- Tu te ramollis ! Avais-je plaisanté à tue-tête en renvoyant le cognard sans y mettre une force considérable.

Voilà des moments que j’appréciais particulièrement. Ils n’étaient pas rares, fort heureusement. Que cela soit avec Jayden ou Miles, il était toujours agréable de s’entraîner au Quidditch, ou même, à défaut, de passer du temps avec eux. Nos maisons respectives ne nous permettant pas de passer réellement beaucoup de temps les uns avec les autres – et fort heureusement, je chérissais bien souvent tout autant ma tranquillité – je profitais ainsi de ces moments à deux ou à trois, avec ma famille.
Ainsi étions nous resté sur le terrain, nous renvoyant ce cognard, sans qu’aucun de nous ne se doute de ce qui allait se produire. Comment aurions-nous pu, en un sens, imaginer que mon balai deviendrait fou ? J’avais senti quelque chose le percuter sans en comprendre le sens ni même l’origine. Ratant, de fait, le renvoi du cognard, j’avais été la victime impuissante d’un balai bien décidé à quitter le terrain sans que je n’arrive à reprendre le contrôle.

Pourquoi ainsi ? Pourquoi exactement à cet endroit ? Le destin me détestait-il ? Moi qui tentais toujours de faire le bien autour de moi, ou à défaut, de ne pas aggraver les situations ? Ces questions n’eurent, de toutes les manières, pas le temps d’être réfléchies ou même posées. Je me vis en quelques trop courtes secondes, foncer droit sur le lac noir sans pouvoir rien y faire, tentant désespérément de stopper ce maudit balai. Une seconde. Et l’instant d’après, l’eau m’ensevelissait.

Une eau froide, aveuglante, m’entourait alors que je me débattais pour en sortir. Prise d’une panique irréfléchie, impossible à contenir, je m’évertuai le temps de quelques instants à battre pieds et mains pour m’en sortir, en vain, j’avais l’impression que tout m’entraîner vers le fond, dans une abîme infinie, sans que je ne puisse déterminer où était la surface. La peur me paralysa alors. D’une réaction de survie, mon corps refusa désormais de bouger, pétrifié de peur, se refermant sur lui-même comme pour espérer un miracle. Je ne comprenais pas, je n’arrivais pas à comprendre mais l’air me manqua bientôt, trop tôt alors que l’eau continuait à m’ensevelir. Là. Tout autour de moi. Sans que je ne puisse rien distinguer. Tout était flou. Tout était effrayant. Et une douleur, une brûlure, me prit alors vivement dans la poitrine entraînant l’arrêt de tout image.

Comme ça ? Juste comme ça ? A cause de ce que je détestais le plus ? Cet élément qui avait manqué à ma mère pour survivre allait me prendre ? Un paradoxe que je n’acceptais pas sans que je ne puisse le combattre. J’avais peur, j’avais tenté de crier, de me débattre, mais j’avais juste raté. Comme il y avait onze ans. Des images. Paradoxalement à ce qui m’entourait, j’entrevis les flammes et ce verre d’eau que j’avais réussi à renverser, en vain.

…

Combien de temps ne ressentis-je plus rien qu’une étrange sensation de calme qui avait pris le pas sur ma panique et ce flashback ? Bonne question. Mais cette même douleur qui m’avait fait sombrer dans l’inconscience se répéta. La fin ? Non. Un début. Mon corps et ma tête me brûlaient alors qu’une envie de vomir certaine secouait mon corps.
Ouvrant les yeux, je ne voyais rien qu’un flou gaussien qui ne me permettait pas de comprendre ce qu’il se passait. Toussant fortement, crachant l’eau que j’avais pu avaler, je ne sentis même pas que l’on me basculait sur le côté alors qu’une voix me parvenait à peine.

Il me fallut ce qui me parut être de longs instants pour reprendre mon souffle, la gorge et la poitrine en feu, mes yeux se rhabituant à la lumière et mon pull me quittant pour être remplacé par un autre, chaud. Tremblante de toute part, j’observai autour de moi, l’air hagard sans comprendre. Le visage de Miles. Ce fut la première chose que je captai. La seconde, elle, fut bien moins agréable alors que ma chute dans l’eau me revenait à l’esprit.

