Juin. Le mois des examens. L’école était en effervescence. Si, en mai, je recevais déjà une multitude d’élèves stressés, découragés, déprimés et terrifiés par les révisions, je pouvais désormais dire que c’était bien pire maintenant. Les potions telles que le philtre de paix, le philtre calmant ou encore celles qui faisaient office de vitamines, partaient à une vitesse ahurissante. Je passais mes soirées devant mon chaudron pour refaire les stocks. Il ne me semblait pas avoir autant concocté l’année dernière, à mon arrivée…

Ce matin, une bande de petits malins avaient essayé de marchander des potions d’aiguise-méninges alors qu’elles étaient réservées aux élèves qui avaient de réels troubles de la concentration. Les filles du groupe avaient même tenté de m’amadouer avec leurs décolletés. Cela m’avait surtout agacé, et je les avais tous renvoyés de l’infirmerie en les menaçant de faire un rapport à leur directeur de maison s’ils revenaient avec de mauvaises intentions. La décadence de la jeunesse…

Dans un soupir et bien content que la matinée fût terminée, je me rendis à la Grande-Salle pour le déjeuner. Je pris des forces pour l’après-midi qui allait sûrement être aussi mouvementé. Puis j’allai faire un tour dans le parc afin de digérer et m’aérer l’esprit. Il faisait particulièrement beau aujourd’hui. Le soleil brillait haut dans le ciel, et aucun nuage ne venait perturber le ciel bleu.

J’étais en train de passer près d’un amas de buissons fleuris quand un bruit bizarre attira mon attention : cela ressemblait à quelqu’un qui vomissait…

- Il y a quelqu’un ? commençai-je par demander.

Je contournai le feuillage, faillis trébucher sur une élève allongée sur le flanc dans l’herbe, les bras serrés autour du ventre, en proie à une douleur qui l’empêchait de parler et de bouger. Posant un genou à terre, ma main rencontra son épaule au moment où une odeur nauséabonde parvint à mes narines. Non loin de sa tête, au pied d’un buisson, je vis les restes d’un repas régurgité à l’instant. Je pensai immédiatement à plusieurs hypothèses mais pour en éliminer certaines, le mieux était d’arriver à soutirer des informations de la part de ma nouvelle patiente. Je ne l’avais encore jamais vue.

Elle portait l’uniforme de la maison Serdaigle… et c’était tout ce que je pouvais voir pour le moment. Ses cheveux bruns cachaient la moitié de son visage et ses yeux étaient fermés, les traits crispés par la souffrance.

- Ҫa va aller, je vais vous aider, la rassurai-je. Est-ce que vous pouvez parler ?

Cela me faciliterait grandement la tâche. J’imaginais que prendre la parole allait être compliqué, vu tout ce qu’elle avait vomi. Elle devait avoir l’œsophage et la gorge en feu. Mais je ne pouvais rien lui donner à boire si je ne connaissais pas la raison pour laquelle elle était dans cet état.

Au début, elle ne dit rien. Mais je vis son visage se crisper davantage, et elle ouvrit les yeux lentement. Elle hocha à peine la tête et, d’une voix rauque, répondit :

- Ou… Oui…

Elle tenta de se mouvoir mais fut rapidement stoppée par la douleur, serrant encore plus les bras autour de son ventre. Étant hors de l’infirmerie, je n’avais pas le matériel nécessaire pour la soigner. Mais je pouvais déjà essayer de la soulager.

- Je suis désolé, vous allez devoir vous allonger sur le dos, dis-je. Je pourrai mieux vous ausculter.

J’attendis qu’elle le fît, et lui demandai où se situait le mal plus exactement, même si j’avais déjà une petite idée au vu du positionnement de ses mains sur son ventre. Visiblement, elle était touchée au niveau de l’estomac. Et vu qu’elle avait vomi, soit elle faisait une indigestion, soit elle avait avalé quelque chose de fort ou de peu commun. Comme un poison, par exemple. Je devais le vérifier.

