Dire que je comprenais tous les tenants et les aboutissants de cette situation était absolument faux. Enfin… Tout était relatif. Je comprenais évidemment ce qu’il se déroulait sous mes pieds incapables du moindre mouvement. Mais mon cerveau semblait avoir fait un arrêt sur image, se contentant de devenir spectateur plutôt qu’acteur de ma propre histoire. Une histoire désormais mêlée à Matthew Gimhae, de gré autant que de force. Un fait que je devais… Que nous devions en partie à mon frère qui devenait chef de famille en l’absence de notre père. Un père diminué, plus que je ne l’avais imaginé. Le choc m’avait dit Thomas. Je n’y croyais qu’à moitié. Père avait subi plus d’un choc dans sa vie, à commencer par la chute du Seigneur des Ténèbres et donc de notre famille, difficilement reprise en main par ses soins et ceux de ses parents. Alors ça ? Non. Il était plus solide que ça, quoiqu’on puisse en dire. Et si je n’avais pas réagi lorsque l’explication m’avait été donnée, encore trop sonnée de tout ce qui entourait notre discussion au manoir, je ne pouvais, maintenant, m’empêcher de me faire cette réflexion sans pour autant réussir à la verbaliser.

Parler. C’était une chose dont je ne me sentais pas réellement capable. Alors même que Matthew était directement parti voir son père. Que sa mère était venue me rejoindre dans un élan de gentillesse dont je peinais à prendre le pli, tentant de me rassurer, de me parler. Rien n’était alors sortit d’entre mes lèvres. Je restai là. Prostrée. La mine basse. Et cela fut le cas jusqu’à ce que la main de Matt vint se glisser dans la mienne, m’entraînant à travers le domaine jusqu’à une serre dont je n’observai même pas la beauté, trop en prise à mes démons.
Enfermés à l’intérieur, j’observai alors le jeune homme sans réussir à exprimer ma pensée. Il voulait parler… Tant mieux. Cela m’éviter de le faire à sa place. Quant à savoir le sujet de notre conversation… Outre ce contrat que je ne pouvais décemment pas accepter sans ressentir une culpabilité certaine, Matthew semblait désirer me faire part d’une chose particulièrement importante pour qu’il ne puisse passer outre.

Le visage neutre, témoin paradoxal de mon manque de contrôle, je l’écoutai ainsi tout expliquer. De la neurotoxine liquide en passant par le malaise de mon père, la puissance du poison jusqu’à la responsabilité probable de mon frère dans l’état de mon père. Beaucoup d’informations. Trop ? Non. Pas vraiment. Elle ne faisait que me prouver que ma famille était pourrie jusqu’à la moelle à vrai dire. Si tant était que nous pouvions nous appeler « famille ».

Restée silencieuse tout le long de son discours, je ne réfléchissais pas réellement à son geste. A vrai dire… Ce dernier ne me faisait ni chaud ni froid. Il aurait même pu tuer mon père que cela ne m’aurait qu’arraché un rictus. Des mots durs, je l’accordais. Mais étaient-ils réellement si durs en les mettant à la lumière du peu d’amour que je pouvais lui porter ? Non. Pas d’amour. De considération. Tenue par la crainte et par une éducation trop cadrée pour m’en échapper facilement, Thomas avait, là encore, eu raison sur une chose : je n’étais qu’un ventre pour mon père. Alors pourquoi aurais-je, moi, dû avoir quelconque considération pour lui ? Pour sa vie ? Ce n’était donc pas son geste qui provoquait ces pensées intrusives que je tentais de maîtriser. Non. C’était bien plus compliqué que ça.

Les yeux rivés sur Matthew, je ne pus alors que voir cet ouragan qu’il contenait en lui. Et… Je n’arrivais toujours pas à dire quoique ce soit. M’excuser était peut-être la seule chose que j’avais envie de faire à cet instant… Et c’est ce que je fis. M’approchant de lui, je vins passer mes bras autour de sa taille pour poser ma tête contre son torse, fermant les yeux, enfin, dans un murmure.

- Je suis désolée… Me taisant de nouveau, je mis de longs instants de silence avant de le relâcher pour lui faire finalement face. Mais comment est-ce que tu peux imaginer une seconde pouvoir faire ça ? Soufflai-je. Enfin… Matt… C’est ta vie. Et… Enfin… J’ai pas envie de gâcher ta vie. Je refuse que tu sois emprisonné dans un mariage dont tu ne veux pas. C’est pas ce qui t’étais destiné. Moi j’ai été élevé pour ça. Pas toi… Je peux pas accepter ça… Il doit y avoir une autre solution.