- …

Je tentai de parler, je tentai de verbaliser ce que je n’avais fait : j’avais peur, j’étais tétanisée et cette tétanie même m’empêcha de sortir le moindre son pour me faire trembler de plus belle. Je n’avais même pas froid malgré les températures et mes vêtements trempés. J’avais juste… Peur. Et c’est en pleurs, stupéfaite, presque, que je vins m’effondrer dans les bras de mon frère de cœur, incapable de parler, de sortir de cette panique qui me reprenait au « simple souvenir » de ce qu’il venait de se passer, le corps secoué de spasmes incontrôlables.

Je n’y comprenais rien, ou alors je comprenais trop. Un paradoxe qui venait embrouiller mon esprit alors que je fixais Miles comme perdue. Sa lumière m’éblouit. Qu’est-ce qu’il faisait ? Pourquoi est-ce qu’il faisait ça ? A quoi ça servait ? Je n’en avais pas besoin. Ou plutôt je n’en avais pas envie. J’avais envie d’arrêter de pleurer et de trembler. Je n’avais pas envie de suivre cette satanée lumière, pas envie de sentir cet appareil qui me gênait. Pourtant, cet appareil permit de ralentir ma respiration, de ravoir cette impression d’avoir assez d’air là où j’en manquais. Mais je n’en avais toujours pas envie. Pourtant, je le laissai faire, incapable de me débattre, sonnée.

Si je savais qui il était ? Evidemment. Bien sûr que je savais. Concentrée sur lui, je ne pouvais que le savoir mais pourquoi me demander ça ? Quant à où nous étions… Je clignai des yeux.

- Je…

Un mot sortit enfin de ma bouche alors qu’une quinte de toux me reprenait suffisamment pour qu’une forte nausée ne vienne me détourner de lui. Il me fallut quelques minutes pour qu’enfin mon estomac se calme, me permettant de revenir à une respiration légèrement plus calme quoique toujours secouée des tremblements de mon corps.

- Partout… Articulai-je en attrapant maladroitement les bords de la couverture pour m’emmitoufler dedans.

Là. Voilà. Je me sentais mieux comme ça, enfermée, dans un sec relatif mais sur la terre ferme. Secouant négativement la tête pour lui indiquer que non, je ne voulais pas qu’il palpe quoique ce soit, je tremblai de nouveau, me dégageant soudainement de l’appareil qu’il m’avait mis autour du visage, dans une impression brusque d’étouffer de nouveau comme lorsque j’avais plongé dans l’eau. Une impression qui me prit de nouveau au ventre alors que ma respiration s’accélérait de nouveau sous la panique. Une panique qui s’accentua alors que la nausée m’obligea à quitter la couverture et à me détourner, vidant mon estomac de son contenu sur l’herbe fraîche.
Là, appuyée sur un bras, je tentai de reprendre ma respiration, de me calmer, de rationaliser sans y parvenir réellement.

- Pardon… Murmurai-je en fermant fermement les yeux pour tenter de me concentrer, de ne pas vomir de nouveau sous la panique.

Je n’étais plus dans l’eau. Je n’étais plus dans l’eau. Je n’étais plus dans l’eau. Cette phrase tournait dans mon esprit sans que ce dernier ne l’accepte réellement.

- Dis rien à Papa…

Pourquoi est-ce que cela m’inquiétait maintenant ? Question pour le moment irrésolvable alors que je me rasseyais, de nouveau fixée sur Miles.

L’estomac vide n’avait pas réellement arrêté ma nausée mais au moins avais-je pu me laisser guider par Miles. Allongée sur l’herbe, tremblante, j’avais fini par accepter muettement de le laisser me toucher. Pas de douleur, pas que je ressentais réellement à son toucher, juste cette impression de douleur globale, mes poumons brûlants encore de l’eau que j’avais avalé, et cette nausée affreuse que ses mains n’arrangeaient pas. Secouant ainsi la tête négativement, je descendis de nouveau son pull dans un mouvement qui ne signifiait rien d’autre qu’une envie de me recroqueviller et d’arrêter là cette observation dont je n’avais pas envie.