Relevant légèrement le chemisier de son uniforme – m’excusant de ne pouvoir faire autrement – jusqu’en dessous de sa poitrine, je posai ma main à plat sur son estomac et entamai une incantation à voix basse. Elle permettrait d’atténuer la douleur, quelle qu’elle fût. J’usai ensuite de ma main libre pour sortir ma baguette, et en pointai l’extrémité vers son nombril.

- Vous souvenez-vous avoir mangé ou bu quelque chose d’inhabituel ? questionnai-je.

Si c’était une simple indigestion, le deuxième sort n’aurait pas d’effet. Par contre, si c’était du poison, je le saurais tout de suite… et ça n’allait pas lui plaire.

- N… Non… souffla-t-elle, un peu plus facilement. J’ai… mangé comme tout le monde…

Je venais d’aller déjeuner aussi, et je me sentais très bien. Mais nous n’avions peut-être pas mangé ou bu la même chose. Les repas à Poudlard étaient très variés afin qu’il y en ait pour tous les goûts.

- Le jus de pomme… ajouta-t-elle alors. Il avait… un drôle de goût…

Ah. Nous nous rapprochions certainement de la vérité. De toute façon, j’allais procéder à un sort de détection des poisons et nous serions vite fixés. Et, effectivement, à peine débuta-t-il que la demoiselle commença à gémir de douleur. Je vis ses mains agripper l’herbe et elle se mit à s’agiter. Par contre, je ne pensais pas qu’elle se mettrait à hurler. Le poison était bien plus fort que je l’imaginais.

Le sort cessa, et son corps s’immobilisa mollement tandis que je rompais le contact. Malheureusement pour elle, je n’en avais pas fini. Là, j’avais constaté la présence d’un poison. Maintenant, je devais le lui retirer. Il semblait déjà bien répandu dans son système digestif. Une potion à ingérer allait mettre trop de temps à agir. Il me fallait user d’une autre technique. Et pour cela, j’avais besoin de matériel. Comme je ne pouvais pas laisser la patiente seule, je fis appel à un elfe de maison. Je n’aimais pas tellement les déranger mais là, c’était une situation urgente. Je l’expliquai rapidement à l’elfe qui apparut devant moi, lui demandai de me rapporter la mallette qui se trouvait dans le bureau des infirmiers.

Il revint en quelques secondes. Je le remerciai, il disparut sans demander son reste. Gardant tout mon calme, j’ouvris la mallette à côté de moi et fouillai dedans à la recherche des fioles et ingrédients dont j’avais besoin.

- Vous allez vous en sortir, déclarai-je, concentré sur ma tâche. Cela va encore être douloureux, et j’en suis désolé. Mais vous irez mieux après.

J’avais décidé d’utiliser la même technique que le jour où j’avais sauvé Mika d’une hémorragie interne. Pour cela, je mélangeai le contenu de trois fioles différentes dans une quatrième, en mélangeant dans le sens horaire des aiguilles d’une montre, le tout agrémenté d’une formule que j’énonçai à voix basse. Quand la potion prit une couleur vert pistache, je la posai droite dans l’herbe pour ne pas la renverser. Puis j’usai d’un sort informulé pour stériliser mes mains.

Je repris la fiole, versai son contenu au creux de ma paume. Comme l’autre jour, aucun liquide ne coula, mais une grosse bulle solide se forma jusqu’à ce que j’eusse tout vidé. Elle resta bien collée quand je retournai ma main vers le sol. Ensuite, je sortis une autre fiole de la mallette : un antidote aux poisons courants. Composé principalement de poudre de bézoard et de corne de licorne – entre autres – il annulait les effets des poisons les plus communs. A l’aide de ma baguette, je prélevai l’antidote que j’introduisis dans la bulle. Puis je regardai la jeune Serdaigle.

- Vous allez devoir rester la plus immobile possible, conseillai-je. Je sais que ce ne sera pas facile mais c’est important, d’accord ?

J’étais seul, je n’avais personne pour la maintenir. J’allais devoir faire avec, ou plutôt sans… Relevant de nouveau son chemisier, je mis la bulle en contact avec son ventre. Et, le plus lentement possible, j’appuyai pour l’introduire à travers sa peau jusqu’à son système digestif. L’antidote se répandrait directement et ferait tout de suite effet. Mais ce n’était pas sans douleur, et j’espérais vivement que ma patiente n’allait pas trop bouger.