Une solution que je n’avais pas encore trouvée, bien évidemment. Mais il devait y en avoir une. J’étais parfaitement consciente de l’éducation radicalement opposée qui nous avait été octroyé à l’un comme à l’autre mais pourquoi devait-il, alors, s’adapter à l’éducation qu’il trouvait certainement injuste et injustifié ? Ce n’était pas correct. Pas de ma part. Pas envers lui. Et si je ne m’étais pas rebiffée face à Thomas de peur de ne faire qu’aggraver la situation, je ne pouvais décemment pas rester les bras croisée face à la vie de celui dont j’étais tombée amoureuse que je voyais être gâchée par ma seule faute. Par ma seule existence, même.

- Je suis désolée pour tout… Soufflai-je de nouveau en baissant la tête. Si au moins j’avais été assez intelligente pour obéir à mon père, tu serais libre au moins…

La liberté, ce que j’étais en train de lui retirer. Et ça, je n’arrivais pas à l’accepter.

- Mais… Repris-je malgré tout, consciente que ce qu’il m’avait dit était malgré tout important pour lui, bien plus que pour moi, donc. Je me moque de ce que tu as pu faire à mon père. Je me moque de ce qu’il va se passer pour lui. Je me moque même qui pourrait devenir le chef de famille, mon frère ou n’importe qui. Ça change rien pour moi. D’accord ?

Si je gâchais sa vie… Au moins pouvais-je tenter, un minimum, de le rassurer quant à ce que je pensais, quant à ce que je ressentais vis-à-vis de ce qu’il s’était passé à cette maudite soirée et de ce qu’il se passait encore aujourd’hui. Ca ne changeait rien… Mais si ça pouvait l’aider le temps de quelques secondes…

Est-ce que l’amour était suffisant pour gâcher une vie ? J’en doutais. Pas pour moi. L’amour qu’il me portait à cet instant n’était pour moi qu’une façon de s’aveugler. Un aveuglement que, pourtant, Matthew semblait ne pas avoir alors qu’il me faisait part de sa crainte : que l’on ne s’aime plus. Voilà bien quelque chose qui me paraissait juste… Hors de toutes les réalités. Une chose à laquelle je n’avais même pas pensé, à vrai dire. Mais lui… Cela semblait être au centre de ses préoccupations. Plus il parlait, plus je comprenais cela sans en comprendre réellement le sens et la raison.
S’aimer… L’amour était une chose bien différente de toutes celles que j’avais pu connaître jusque-là. Un plus, une option agréable, dont je ne voulais plus me passer aujourd’hui, certes, mais une option malgré tout. Le mariage, lui, était une obligation, une règle, presque une loi à laquelle je me serais plié quel que soit mon présent.

Ses bras croisés, je l’observai alors, sourcils froncés. La situation était difficile. Et pourtant, je continuais à avoir envie de me serrer contre lui, de me rassurer entourée par sa chaleur, par son odeur. Mais je n’en fis rien. Je le laissai alors parler. Parler mariage. Enfants. Patronyme. Famille. Tant de sujets qui me semblaient aussi éloignés que proches et dont je n’arrivais toujours pas à saisir l’essence, trop absorbée par la raison pour laquelle Matthew avait cette crainte qui me paraissait si infondée.

- Arrête. Dis-je ainsi quelque peu brusquement en levant les mains devant moi.

Cette façon de parler, tout ces sujets, des choses qu’il n’aurait jamais dû devoir aborder avant plusieurs années et peut être même pas avec moi… Je l’enfermais. Par ma seule faute, je l’enfermais dans une cage et parce que j’étais fautive… Je ne devais pas craquer. Pas maintenant. Je devais trouver une solution et le rassurer. Autant que je le pouvais. Le poing serré, ma main libre vint glisser sur son bras, mêlant mes doigts aux siens pour caresser doucement sa main, le regard assombri par la culpabilité et pourtant le visage le plus tendre possible.

- Ecoute-moi… Commençai-je presque sereinement, forte de mon éducation et des faux-semblants. L’amour… Rien ne peut nous dire qu’au bout de huit ans on s’aimera encore. Que ce soit aujourd’hui ou dans trois ans… On sera jamais sûrs de ça. J’ai pas appris à marcher au coup de cœur. J’ai pas appris ni à aimer, ni à me sentir… Comme ça en fait. J’ai appris que je me marierais avec un homme que j’apprécierais, tout au plus, voire pas du tout. Mais qu’il faudrait faire bonne figure. Comme je le faisais actuellement, à vrai dire, preuve que j’étais prête à cela. Alors… Parce qu’on sera jamais sûr que l’amour restera pour l’éternité, parce qu’on ne pourra jamais être sûrs de nos sentiments dans un avenir aussi lointain… Au moins il y a une chose qui restera. Je suis avec quelqu’un de bien, avec mon meilleur ami. Et ce sentiment-là, il ne changera pas.

