne souhaitait que son bien-être.
Nul doute que la journée fut longue. Corban était aussi complexe que d’habitude. Ottavia boudait dans sa chambre. Amara se sentait seule dans cette immense maison qui s'apparentait bien plus à une prison et même s’installer au piano ne lui rendit pas le sourire. Ayant prévenu Amos que Theodore viendrait en aide pour trouver les ingrédients de la potion et lui demandant de préparer une liste, n’avait plus rien d’autre à faire que d’attendre. Une attente longue, difficile, pesante. Les aveux et les gestes du Nott avaient aussi une large place dans ce tumulte de pensées. Avait-il cherché à l’embrasser ? Cette tendresse qu’il lui vouait, était-elle… plus qu’une simple amitié ? Elle en avait tout l’impression et pour la première fois, cela ne lui semblait pas être une victoire. Elle s’en voulait, signe donc hautement perturbant qu’elle s’attachait bien trop à lui aussi.
La soirée ne fut pas plus courte. Au moins, au moment du couché, Ottavia accepta enfin un câlin de sa mère. Amara s’était glissée dans son lit, la petite fille venant se lover contre elle, et elle lui conta une histoire jusqu’à ce que ses paupières se ferment. Avec tendresse, elle borda Ottavia et quitta doucement son lit, s’éclipsant de la chambre à pas de loup. Elle rejoignit la suite parentale où elle se réfugia un instant, n’ayant pas la moindre envie de rejoindre le lit conjugal. S’autorisant un bain chaud, elle se lassa aller au confort de l’eau chaude sur son corps nu, laissant son esprit s’éloigner dans ses contrées bien lointaines. Elle se surprend à imaginer un instant ce qu’aurait été sa vie si Corban ne l’avait pas ensorcelée et si elle avait épousé Theodore. Auraient-ils été heureux ? Elle n’en savait rien. Il ne lui aurait jamais fait de mal ou forcé à quoi que ce soit, c’était certain. Elle l’aurait probablement accompagné dans ses voyages, à voir les quatre coins du monde. Auraient-ils eu des enfants ? Probablement. Probablement plus tard, une fois le monde découvert, une fois la liberté un brin moins exaltante. Elle lui aurait fait autant d'héritier qu’il l’aurait voulu. Ca ne l’aurait probablement pas dérangé. Il aurait probablement été doux et tendre dans tous les aspects des choses. Il aurait été tendre dans ses gestes, dans ses baisers, dans ses étreintes, peut importe lesquelles. Quel goût auraient eu ses lèvres ? Quelles douceur ses mains auraient-elles eues sur sa peau ? Yeux clos, elle continuait à songer à ces plaisirs qu’elle aurait pu connaître, réalisant à peine le rythme de son cœur qui s'accélèrent et une certaine chaleur se formant dans son corps.
- AMARA !
Elle sursauta et se redressa vivement, rouvrant les yeux. La voix de Corban venait la sortir de ces pensées qui, honnêtement, commençaient à prendre un tournure un peu plus… intimistes. Elle sursauta, glissant sa main dans ses cheveux mouillés pour les ramener en arrière. La Sicilienne sorti du bain, se sécha et passa une nuisette de dentelles et soie noire. Quelle stupidité. A quoi ce genre de pensées servait donc ? La seule chose qu’elle sentait était une intense frustration. Pourquoi songer ainsi à des choses qu’elle n’avait pas eu ? Se ravissant, elle rejoignit le lit conjugal et se tourna sur le côté, dos à son époux. Pour autant, Corban ne sembla pas de cette humeur et… elle ne tarda pas à sentir la main du vieillard se glisser dans sa direction, venir remonter le long de l’arrière de sa cuisse, jusqu’à son sous-vêtement. Ses doigts osseux, froids, sans la moindre passion juste cette avidité écoeurante. Amara s’était crispée, ses muscles plus durs que du marbre, elle se redressa vivement.
- Mon amour, as-tu pris ta potion ?
- Quelle potion ?
- La nouvelle.
Silence. Bien-sûr qu’il n’avait pas la moindre idée de quoi elle parlait. Elle se leva donc et rejoignit la salle de bain pour de nouveau trouver ce somnifère donc la frustration ressentie lui fit remplir bien assez de potions pour un troll des montagnes. Retournant à la chambre, elle s’installa… sur Corban. Eh oui… à 85 ans et dans son état… ce n’était plus comme s’il pouvait faire grand chose.
- D’abord ta potion, et ensuite, nous verrons comment continuer la soirée.
Sa séduisante femme sur lui, le vieillard acquiesça et Amara la lui fit boire avant de se pencher sur lui, venant l’embrasser. La nausée fut terrible. Tant le goût de ses lèvres que cette manière pressante de la vouloir…. berk. Berk berk be
Attendez…
Oh. Il dormait. Merilin. Quel genre de dose venait-elle de lui donner ??
- Zitto vecchio porco, cracha-t-elle avec amertume. (“tais toi vieux porc”).
Elle se redressa, remit sa tenue en position et roula de son coté du lit, se moquant tout à coup bien d’avoir un peu trop drogué son mari. Au moins, elle n’aurait pas à le supporter davantage ce soir et pourrait s'endormir en paix. Fermant les yeux, elle se blottie contre son oreiller et…
…
…
…
…Et le sommeil ne vint pas. Pas du tout. La seule chose à laquelle elle pensait, c’était Theodore et ses bras réconfortants. Ses bras tendres, chaleureux et sécurisants. Les heures passaient et cette idée ne la quittait pas. Corban dormait… elle avait accès à la demeure Nott alors… pourquoi ne pas profiter un peu de cet endroit bien plus chaleureux et apaisant ?
Alors… elle le fit. Prenant uniquement sa baguette, elle transplana dans ce manoir quitté il y a moins de 24 heures et pénétra dans les lieux. Silencieusement, elle monta les escaliers, retrouvant le chemin de la chambre ou elle avait si bien dormi la veille. Elle poussa la porte et se dirigea vers le lit, avant de s’y glisser.
… Et de sentir quelque chose. Un corps… Theodore ? Cela semblait être le Nott. Son coeur loupa un battement, affublé de soulagement. Soulagement de le trouver. Lui. L’objet de ses pensées.
- C’est moi, murmura-t-elle en venant se lover contre lui. Tout va bien ne t’en fais pas.