Elle répondit par l’affirmative, très coopérative malgré son piètre état. J’étais quelque peu chanceux. Elle aurait pu se débattre et me hurler de ne plus la toucher. Très concentré sur le soin, je restai néanmoins attentif à la moindre réaction de la jeune fille. L’introduction de l’antidote n’était pas sans mal mais elle semblait le supporter. Au fur et à mesure que la bulle diminuait, son organisme absorbait la potion, et le poison était réduit. Il ne s'évaporerait pas complètement mais il le fallait. Car lorsque la bulle disparut complètement et que la paume de ma main toucha le ventre de ma patiente, la deuxième étape du soin pouvait commencer.

- C’est presque fini, annonçai-je.

Tout comme j’avais retiré le sang « sauvage » du corps de Mika, j’allais extraire le poison, et la demoiselle en serait enfin débarrassée. Pour cela, il me suffit de prononcer une formule, et de relever doucement ma main. Une autre bulle se forma et je vis tout de suite à l’intérieur des particules étrangères. Une fois le tout récupéré, je retournai ma main, paume vers le haut, et observai la bulle à la lumière du soleil.

Cette fois, je devais garder ce qui se trouvait à l’intérieur. Le sang de Mika n’en valait pas la peine mais là, je devais analyser le poison afin de le reconnaître. Alors, de ma main libre, je sortis une fiole vide que j’ouvris. Je la posai droite dans l’herbe, pris ma baguette et la pointai sur la bulle. Les quelques restes du poison en sortirent et allèrent se déposer au fond de la fiole que je refermai. Poussant un petit soupir satisfait, je souris à la jeune Serdaigle et dis :

- Tout va bien, vous n’avez plus rien à craindre.

Je fis disparaître la bulle, rangeai la fiole dans ma mallette et la refermai. Profitant d’avoir ma baguette en main, je fis apparaître une petite serviette en coton et tapotai le front de ma patiente. Elle semblait avoir encore de la fièvre. Mais il lui suffisait d’un peu de repos et elle irait bientôt mieux.

- Vous pouvez vous relever, mais doucement, conseillai-je. Vous êtes encore faible.

Je lui offris ma main au cas où elle voulait au moins s’asseoir.

- Comment vous sentez-vous ? demandai-je. Les vertiges, c’est normal, ajoutai-je, certain qu’elle en parlerait. Vous avez besoin de reprendre des forces. Mangez et buvez dès que vous en ressentirez de nouveau l’envie. Quelque chose de non irritant pour la gorge, si possible.

Elle prit doucement ma main pour se mettre en position assise, et affirma avoir effectivement quelques vertiges. Je pouvais peut-être lui donner de quoi se requinquer le temps de se remplir à nouveau l’estomac. Fouillant de nouveau dans ma mallette, je dégotai une boîte remplie de petites boules de couleur orange. Elles avaient la taille d’une bille de jeu et ressemblaient à des bonbons. C’était tout comme, sauf qu’elles étaient composées d’un mélange de plantes et ingrédients aux vertus énergisantes. Je penchai la boîte pour laisser tomber une bille au creux de ma main.

J’allais la lui donner quand je réalisai que son visage auparavant inconnu me disait finalement quelque chose. Elle était plutôt pâle de peau, et ses yeux noisette avaient la particularité d’être pas mal écartés l’un de l’autre. Cela n’enlevait rien à son charme, parce qu’elle était quand même mignonne. Mais là n’était pas la question. Elle me rappelait quelqu’un d’autre.

- Vous m’avez sauvé la vie… dit mon interlocutrice d’une voix encore un peu éraillée. Merci…

Le terme « sauver la vie » éveilla alors un souvenir assez récent.

Mars 2022. Je terminais ma journée de travail à Ste Mangouste et parcourais les rues de Londres. J’allais en direction de la ruelle dans laquelle je transplanais habituellement pour retourner chez moi. Mais au moment où j’y entrai, je tombai sur un groupe d’hommes en train de se battre entre eux. C’était ce que je pensais à première vue. Et je n’étais pas franchement emballé à l’idée de me faire remarquer et embarquer là-dedans. Cependant, ce fut lorsque je pris conscience qu’en fait, un seul homme se faisait passer à tabac par tous les autres, que je réagis. J’interpelai le groupe, espérant en même temps les faire fuir plutôt que les attirer vers moi.