Si je ne connaissais pas l’amour, l’amitié était une chose qui, à l’inverse, ne m’était pas inconnue, bien loin de là, en témoignait mes relations de longues dates avec les quelques amis que je pouvais avoir. Ainsi étais-je bien plus désinvolte à ce sujet, je l’admettais, mais j’avais, après tout, toujours pu compter sur ces personnes, cela me semblait donc naturel.

Mais le sujet le plus délicat allait devoir être abordé. Alors que je désirais trouver une autre solution pour lui laisser la liberté qu’il méritait, je me trouvais face à un mur : je n’en avais aucune. Alors devais-je couper court à cette conversation immédiatement au risque de devoir épouser Selwyn ? Ou devais-je mettre les choses à plat avec Matthew, au risque de voir cet avenir se concrétiser et donc de le voir enfermé ? La décision, n’était pas si difficile… Au moins mettre les choses au clair avec lui, avec son père par la suite, me permettrait d’avoir un peu plus de temps pour réfléchir à une solution. Si tant était qu’elle puisse exister, ce dont je doutais fermement, sans vouloir me l’avouer.

- Tu ne m’enchaînes pas à toi. Dis-je alors aussi doucement que mon esprit peinait à se calmer, quand bien même l’inverse était vrai. Alors on va fonctionner selon mes règles avec tes désirs. Je m’adapterais. Les enfants ne seront pas un problème, ils ne seront certainement pas là pour vérifier qu’on se protège ou non. Vivre chez eux… Je le ferais si ça recule la date du mariage. Je vis là-bas depuis 23 ans. Ça ne me changera pas beaucoup.

Et quand bien même les habitants, mon père compris si tant était qu’il soit encore envie, seraient plus durs avec moi… Si cela permettait à Matthew de profiter de sa liberté, je le ferais. Avec plaisir, même. D'autant plus que l'adaptation était double… Outre le fait que je n'avais jamais pensé prendre la moindre décision concernant ou même avec mon futur époux, me rendant, sans que je ne veuille l'admettre face à lui, décidée à le rassurer, perdue sur bien des points ; ce n'était là que la continuité de ce que je savais le mieux faire.

- Alors… Arrête de parler de famille et d’enfants. Ça n’arrivera pas avant des années. Dis à ton père d’accepter ce que mon frère demandera de moi et de négocier quand ça te concernera toi. Date du mariage comprise. Ça ira…

Je l’espérais. Sincèrement. Et ce n’était certainement pas là une façon de me sacrifier, quand bien même je ne savais même pas ce que mon frère allait demander, mais seulement d’essayer de protéger Matthew et sa famille. Un peu plus. Il me fallait juste un peu plus de temps. Le temps que je trouve cette foutue solution à laquelle nous n’avions pas encore pensé.

- Mais… Mais il faut que je te dise aussi quelque chose. Soufflai-je néanmoins en me reculant. Je n’ai pas été tout à fait honnête avec toi me concernant…

Enfin… Si. Je l’avais été. J’avais toujours été honnête. Mais il y avait deux choses que je ne lui avais pas dit. Pas réellement pas volonté de lui cacher, à vrai dire. Seulement parce que… Parce que je n’y voyais pas vraiment l’intérêt. Un intérêt que je voyais aujourd’hui.
Si ma recherche de solution désespérée ne fonctionnait pas… L’optique du mariage se retrouverait être la seule possibilité. Ainsi… Si lui avait fait preuve d’honnêteté quant à ce qu’il s’était passé… Peut être devrais-je, moi aussi, l’être. Surtout quand l’un des deux non-dits et je le savais, quand bien même c’était pour moi un « honneur », était une chose horriblement mal vue chez la plupart des sorciers.

- J’ai appris la légilimancie. Depuis mes quinze ans je la pratique. Et je te promets que je n’en ai jamais usé sur toi. Je ne le ferais pas. Pas sans ton consentement. Contrairement à bien d’autres personnes, je l’admettais. Et… Je suis fourchelangue. Comme toute ma famille depuis Serpentard. Soufflai-je, une légère moue inscrite sur mon visage baissé. Voilà… Là je ne cache plus rien. Alors si tu veux bien encore de moi...

Doutais-je de cela ? Mmh... Bonne question. Je n'arrivais pas à déterminer quelle pourrait être la réaction de Matthew. La seule chose que j'arrivais alors encore à savoir était peut être qu'au moins, s'il se trouvait dégouté par la langue des Serpents ou apeuré par la légilimancie, il pourrait rester libre.

