Cela faisait bien trop longtemps que j’étais rentré d’Australie. Si mes parents n’avaient pas manqué d’épingler mon départ en trombe et surtout mon « manque de respect » envers ma mère lors de celui-ci, ils avaient au moins été satisfaits de me savoir proche du frère de Miss Kareela… C’était déjà cela… Car cela m’avait permis d’être libéré pour le reste des vacances, de ne pas avoir à courir après des rendez-vous ou des rappels de ma mère quant à une future potentielle union qui arriverait dès que mes cousins seraient fiancés.

Ainsi avais-je repris mes habitudes au sein de cette demeure familiale que je finissais par avoir en horreur. Ici, je ne souriais pas. Ici, je ne vivais pas. Mes seuls instants de lumières me venaient alors d’une nouveauté dans ma vie : le téléphone portable. Me permettant de rester en contact avec Mika, bien caché dans ma chambre dans laquelle je restais souvent enfermé, j’avais ainsi droit à des instants de soleil. Je pouvais le voir, lui parler, lui envoyer des photos ou des messages texte, en recevoir aussi… Bref. Tout ce qu’il me fallait pour survivre à ces milliers de kilomètres qui nous séparaient alors.
Des milliers de kilomètres et un temps qui me paraissait infini qui allaient néanmoins être mis à contribution. Si je continuai la musique, enfermé dans une chambre insonorisée pour que personne ne puisse le savoir, j’avais aussi commencé la danse, apprenant les chorégraphies de vidéos que Mika avait mis sur mon téléphone portable et plus que cela, j’avais décidé d’apprendre la cuisine. Oui. La cuisine. Et pas seulement les brownies.

A vrai dire, cette idée était venue d’une autre. Celle de lui organiser une soirée, rien que pour nous, dans notre chambre, à la rentrée. Une soirée lors de laquelle je danserais sur la chorégraphie, lors de laquelle il pourrait manger toute la viande qu’il préfère et surtout lors de la quelle je lui demanderais bien plus officiellement de m’épouser. Mais pour ce faire… Encore fallait-il que je sache comment lui préparer la viande…

C’est pourquoi et cela depuis quelques jours, j’avais repris ma place en cuisine. Etonnamment, à partir de ce moment, il m’avait semblé que quelques domestiques commençaient à me fuir… Soit. Il m’en resterait d’autre et surtout ma sœur pour goûter mes plats. Aujourd’hui allait être d’ailleurs le premier jour de sortie de ces derniers puisque j’avais réussi à terminer trois recettes. Ainsi seraient au programme du jour : Le paleumijiana chikin imprononçable qu’il aimait tant, des brochettes de bœuf entièrement façonnée à la main et son ignoble pizza à l’ananas. Rien de plus simple ! Enfin… Sur le papier…

Le problème étant que je n’arrivais pas à suivre toujours entièrement une recette. Je ne pouvais jamais m’empêcher de la modifier, de la compléter d’une chose ou deux qui me semblaient « pas mal » ou d’enlever des éléments « de trop » qui n’allaient pas dans l’harmonie que j’imaginais… Ce qui expliquait en grande partie mes terribles essais, d’ailleurs.
Mais aujourd’hui… Ne serait certes pas différents, mais au moins serait le premier jour des tests !

Ainsi, un tablier enfilé, j’étais désormais derrière le comptoir de la cuisine, concentré, tous les ingrédients étalés devant moi.

- Couper le bœuf déjà… Soufflai-je à moi-même en attrapant un couteau de boucher.

Première étape et pas des moindres au vu de ma capacité à me blesser seul et de ma maladresse : je devais tailler bœuf en brochette. J’avais vu les tailles lors du barbecue d’Australie, cela ne devait pas être compliqué ! Ainsi me mis-je à couper… Très, très, très petit chaque morceau de bœuf.

L’après midi allait être long…

J’étais concentré. Il fallait que je réussisse ces recettes enfin… Non. Que je réussisse cette soirée que je voulais organiser pour lui. Il m’avait donné bien plus qu’il ne l’imaginait pendant ces vacances. Nous nous étions fiancés et… Je devais le faire, je devais faire en sorte que tout soit parfait. Repas, danse, redemande… Tout devait être absolument parfait. Et c’était pour cela que j’étais absolument concentré dans ma tâche, tentant de faire des morceaux de bœuf égaux au centimètre – car ils n’étaient pas plus grand qu’un centimètre de côté. Tout. Devait. Être. Parfait. Et je ne devais pas me couper. Une deuxième tâche presque plus ardue que la première tant je pouvais être maladroit avec ce genre d’ustensile. Mais soit. J’allais y arriver. Et si ce n’était pas le cas, je ne le dirais pas à Mika. C’était tout aussi bien.