Cela fonctionna. Ils préférèrent s’enfuir plutôt que de chercher l’affrontement. Je me précipitai sur l’homme à terre, constatai son jeune âge ainsi que son état critique. Je ne savais absolument pas pour quelle raison il s’était retrouvé dans cette situation mais ma priorité en tant que médicomage était de le sauver. Il avait perdu connaissance. Il peinait à respirer, son visage était ensanglanté et contusionné, et l’un de ses bras semblait cassé. Un rapide examen me confirma qu’il était en train de mourir d’une hémorragie interne, et que l’un de ses poumons était perforé par une côte cassée. Je fis tout mon possible pour lui administrer les premiers soins, tandis que mon Patronus partait à Ste Mangouste pour demander du renfort.

Ce jeune homme dont je parvins à sauver la vie était un sorcier de dix-huit ans qui se prénommait James. Le jour où il reprit connaissance, je n’eus pas vraiment d’explications sur la raison pour laquelle il avait attisé la haine de ses assaillants. Je sus seulement qu’il avait voulu protéger sa jeune sœur Sarah que je n’avais jamais vu. Il travaillait pour son père, un modeste commerçant en épicerie magique. Et, depuis sa sortie de l’hôpital, il vint souvent me saluer. Je ne l’avais pas croisé depuis un petit moment. A vrai dire, cela faisait maintenant plus d’un an que je ne travaillais plus à Ste Mangouste. Peut-être avait-il essayé de passer…

En tout cas, le souvenir que j’avais de James me rappelait beaucoup la demoiselle qui se trouvait devant moi.

- Je vous en prie, répondis-je simplement. C’est mon travail.

Autant tenter, ça ne coûtait rien.

- Vous avez eu de la chance que je sois passé par là, repris-je. La même chance que votre frère.

Quel était son nom de famille, déjà ? Ah oui !

- N’est-ce pas, Miss Beckett ?

Elle déclara que j’avais mon métier dans le sang et que je le faisais très bien. Cela faisait toujours plaisir à entendre, d’autant plus que ce n’était plus aussi souvent qu’avant… Elle réagit aussitôt à son nom et, à ma grande surprise, parut soudain méfiante. Son regard transperça le mien, se fit même agressif. J’eus peur d’avoir attisé quelque chose que je ne saurais peut-être pas maîtriser.

- Qui vous a parlé de mon frère ? demanda-t-elle avec plus de calme que je l’aurais imaginé. Comment êtes-vous au courant de son agression ?

J’avais donc vu juste. M’asseyant d’abord, un genou relevé sur lequel j’appuyai mon bras plié, je lui offris un sourire avenant, démontrant que le sujet de son frère n’était pas quelque chose dont je voulais me servir contre elle.

- Je suis au courant parce que c’est moi qui l’ai trouvé dans cette ruelle, répondis-je aimablement. Quelques minutes de plus, et il était mort.

Il avait sûrement dû lui raconter ce que je lui avais expliqué à propos de ses différentes blessures à son réveil.

- Il ne m’a jamais dit pourquoi il s’est retrouvé dans une si… fâcheuse situation, repris-je en haussant les épaules. Et je ne suis pas là pour vous obliger à me le révéler, ajoutai-je précipitamment pour anticiper sa réponse. Je suis bien conscient que ce ne sont pas mes affaires, je soigne, c’est tout. Il m’a simplement dit qu’il voulait protéger sa petite sœur, dis-je en la désignant d’un petit geste de la main.

J’eus un sourire en coin.

- Donc… à ce que je constate, c’est plutôt vous qui attirez les ennuis, remarquai-je, sur le ton de la plaisanterie.