Evidemment, il n’était pas d’accord. Le contraire m’aurait presqu’étonné. Je serais une Gimhae… C’était assez étrange à imaginer, je devais l’avouer. Sûrement comme tout mariage, d’ailleurs. Passer d’un nom à un autre signifiait beaucoup pour quelqu’un comme moi. Et… Cela, aujourd’hui, signifiait encore plus face à lui alors que ce moment l’enchaînerait irrémédiablement à moi. Baissant légèrement la tête à ce fait, je soufflai imperceptiblement, tentant de ne pas me faire envahir, de nouveau, par ces pensées intrusives avant de relever les yeux.

- C’est pas du sacrifice, Matt. Rétorquai-je néanmoins. C’est un juste retour des choses. Tu dois t’adapter à mes règles et je sais combien elles sont injustes et loin d’être agréables et joyeuses pour ceux qui ne viennent pas de ce monde-là. Je sais… Enfin je me doute des sacrifices que tu dois faire pour accepter ce contrat. C’est juste un retour des choses, ma seule façon d’essayer de te faciliter les choses à défaut de savoir comment te libérer de ça.

D’autant plus qu’une chose était certaine… Mes désirs… Je n’avais pas franchement idée de ce que je pouvais réellement vouloir dans un mariage. Je n’y avais juste… Jamais pensé. C’était triste à dire, mais j’allais me marier sans même penser aux conséquences de l’union. Ces conséquences ne m’avait jamais regardé alors… Que voulais-je ?

- Je ne sais pas vraiment ce qui sera matière à négociation. Admis-je alors en soupirant. Mon lieu de vie, le nom de nos potentiels futurs et lointains enfants, et quoi d’autre ?...

Il n’y avait qu’une seule chose que je désirais et cette impression de le lui enlever me rendait folle. Quelle était cette chose ? Son bonheur. Juste. Son. Bonheur.

Mais avant de parler bonheur, peut être devrais-je parler honnêteté et je ne l’avais pas entièrement été jusque-là. Je lui avais en effet cacher deux choses me concernant. La Legilimancie et le Fourchelang. Si le second était honteux pour la plupart des gens bien que je ne le voies certainement pas ainsi, le premier, lui, était bien plus risqué. Je pouvais lire dans l’esprit de mon entourage. Je l’avais appris. Et certainement pas pour les meilleures raisons, je l’admettais. Mais c’était un fait. Je pouvais. Et je ne l’avais pour autant pas fait, pas sur lui et jamais sans son consentement. Je m’attendais à bien des réactions ayant fait un court listing de tout ce qu’il pourrait alors se passer mais ça… Non. Je ne m’attendais pas à cette réaction. Fronçant les sourcils en l’observant dans une incompréhension certaine, je secouai doucement la tête.

- Tu… Tu veux vraiment que j’entre dans ton esprit ?

Bien sûr il s’agissait de moments particuliers, peut être même n’aurions-nous jamais à le faire – et je l’espérais pour lui à vrai dire – mais accepter cela… Outre la confiance qu’il avait en moi pour me permettre de faire cela, j’étais à la fois surprise et touchée par ce besoin de vérité absolue.
Sa main sur ma joue, alors que mes yeux se fermaient sous ce contact dont je ne voulais définitivement plus me passer, je l’entendis alors me demander une chose qui me surprit encore davantage à vrai dire. Pourquoi me demander ça alors qu’il avait accepté que son père aille signer le contrat… Sans réellement savoir quelle posture adopter, je soufflai alors de nouveau, venant entourer sa nuque de mes bras, caressant doucement ses cheveux alors que mes lèvres venaient à la rencontre des siennes. La réponse à cette question était facile, du moins… La réponse de la femme amoureuse que j’étais, faible et inconditionnellement attirée par lui était facile. La réponse de la femme réfléchie et calme l’était bien moins. Non pas que je ne voulais pas mais… Un oui signifierait l’emprisonner par ma simple volonté. Pouvais-je néanmoins dire non ?...

- Bien sûr que je veux t’épouser… Soufflai-je à mi-voix contre ses lèvres.

Non. Je ne pouvais pas dire non. Cela aurait été contraire à tout ce que mon corps et mon cœur désirait à cet instant à la lumière de ce qui nous entourait. Et si mon esprit hurlait à l’encontre de cette idée pour sa propre protection, pour sa propre vie, je ne pouvais pas dire non.