Je comprenais à peine la raison de cette auscultation, ne réfléchissant pas à ma santé, juste à ma peur, à l’angoisse qui découlait de ce qu’il venait de se passer, m’empêchant de me raccrocher à la réalité. Pour autant, ce fut la réalité qui me rattrapa mais certainement pas la mienne, celle de mon père. J’avais toujours tout fait pour ne pas l’inquiéter, pour être indépendante, ne pas être un poids supplémentaire depuis la mort de maman et soudain, cela m’avait paru être la seule réalité : il ne devait pas savoir. Il ne devait pas s’inquiéter. Dans une supplique adressée à Miles à ce sujet, sa réponse fit de nouveau rouler les larmes sur mes joues.

- S’il te plait… Murmurai-je alors que la nausée autant que les sanglots reprenaient de plus belle.

Si papa l’apprenait, il s’inquièterait, je deviendrais un poids alors que je devais être sans problème, sans ennuis. Je devais être forte et laisser Papa tranquille. Cela avait toujours été mon leitmotiv. Imaginer que cela puisse être le contraire ne serait-ce qu’une seule fois me prenait à la gorge. Pire. Il s’agissait de l’eau, il s’agissait de leur don, de mon don, de ce que je voulais cacher, de cette honte qui avait entraîné la mort de maman. Il ne pouvait pas savoir, il ne devait pas savoir.
Me redressant comme pour chercher de nouveau l’air, tentant d’écouter les mots de mon frère, de me persuader que tout allait bien alors que mon cerveau semblait encore noyé dans cette eau qui m’avait parue noire, je serrai la main qui se glissa dans la mienne. Je voulais lui expliquer, je voulais lui dire ce qu’il se passait, pourquoi je paniquais, s’il fallait pas que je panique, s’il fallait que je me calme, je tentai de parler, de dire les choses. En vain. Je ne réussis qu’à sangloter davantage, serrant sa main dans la mienne pour attirer mes genoux à moi, dans une position réconfortante, rassurante.

- J’y… arrive pas… Balbutiai-je en tentant de reprendre ma respiration.

Je n’arrivais pas à me calmer, je n’arrivais pas à ne pas paniquer à retrouver toute ma conscience. Je savais pourtant que j’étais hors de l’eau, que Miles était là, que je n’étais plus en danger, plus vraiment mais c’était plus fort que moi, et ma respiration s’accélérait de nouveau sans que je ne puisse la contrôler.

Les pleurs mirent un temps certain à se tarir alors que je n’avais pas lâché la main de Miles, m’excusant plus d’une dizaine de fois pour ce qu’il venait de se passer, entre deux inspirations chaotiques. Que je sois coupable ou non à ses yeux ne changeaient rien. C’était la seule chose que j’avais réussi à réellement dire jusque-là, jusqu’à ce que mon esprit semble se réveiller, à défaut de s’apaiser.

Là, les genoux sous le menton, la nausée moins présente, les sanglots calmés par les minutes qui s’étaient écoulées lentement, je pus enfin parler intelligiblement.

- Je veux rentrer…

Ce n’était pas un caprice, pas un coup de tête mais juste un besoin. Je voulais rentrer, je voulais être loin de ce lac, loin de cette herbe, loin de cet événement qui se rejouait dans ma tête au risque qu’une crise de panique refasse surface. Levant la tête vers l’étudiant, le visage plus rouge qu’il ne l’avait jamais été autant par les larmes que par l’oxygène que mes crises successives m’empêchaient de prendre convenablement, je l’observai alors.

- Dis rien à Jay et Papa… Repris-je de nouveau, comme pour insister. Je veux pas aller à l’infirmerie… Je… Je veux pas qu’ils s’inquiètent… Qu’ils sachent que j’ai peur… Que je maîtrise rien…

Intelligiblement, certes, mais hachuré, sans aucune fluidité alors que la seule pensée d’être « découverte » et de devenir un poids que je n’avais été m’inquiétait.

- Je veux rentrer… Terminai-je par répéter, les yeux suppliants alors qu’il me semblait pourtant trop difficile de me lever seule pour le faire de moi-même tant je tremblais autant de froid que de peur.