Elle déclara m’être éternellement reconnaissante d’avoir sauvé son frère. Elle semblait beaucoup y tenir. Étant fils unique, je n’arrivais pas à imaginer une vie en fratrie. J’aurais bien aimé avoir un frère ou une sœur… Ce devait être sympa et amusant. Sauf quand la petite sœur semblait se mettre des gens à dos, notamment ses camarades de classe ! Car je ne voyais pas qui, à part d’autres élèves, auraient bien pu glisser du poison dans le jus de pomme de la jeune Serdaigle qui se tenait devant moi. D’ailleurs, avec un petit sourire en coin, elle fit remarquer qu’elle avait une aura beaucoup trop attractive pour ces choses-là et que les trois quarts des élèves de cette école préféraient rester loin d’elle.

C’était triste à entendre. La scolarité était sensée être une période aussi intéressante que plaisante. Entre l’apprentissage, les rencontres, l’esprit d’équipe et le partage, il n’y avait guère de place pour la confrontation et la haine. Enfin… je n’étais pas aveugle ni assez bête pour croire que tout était rose. J’avais moi-même subi quelques moqueries à Beauxbâtons à cause de mon prénom qui sonnait très féminin, et de mon acharnement au travail. On avait beau faire partie des meilleurs élèves, et être le plus discret possible, on n’échappait pas forcément aux critiques et aux mauvaises blagues.

Je trouvais cela dommage. Surtout que là, on était quand même sur de la tentative de meurtre au sein de l’école. C’était grave ! Je devais rapidement retourner à l’infirmerie pour faire mon rapport et le transmettre à la directrice dans les meilleurs délais. J’irais même directement frapper à la porte de son bureau. Cette affaire ne devait pas traîner.

- Il n’empêche que ce n’est pas quelque chose à prendre à la légère, déclarai-je en retrouvant mon sérieux. Vous auriez pu y passer.

Je soupirai.

- Et il y a eu bien assez de pertes ces derniers temps…

Je me rendis compte que je tenais toujours la petite bille orange énergisante au creux de ma main. Je la lui donnai et dis :

- Tenez, ça va vous redonner un peu d’énergie.

Je vérifiai que ma mallette était bien fermée. Suite à cela, je me levai et époussetai ma blouse. Puis je tendis une main à Sarah, proposant gentiment mon aide pour l’aider à se mettre debout à son tour. L’antidote ayant fait complètement effet, elle allait pouvoir rentrer au château désormais.

Elle examina la bille orange et la renifla, curieuse.

- On dirait les bonbons moldus, commenta-t-elle. Les boules à la fraise, à la pomme ou encore au cola.

Elle la fourra dans sa bouche et grimaça.

- Ah là, on est plus sur du « Ricola »…

Je haussai les épaules avec un sourire désolé. Malgré le goût, cette petite bille allait vite la requinquer. Enfin, elle saisit ma main et se mit debout. Doucement, elle vérifia que ses jambes la portaient bien et qu’elle n’allait pas vaciller. Visiblement, elle était en pleine forme pour quelqu’un qui venait d’être empoisonné. J’étais content d’avoir pu être là à temps. Une mort supplémentaire aurait encore chamboulé l’école… En tout cas, je me contentai largement de son sourire reconnaissant, et y répondis par un hochement de tête respectueux.

Comme l’odeur du repas qu’elle avait rendu planait encore dans l’air, je lui proposai de me suivre et de marcher un peu dans le parc.

- Dites-moi… fis-je alors, en fouillant dans mes souvenirs. Comment va votre frère ? Il passait me voir lorsque je travaillais à Ste Mangouste mais…

J’hésitai.

- Depuis que je n’y suis plus, je n’ai pas eu de nouvelles de James. C’est de ma faute, ajoutai-je avec amertume. Je n’ai même pas pensé à l’en informer.

Et cela n’avait pas risqué de me frôler l’esprit, vu l’état dans lequel j’étais après ma démission : plongé dans la dépression et l’alcool, je ne pensais plus qu’à Elisabeth et à me maudire de ne pas avoir été là à temps pour la sauver.

- Il travaille toujours avec votre père ? demandai-je.

- Il va très bien, répondit-elle, sans plus aucune méfiance, désormais. Il s’est complètement remis de son agression et n’a que quelques petites cicatrices qu’il arbore fièrement comme un paon.