- Est-ce que tu peux douter un seul instant que cette idée me débecte ? Comment est-ce que je ne pourrais pas avoir envie de rester près de quelqu'un comme toi, Matt... Et n’imagine pas une seule seconde que je puisse un jour douter de ce que tu diras pendant n’importe quel événement. Legilimancie ou pas j’ai confiance en toi et crois moi… Tu es trop éloigné des hommes que je connais pour que je doute une seule seconde de toi. Quel que soit le masque que tu portes. Repris-je avant de m’éloigner, glissant mes doigts entre les siens. Mais…

Mais je n’avais plus vraiment le choix que de réfléchir vite à une solution avant que ce foutu contrat ne soit signé désormais. Et s’il le devait… Alors…

- Peut être voudrais-tu en savoir plus sur la place de l'homme et de la femme selon « mes » règles… Si tu le sais pas déjà je veux dire. Ça aidera peut-être à trouver des axes de négociation…

Ce n’était pas une reddition face au fait que son père négocierait aussi pour moi. Seulement… Un apaisement temporaire.

Mon lieu de vie était-il si important ? Comment est-ce que cela pourrait être pire qu’actuellement de toutes les manières ? Mon père souffrant, au moins n’aurais-je pas à risquer le moindre coup de sa part. Mais soit. Hochant doucement la tête, approuvant alors l’axe de négociation non par conviction mais plus par désir de lui faciliter les choses. Pour autant, lui faciliter les choses signifiait aussi ne rien lui cacher, être honnête. Et ainsi fis-je preuve d’une honnêteté à toute épreuve, lui avouant les deux seules et uniques choses que nous n’avions jamais abordé, par choix autant que par manque de temps à vrai dire.

- Parce que même en disant ce que tu penses, on garde généralement toujours une part de secret et j’ai pas envie de t’obliger à me dévoiler tout…

Mais plus que me dévoiler ce qu’il pensait, Matthew s’attarda sur un sujet qui me surprit d’autant, presque plus, à vrai dire, que son désir de m’ouvrir son esprit par « simple » désir de ne pas me tromper quant à ses paroles en société, dans « ma » société. Sa question ne me fit pas douter, pas foncièrement tout du moins mais le silence que j’y adjoignis fut difficile alors qu’enfin ma réponse put être donnée. Evidemment que je voulais l’épouser. Une réponse contraire aurait été fausse, mensongère et surtout impossible à donner. Si cette idée n’était pourtant ni rationnelle, ni réellement réfléchie, elle était pourtant la seule à pouvoir s’imposer face à cette question.

Ainsi, même si aucun contrat n’avait été signé, Matthew avait pris les devants. C’était… A vrai dire j’avais l’impression que, par cette question, le contrat n’était qu’un document administratif. Ou presque car ladite question n’avait été posé que par ce foutu contrat… De quoi se mordre la queue, assurément.

Le contrat était ainsi au centre de notre attention conjugale, point logique puisqu’il signerait la fin de sa liberté, une vie qu’il n’avait pas choisi. Alors… Si je comptais bien trouver un moyen de le libérer de cette entrave, mieux valait que je le prépare aux différentes éventualités et notamment au rôle propres à chacun dans un couple. Voilà au moins un sujet que je maîtrisais et dont je connaissais la plupart des tenants et des aboutissants.

- L’homme, si tant est qu’il soit l’aîné, comme Thomas chez nous, doit agir pour le bien de son nom et de sa famille. Il doit sauvegarder la réputation de son nom, quel qu’en soit le coût. Il est le garant de la famille, celui qui prend la place du père une fois celui-ci incapable. Commençai-je, en échos à ce qu’il se passait actuellement au manoir Gaunt. Il est aussi le garant du patronyme puisqu’il le donnera à ses descendants qu’il doit donc absolument avoir et avec une femme respectable. La femme, elle, doit se marier pour aider sa famille. En général, il y a souvent des arrangements entre fortune et réputation… Si on prend mon cas… Je ne suis pas dupe, Père a dû proposer une dot importante au père de Nicholas pour nous fiancer. Ils nous apportaient une réputation et nous leur apportions l’argent et une descendance puisque le but principal de toute union est la création d’une descendance portant le nom du père. Je ne sais même pas si Thomas vous accèdera la moindre compensationfinancière, du coup…

Laissant Matthew assimiler ces premiers faits, je fis quelques pas avant de souffler, prenant délicatement une fleur en main avant de la reposer pour continuer, me retournant vers l’étudiant.

- En d’autres termes, l’homme gère les affaires externes, les relations publiques. Il décide de la marche à suivre et doit montrer sa famille sous le plus beau jour. La femme, elle, suit son mari, accède à ses demandes en lui obéissant et en le servant de quelque manière que ce soit, et permet l’illusion d’unité familiale. Elle s’occupe des enfants, les élèves jusqu’à leur entrée au Collège, de la maison, de son mari évidemment, et organise les soirées décidées par son époux. Puis tout recommence. On choisit des époux et des épouses aux enfants et la boucle reprend.