Ainsi, je me tenais là, derrière le comptoir, les yeux presqu’à hauteur de viande, entrain de la découper au cordeau lorsque…

- ?!

J’avais sursauté, et le couteau avait râpé, m’écorchant la main alors que je serrai les dents sans bouger. Impossible de me laisser aller. Cela faisait pourtant mal. Très mal. Et… Non. Fier. Et. Fort. Déglutissant, j’avais attrapé ma baguette sans un mot pour la pointer sur ma main.

- Epiksey…

Ce sort finissait par être mon préféré… La blessure refermée, j’avais alors soufflé, l’envie de me plaindre restant forte quoique moins difficilement tue qu’avant tant la douleur était plus faible.

- Bonjour Bo-Bae. Avais-je, enfin, prononcé. Je ne t’ai pas entendu arriver.

Une évidence au vu de ma blessure. Mais la grande question était… Que faisait-elle là ? Ou plutôt… Pourquoi voulait-elle m’aider ? Je n’avais jamais été très à l’aise face à ma sœur, ne sachant pas comment me comporter, la peur de me faire découvrir bien trop importante pour que j’arrive à faire confiance, à… à me comporter comme celui que j’étais devant elle. Non. Face à elle, je devais être celui que l’on attendait moi. Cet aîné obéissant qui devait lui montrer un exemple que j’exécrais pourtant de plus en plus.

- Oui… Avais-je malgré tout soufflé, un peu perplexe de sa proposition alors que je nettoyai le couteau. J’apprend quelques recettes de plats australiens que j’ai pu manger là-bas. Expliquai-je.

Elle savait que j’y avais été. Elle savait que j’étais allé voir le frère de Merindah Kareela, sang pure australienne dont le père était Premier Ministre du pays. Sûrement se doutait-elle, d’ailleurs, de l’espoir de nos parents qui n’avaient, sans doute, pas pu s’empêcher de crier leur désir d’union auprès des Kareela dans la famille.
La laissant ainsi s’installer, j’avais alors observé le comptoir, ne sachant pas vraiment comment cuisiner avec quelqu’un, ni ce qu’il fallait vraiment faire…

- J’essayais de couper la viande en morceaux égaux pour faire des brochettes. Je dois aussi faire du… paleumijiana chikin, soufflai-je dans un accent affreux, et une pizza à l’ananas… Et aussi du bœuf grillé avec des sauces différentes…

Je venais d’ajouter une recette supplémentaire sans même savoir ce que pouvaient être ces sauces que Mika avait avalé durant notre barbecue. Mais il aimait. Alors je le lui ferais.

- Tu veux… Que pouvais-je lui donner ?... Tu veux couper la viande ? Je vais faire une sauce pour tester…

Je ne l’avais pas goûté mais celle que je voyais était rouge, je me doutais donc de ce qu’il pouvait y avoir à l’intérieur…

- Mais tu n’es pas obligée. Avais-je, malgré tout, ajouté avant de froncer les sourcils, visiblement mal à l’aise d’être aidé par une sœur qui ne se doutait pas pour qui était destiné tout cela. Concentré alors que je cherchai du concentré de piment qu’il devait forcément y avoir quelque part, j’avais alors repris. Tu es prête pour ton déménagement ?... Et… Tu as pu te remettre de ton accident ?

Car après tout… Nous n’avions pas vraiment eu l’occasion de discuter. Enfin… Ce n’était pas une nouveauté, certes, nous n’avions jamais parlé mais… Puisque nous étions là… Autant tenter quelque chose. Quand bien même j’étais mal à l’aise, quand bien même ce n’était pas habituel… J’essayai. Mika m’avait prouvé beaucoup de choses, il m’avait fait évolué, il me faisait grandir et… Grâce à lui, j’avais compris l’importance de la communication, une chose que nos parents ne nous avaient pas appris, pour sûr.

Observant ma sœur s’incliner sans un geste pour l’y retenir tant cela me semblait presque normal, j’avais néanmoins doucement secoué la tête.