Tout ce qu’il voulait, j’aurais fait tout ce qu’il voulait tant que rien ne sortait de ce moment, que mon père et mon frère n’étaient pas au courant. J’hochai ainsi la tête. D’accord. Très bien. Je promettais. Je ne savais pas si ça irait, si même je me sentais bien à cet instant… Non. Je ne me sentais pas bien. Mais peu importait. Tout sauf leur dire. Restée bercée contre Miles, les minutes s’étaient écoulées jusqu’à ce que je me sente mieux… Dans une relativité certaine tout du moins. Je voulais rentrer. Quoiqu’il puisse en être. Je ne voulais pas rester là, dans l’herbe, trempée et encore moins près du lac, de cette eau sombre qui me semblait vouloir m’engloutir de nouveau.

Prenant sa main, la mienne tremblant dans la sienne, je vins à me remettre debout. Difficilement, je devais l’admettre. La nausée reprenait de plus belle à chaque mouvement mais il nous fallait partir d’ici. Définitivement. Trébuchant au premier pas, je repris une respiration longue et profonde pour contenir cette nausée et ces vertiges qui venaient embrouiller mon corps.

- Ca va…

Quand bien même ça n’allait pas, ça irait. Je lui avais promis. Je ne devais pas mentir. Et je ne mentirais pas, je ne mentirais jamais à Miles. Mais ça irait. Il me fallut quelques nouveaux instants pour qu’appuyée sur celui que je considérais comme mon frère, je puisse marcher, doucement, très doucement, trop pour ce dont j’avais l’habitude.

Sa question me fit baisser la tête. M’arrêtant sur place, comme pour reprendre mon souffle, je me remis à trembler, serrée contre lui. Nous nous étions éloignés du lac. Je n’étais toujours pas entre quatre murs mais… ça irait. Je n’arriverais pas à parler et à marcher en même temps, pas dans cet état de peur qui me prenait encore la gorge.
M’asseyant sur un muret, la mine basse, je me mis à réfléchir, rapidement, autant que je le pouvais tout du moins.

- Si je te le dis… Avais-je finalement articulé. Je veux pas que ça se sache. Papa a déjà trop à gérer…

Au moins arrivais-je désormais à faire des phrases. Courtes, certes, mais des phrases malgré tout et censées. Du moins… Pour ce qu’elles pouvaient l’être. Ravalant ma salive, je levai la tête vers Miles. Je ne l’avais jamais dit à personne mais dans cette situation… J’admettais ne plus avoir réellement le choix quant à ce que je pouvais et ne devais pas dire… Je ne comprenais toujours pas ce qu’il s’était passé, ce qui avait pu mal tourner mais tout ce que je savais c’est que l’eau avait été mon ennemie à cet instant alors même qu’elle était une alliée pour ma famille. Un paradoxe que j’avais toujours tenté d’écarter de ma vie pour que personne ne pose de question, ne s’intéresse à moi. Ils savaient que je n’aimais pas l’eau, cela me suffisait. Que j’en aie peur au point de refuser toute idée de don ? C’était autre chose.

- J’ai peur de l’eau…

C’était une évidence, et cela ne répondait pas à la question, bien sûr, mais c’était malgré tout la base. La vraie base.

- Si Papa sait ce qu’il s’est passé… Il va s’inquiéter, je vais… Je vais être un poids pour lui et il a autre chose à faire… A s’inquiéter… Et… Si Jay l’apprend… Il va vouloir m’aider et je veux pas qu’on m’aide… Je veux pas avoir à gérer leur don s’ils apprennent… Murmurai-je finalement.

"Leur" don. Douce façon de refuser que je leur ressemble sur ce fait. J’avais laissé ma mère mourir dans les flammes à cause de ce don alors… Je ne voulais même pas en entendre parler. De toutes les manières, cela signifierait devoir faire face à l’eau et ça… Miles n’avait pas besoin de l’entendre dire, je n’étais visiblement pas prête à mettre le moindre doigt dans ce lac.