Baissant la tête face à ce constat que je ne m’étais, à vrai dire, jamais réellement fait, je soupirai de nouveau. Il était vrai, à bien y penser, que cette vie n’était pas réellement la vie la plus splendide que nous pouvions espérer. Mais cela avait toujours été notre devoir : respecter notre mari et lui donner des enfants pour faire la fierté de nos familles. Heurtée au monde de Matthew dont les aspirations étaient si différentes m’angoissait alors. Je ne savais ni comment me positionner ni quel devait être mon but là où ma vie avait toujours été tracée.

- Je crois que… Je crois que j’ai tout dit. Il y a sûrement d’autres façons de voir les choses mais c’est ce qu’on m’a appris en tout cas et ce que j’ai pu voir chez moi… Je sais que ça doit te paraître hors du temps, comme l’a dit ta sœur, mais… Voilà…

Je ne savais plus quoi lui dire d’autre, n’osant même pas lui dire à quel point sortir de ce cadre avait cette tendance à m’effrayer quand j’y pensais. Il y avait déjà trop d’informations, trop de choses à lui dire, à lui faire accepter… Mieux valait que je n’en rajoute pas.

Ne pas hésiter… Non. Ce serait une chose impossible pour moi. Je pourrais le faire, oui, mais quelle que soit la situation, j’hésiterais toujours d’entrer dans ses pensées. Quand bien même ses paroles pourraient être dures. Et des paroles dures… Il pourrait en avoir. Lui expliquant le fondement de ce que l’on m’avait appris des rôles féminins et masculins dans la société dont ma famille faisait partie, je ressentais soudainement de nouveau ce poids affreux, celui de la culpabilité. Ce monde n’était pas le sien. Et en un sens fort heureusement, dans le cas contraire, sûrement ne serais-je pas tombée aussi éperdument amoureuse de lui… Quoique cela lui aurait évité bien des tracas, je l’entendais.

- Matt… Commençai-je, soucieuse. Est-ce que tu te rends compte que… Que je ne sais faire que ça ?

S’il ne faisait pas partie de mon monde, l’inverse était aussi vrai : je ne savais rien de son monde. Je savais me comporter en parfaite épouse, certainement plus qu’Alix d’ailleurs, je savais obéir, rester digne et j’étais prête à me conformer aux devoirs qui incombaient à toute femme mariée. Mais ne pas le faire, ne pas agir de la sorte, ça… ça m’était inconnu. Comment me comporter ou ne pas me comporter, qu’avais-je exactement le droit de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire ? De manière réaliste, je ne savais qu’une chose : j’allais devoir apprendre à me comporter « comme tout le monde ».

Ainsi avions nous à négocier sur des points afin de me permettre cet apprentissage. L’un de ces derniers ? Mon lieu de vie. Je n’y voyais pas réellement d’inconvénient à moins de…

- Tes parents… Soufflai-je. Je ne veux pas les déranger. Je pense que j’ai déjà assez fait de mal comme ça.

Ne pas déranger. Ne pas faire de vague. Ne pas s’imposer. Voilà trois règles de bienséances que je désirais respecter. Voyant ma présence comme imposée, je devais avouer ne pas être tout à fait à l’aise avec cela et même si je préférais de loin vivre avec lui qu’en compagnie de mes parents et de mon frère, si tant était que mon père reste en vie, cela me paraissait… Difficile à admettre entièrement.

- Et ton nom. Notai-je alors dans les négociations prioritaire. Je ne sais pas si mon frère y pensera mais je ne veux pas que tu puisses prendre, même en composé, mon nom de famille.

Si cela était effectivement possible, ma famille avait trop fait de mal pour que je ne me rebelle pas contre cette idée grotesque, celle du mari prenant le nom de son épouse.
Le laissant alors vaquer à ses occupations botaniques, je l’observai, avec surprise, étendre la serre d’un coup de baguette avant de m’approcher de sa table de travail, restant à distance convenable pour éviter de le déranger. Arquant un sourcil alors qu’il me présentait les graines « gracieusement offertes » par mon père, j’hochai doucement la tête.

- Ne t’étonne pas. Il a beaucoup trop de choses dont je ne comprends pas l’origine pour que tu sois étonné de quoique ce soit. Mais si ça peut te servir, alors je suis ravie. Soufflai-je malgré tout rassurée d’observer un sourire, même léger, sur son visage.