- Ce n’est rien. J’étais concentré. Lui soufflai-je malgré tout alors que je soignai ma blessure rapidement.

Cela aurait pu s’arrêter, là comme souvent d’ailleurs, voire comme toujours, mais il n’en fut rien. Bo-Bae s’approcha et… Me proposa de l’aide. Pourquoi ? La question me brûlait les lèvres mais… Elle restait ma sœur et… Soit. Acceptant donc, je lui avais indiqué mes idées, mes souhaits sans même parler de mes motivations qui resteraient bien profondément enfouies en moi.

- Non… Admis-je en grimaçant. Et je n’en ai pas trouvé dans les livres des domestiques. Personne n’a pu m’aider. Mais j’ai vu quelqu’un faire. Cela devrait aller, je suppose.

Quelqu’un. Je n’aimais pas parler de la mère de Mika, de ma belle-mère, de la sorte. Mais sa famille devait restée cachée. Nous n’avions pas le choix… Je n’avais pas le choix. Lui proposant de couper la viande, chose qu’elle avait acceptée, je l’observai faire preuve d’une politesse à toute épreuve et… Trop. C’était toujours trop mais… Je ne dis rien. Jamais. Secouant de nouveau la tête pour lui indiquer qu’il était presque normal d’accepter son aide, ou du moins que je n’aurais pas fait autrement même si cela semblait me perturber, je me mis à tenter de reproduire les sauces à leur couleur et leur odeur… Approximative.

- Non. Admis-je encore alors que je me rendais compte de mon manque certain de recettes. Mais l’une d’elle était rouge et avec une odeur un peu sucrée. Je devrais réussir.

Je n’en étais pas convaincu mais c’était pour Mika alors… Bien sûr, je réussirais. Pour autant… Cuisiner en silence était… Etrange. Tout comme parler, d’ailleurs, mais ce fut bien ce dernier choix que je fis. Et je parlai, je tentai de converser avec ma sœur, ce qui ne nous arrivait jamais. Tentant une question simple, je m’enquérais rapidement de son état de santé alors que mes parents n’avaient même pas pris la peine de m’avertir de cet événement pourtant important. Au moins toutes ses affaires étaient-elles prêtes pour le départ en Europe. Quant au reste…

- C’est normal. Avais-je soufflé en observant intensément mes tentatives de sauces, tentant, réellement, de paraître « normal ».

Mais la normalité des autres était une chose que nous ne connaissions pas et j’apprenais toujours, j’apprenais à vivre, à me comporter comme… Comme Mika, à vrai dire. Ou plutôt comme je me sentais bien. Comme j’étais réellement. Et… Et ainsi se termina notre discussion. Nous n’en avions pas l’habitude. Nous ne savions pas comment faire et… Et je me tus. Jusqu’à ce qu’une question me soit posée et que je me fige l’espace d’une seconde. Mes vacances et…

- Bien. Répondis-je en reprenant contenance. J’ai découvert un pays agréable et ouvert. Expliquai-je en terminant cette première sauce à base de sucre, de gochujang, d’ail, de sauce tomate, d’oignons, de curcuma et de cannelle qui donnait la couleur qui me semblait parfaite pour ce que j’avais vu. Les Kareela ont été accueillants. Mika, le frère de Merindah, m’a montré beaucoup de lieux et d’activités australiennes. C’était un voyage instructif qui m’a permis d’établir des liens avec le Ministre.

Il me semblait que mentir à ma famille était une deuxième nature tant je n’avais pas flanché le moins du monde en racontant ces mensonges ou plutôt… Cet arrangement de la vérité.

- Je suppose que Père et Mère n’ont pas su s’empêcher de s’enthousiasmer d’un fait qui ne deviendra peut-être jamais réalité. Car même si Mika pouvait être considéré comme le frère de cœur de Merindah… C’était bien à lui que je m’étais fiancé et non à Merindah Kareela. Ils ont sûrement oublié que Hyun-Su-ssi et Min-Ho-ssi devaient prendre épouse avant qu’ils ne puissent me… Je me stoppai alors qu’il devenait évident que le mot « vendre » allait sortir de mes lèvres, pour me rattraper. Avant que je ne puisse épouser une femme. Soufflai-je alors en observant les morceaux de viande qu’elle avait coupé. Ce n’est pas trop gros ? Ils sont censés tenir sur un petit pic…