Je soufflai du nez avec un sourire en coin. Je me souvenais l’avoir entendu dire qu’il s’en servait pour draguer. Parfois, cela fonctionnait. Et d’autres fois… les demoiselles le prenaient pour un délinquant et en avaient peur. Heureusement, James était quelqu’un de gentil et compréhensif, et n’insistait jamais lourdement. Je me demandais s’il avait fini par trouver quelqu’un…

Sarah déclara qu’après mon départ, son frère revint souvent demander de mes nouvelles. Mais il n’eut aucune réponse. Et pour cause : personne ne savait pourquoi j’étais parti, à part la direction. Et on ne risquait pas de lui donner l’information. Je m’en voulus de ne pas avoir laissé de message à quelqu’un qui me tenait en estime. C’était très irrespectueux de ma part…

- Mais il s’est fait une raison, poursuivit-elle. Il a pensé que vous étiez très occupé et que vous aviez dû changer de vie très rapidement dans l’urgence. Il ne vous en a jamais voulu. Il tient beaucoup à vous, il vous considère tout de même comme son ami.

Il ne m’en avait jamais voulu mais moi, ça me dérangeait beaucoup, je n’arrivais pas tellement à y croire. Apparemment, il travaillait toujours avec son père, appréciant le côté simple mais riche en relations et amusements.

- Je suis content pour lui, dis-je très sincèrement. Mais… je suis vraiment gêné, ajoutai-je avec un sourire désolé. J’aimerais pouvoir m’excuser de vive voix.

Je suivis des yeux un oiseau qui disparut dans la cime des arbres de la Forêt Interdite.

- Quand vous le verrez cet été, pouvez-vous lui dire que je voudrais le revoir ? demandai-je. Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais avoir son adresse pour lui envoyer un hibou. Même si vous dites qu’il ne m’en a jamais voulu, je lui dois quand même des explications. En tant qu’ami… c’est la moindre des choses.

Toutefois, je n’étais pas certain d’être capable de lui raconter mes malheurs. Je n’arrivais même pas à le dire à Merindah alors que je la connaissais depuis quasiment aussi longtemps. A la place, je déblatérais des mensonges que j’allais finir par regretter. J’allais décevoir du monde…

- Ne soyez pas gêné, vraiment pas… assura Sarah. S’il vous en avait voulu, je comprendrais, mais ce n’est pas du tout le cas, ne vous inquiétez surtout pas pour ça !

Elle ajouta qu’elle passerait le message à son frère sans souci, et s’arrêta un instant pour fouiller dans son sac de cours. Elle en sortit un parchemin et une plume. Puis elle alla s’appuyer contre le tronc de l’arbre le plus proche et griffonna quelques mots dessus. Quand elle eut terminé, elle me tendit le parchemin.

- Je persiste à dire que, peu importe la raison, il ne vous en tiendra pas rigueur et vous soutiendra coûte que coûte, dit-elle.

La gentillesse de ses mots me fit sourire tandis que je regardais l’adresse qu’elle avait noté. Je la remerciai et rangeai soigneusement le parchemin dans la poche de mon pantalon. Maintenant, il me fallait faire mon rapport et le transmettre rapidement à la directrice. Cette histoire d’empoisonnement était très sérieuse. Saluant respectueusement Sarah et lui souhaitant un bon après-midi, ainsi que d’être prudente, je rentrai au château et montai à l’infirmerie.

D’abord, je fis une analyse du poison que je récupérai dans ma mallette. Cela ne prit pas longtemps, et je pus déterminer son origine : une mixture grossièrement préparée par les élèves qui avaient voulu s’en prendre à Sarah, et qui contenait entre autres des traces de champignons vénéneux. A mon avis, ils avaient raté leur préparation. Et c’était certainement ce qui avait sauvé la vie de Sarah, en plus de mon intervention. Elle n’en aurait pas perdu la vie mais la souffrance qu’elle avait enduré fut bien suffisante.

Dans la rédaction de mon rapport, je fis en sorte d’être assez bref afin de le donner au professeur McGonagall le plus rapidement possible. Je n’omis cependant pas les détails. Et une fois fait, je quittai l’infirmerie à grands pas pour me rendre au bureau de la directrice.