Produire certaines potions en grande quantité ? Penchant doucement la tête en réfléchissant, écoutant son idée, je mis quelques instants à répondre. C’était une chose que je n’avais jamais fait. Produire oui, mais en grande quantité… Cela dépendrait sûrement de ladite grande quantité… Pour autant, ça ne serait pas réellement différent de mes préparations habituelles… Il me suffirait de faire quelques calculs pour adapter les doses…

- Si le Professeur Mackelled me donne accès à sa réserve d’ingrédients pour compléter tes plantes… Je pense que je pourrais le faire. Il me faudra juste un endroit où travailler… Mais je suppose que je trouverais une salle au sous-sol à Poudlard s’il le faut… Réfléchis-je à voix-haute. Je peux aussi faire une liste des potions à majorité botanique pour voir ce que nous pouvons faire ensemble de ce côté. Mais à une condition… Relevant mon regard vers lui, je lui offris un léger sourire à mon tour. Le compte sera aux deux noms. Ça sera notre commerce alors.

Tendant la main vers lui, je lui jetai un « Tergeo » rapide pour nettoyer ses mains, en parfait écho à ce qui avait fini par être notre running gag, et lui proposer une poignée de main d’accord.

- Oh. Et je te préviens. Je suis une associée féroce. Trouvais-je la force de plaisanter malgré la situation.

Ça finirait par rentrer. Peut-être. Un jour. Il me faudrait du temps. Penser le contraire aurait été prétentieux de ma part. J’avais été élevé d’une façon contraire à celle dont je devais vivre avec Matthew. Plus libre, plus indépendante, je devais ainsi réapprendre à vivre d’une façon presqu’opposée à celle qui m’avait alors vu grandir et vivre jusque lors. Autant dire que cela représentait un nombre d’éléments à réapprendre particulièrement important, à commencer par le fait de ne plus me mettre de moi-même à un plan plus que secondaire pour ne déranger personne… Comme ses parents.

- M’insulter ? M’étonnai-je presque.

Insulter avec amour… Pourquoi pas. C’était assez contradictoire, mais… Pourquoi pas. Sa mère m’avait, jusque-là, semblée particulièrement attentive et aimante avec ses enfants quoique ferme et directe… Alors… Pourquoi pas, ça ne serait qu’à moitié étonnant à bien y penser.

Ce qui serait alors moins étonnant mais bien moins plaisant, quoique les insultes ne le soient pas réellement, même prononcées avec « amour », serait certainement les négociations que Monsieur Gimhae allait devoir tenir avec Thomas. Le mettant en garde contre un nouveau point important, Matt m’assura que son nom de famille ne serait certainement pas oublié par son père qui se battrait ainsi pour, quoique demande Thomas. Tant mieux. Cela aurait été une trop grande hérésie à mon sens de traditionnaliste. Une tradition exacerbée par la position qu’avait ma famille dans celle étendue de Matt, évidemment. Mieux valait qu’il n’ait pas à supporter le poids d’un nom qu’il ne connaissait pas réellement. Du moins, pas dans le sens généalogique du terme au vu des connaissances de toutes sortes que nous avions fini par avoir l’un envers l’autre.

Le laissant se concentrer sur ses plantes, étonnée de la longueur que venait de prendre sa serre, je répondis à ses questions, dans une réflexion interne quant à mes capacités en potions. Des capacités dont je ne doutais pas, évidemment, bien consciente qu’il s’agissait là de ma plus grande force, mais que je voulais mettre à profit pour nous. Pour nous deux. Alors qu’il participerait, lui aussi, à la préparation de ces potions par le biais de ses plantes.
Proposition qu’il déclina dans un signe de tête. Une moue au visage, je l’écoutai alors avant de soupirer.

- Même s’il ne me laisse rien… J’ai demandé à ma marraine une seule chose sans rien lui expliquer le lendemain de notre arrivée ici. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis mais… Si elle fait ce que je lui avais demandé, mon compte à Gringotts a été fermé et l’argent qui s’y trouvait est en sécurité.

Où ? Je n’en savais rien. Ni même combien il y avait dessus à vrai dire. Je savais simplement que mon père avait mis, à date régulière, des sommes dont j’ignorais le montant, comme il le faisait pour mon frère et ma sœur depuis notre naissance.

- Le compte était à mon nom. J’avais tous les droits dessus. Thomas ne pourra rien dire s’il le découvre mais il ne pourra pas non plus le bloquer puisqu’il sera vide.

Si j’étais majeure, j’avais pourtant signé une autorisation de gestion pour mon père, lui permettant d’avoir tout pouvoir et toute visibilité sur mes comptes… Et donc à mon frère d’en faire de même si mon père n’était plus en état.
Pour autant, Matthew avait raison. Ne sachant même pas combien ce compte comportait, ne sachant d’ailleurs même pas où se trouvait l’argent quoiqu’ayant toute confiance en Amara, mieux valait assurer les arrières…

- Mais d’accord. Acquiesçai-je alors. Quoique je désapprouve cette association. Tu feras bien plus de travail que moi. Mes potions ne demandent qu’un temps plus ou moins court de préparation. Tes plantes elles…

C’était là du travail à temps plein ou presque. Un travail que j’admirais autant que je ne comprenais pas, je devais l’admettre. Arquant un sourcil à sa remarque, je me retrouvai bientôt contre lui, ses lèvres contre les miennes, apaisant toutes mes craintes et mes doutes comme à chaque fois qu’il m’embrassait. Serrant sa chemise entre mes doigts, je posai mon front contre lui, me serrant dans ses bras.

- Je pense déjà à moi. Soufflai-je comme une confidence. Si je ne pensais pas à moi… Je ne serais certainement pas ici aujourd’hui et dans cette situation. Levant la tête vers lui, je vins caresser sa joue avec tendresse, un léger sourire affiché sur mon visage. Mais on survivra à mon frère, hein ? Il a beau être infecte, horrible et je ne sais combien d’autres insultes que je pourrais dire… A un moment il ne pourra plus rien faire, non ?

C’était un fait. Si nous allions jusqu’au mariage, Thomas finirait par ne plus rien pouvoir faire ni contre lui ni contre moi. Ce serait toujours ça de gagné. Du moins était-ce ce que j’imaginais…

Une nouille ? Le pingouin qui… Etouffant d’un rire, je dus avouer que ce genre d’insulte m’était un peu inconnue mais réellement mignonne. Je n’appelais même pas ça des insultes… Comme le disait si bien Matt, elles n’en étaient pas réellement, vraiment. Pour ce qui est, par contre, du manque de sens de la situation… Moi j’en voyais un, de ce sens, mais mieux valait ne pas me battre à ce sujet, ce serait là un débat avec sa mère, donc.

- Elle le fera. Acquiesçai-je quant aux comptes. On peut lui faire confiance.

Cela, je n’en avais aucun doute. Une chose, néanmoins, me faisait étrange… Disons que… Savoir que j’allais devoir quitter l’Angleterre, mon pays auquel j’étais plus qu’attachée, ça, me faisait bizarre… Je ne l’avais jamais fait. D’ailleurs nous étions en Corée mais je ne connaissais rien à la Corée. J’étais dans un endroit inconnu et plus qu’étrange, ça me faisait peur. Mais mieux valait ne pas y penser. Pas encore. Pas tant que ce n’était pas réellement fait.

- Oh. Je sais. Enfin… Je saurais même pas quoi faire de 90% de tes plantes, admis-je en souriant enfin doucement alors que ses bras venaient m’attirer à lui pour me donner ce dont j’avais actuellement le plus besoin : sa tendresse.

Une anecdote… Oui… C’est ce qu’il fallait que nous visions. Nous devions faire passer toute cette histoire rocambolesque pour une anecdote d’ici quelques années. Ce serait la meilleure chose à faire pour lui comme pour moi.
Blottie dans ses bras, les yeux mi-clos, profitant de la chaleur que son corps m’apportait, j’hochai ainsi doucement la tête alors que sa voix venait répondre à mes inquiétudes. Nous allions survivre à mon frère. Ensemble.

- Matt ? Soufflai-je malgré tout lorsque la décision fut prise de faire face à ses parents – Et Merlin savait que j’avais honte de ce que j’avais provoqué par ma simple relation avec lui. Je t’aime.

Esquissant un sourire d’apparence plus serein, je vins prendre possession de ses lèvres pour l’embrasser avec cette passion qui nous avait alors rassemblé jusque là pour, enfin, le relâcher, non sans garder l’une de ses mains dans les miennes, comme un contact devenu indispensable pour moi. Cette courte déclaration était, pour moi, le moyen de me rattacher à ce qui était vrai. Je l’aimais. Et je voulais qu’il le sache. Qu’il sache que tout ça n’était pas pour rien, bien au contraire. Parce qu’après tout… tout était parti de ce simple fait. Non ?

- Mais si je dois vivre en Corée… Tu as intérêt à me montrer tout Busan alors. Parce que je ne connais même pas vos coutumes ou vos traditions, ici.

Bon… ce n’était pas un pays de sauvage, évidemment, mais je savais de par mes livres que les traditions ici étaient bien différentes de l’Angleterre alors… Mieux valait qu’il me prépare un minimum pour que je sois parfaite à tout les étages. Même si j’entendais déjà sa voix me « gronder » quant au fait que je n’aurais jamais à l’être. Evidemment.