Ils l’apprendraient un jour… C’était évident pour lui mais pour moi… Je me refusais d’admettre cette possibilité. Il était bien plus simple de le cacher, de me cacher que d’affronter le regard de mon père et de mes frères.

- S’ils le savent un jour. Repris-je alors, la tête basse, ils sauront que j’ai pas pu sauver maman.

Là était l’un des fond du problème. Cette culpabilité que je trainais. Une culpabilité pourtant déraisonnée alors que je connaissais tant l’âge que j’avais que la réalité des choses. Mais une culpabilité qui ne cessait de me tourmenter malgré tout sans que je ne puisse lutter contre, ne faisant que me faire haïr davantage encore ce don qui n’en était pas un.

- Qui pourrait leur dire ? Lui répondis-je alors.

Il n’y avait que lui au courant, désormais. Lui, et moi. S’ils l’apprenaient… Miles serait le coupable. Quand bien même je me refusais à le menacer, à imaginer qu’il puisse me trahir alors même que ma confiance en lui était infinie, c’était désormais une chose possible et réelle. Si Papa ou Jay apprenait ce qu’il en était… Il n’y aurait pas mille personne pour le leur avoir dit.

- Je vois pas comment…

Comment pouvais-je voir l’eau comme autre chose qu’une ennemie ? Elle ne m’avait jamais aidé. Elle m’avait pris ce qui comptait le plus pour moi. Elle avait privé mon père, mes frère de bonheur. Par son absence, elle tuait, par sa présence, elle tuait… Comment faire d’elle une alliée ? Ça me paraissait tout bonnement impossible.

- Je ne suis pas un poids parce que j’ai toujours essayé de faire en sorte de pas en être un. Soufflai-je à mi-voix. J’ai toujours voulu aider papa, j’ai tenté de simplifier la vie de tout le monde, de… D’être parfaite pour tout le monde, pour que personne puisse rien me reprocher.

J’étais donc un poids, en un sens. Ou du moins je le serais si je ne faisais rien, si je disais ce qui me faisait peur, si j’obligeais les autres à m’aider. J’étais forte, pour les autres autant que pour moi. C’était ça qui faisait tout tenir. Quand bien même ce n’était là qu’une chimère, c’était ma chimère et j’y croyais dur comme fer.

Mais Miles n’avait pas tort malgré tout… Je devais pouvoir me débrouiller seule même dans ces situations car c’était bien ces situations qui me faisaient devenir un poids, celle que je ne pouvais pas maîtriser, que je ne pouvais pas gérer seule… A cause de ma peur, donc.
Mauvais point de vue pour une bonne décision ? Peut-être, mais Miles n’avait fondamentalement pas tort. Et un instant, ne pensant qu’à mon père, mes frères et même à lui, à ce frère de cœur que j’aimais plus que tout, j’eus une idée. Terrible idée. Mon regard se porta un peu plus loin sur le lac. Vaincre la peur par la peur… Non ?
Me remettant sur mes jambes, tenue par une adrénaline sortie de nulle part, j’avançai droit vers l’eau avant de me figer net quelques pas seulement après mon lever rapide. Trop de fatigue, trop de peur, trop de tout ce qui pouvait me fragiliser… Là, debout, je fus incapable du moindre geste avant que mes jambes ne cèdent sous mon poids, trop molles pour me faire avancer ou me garder debout.

- Aide moi… Appelai-je Miles alors que l’idée de rejoindre l’eau ne m’avait pas quitté.

La culpabilité que je ressentais était indéniable. Sans l’avoir un jour dit, sans l’avoir confié à qui que ce soit depuis onze ans maintenant, je gardais ce sentiment en moi, celui d’avoir fauté, de ne pas avoir été à la hauteur, d’avoir entraîné la mort de ma mère et donc la tristesse de ma famille. C’était idiot, bien sûr, de penser ça. Mon esprit rationnel ne cessait de combattre mon cœur, même, déraisonnable et irréaliste.
Laissant Miles me guider au sol et glisser ses mains dans les miennes, le regard troublé de larmes qui menaçaient de s’échapper à la moindre occasion, je ne pus que l’écouter, sans réagir, ou presque, à son discours. J’entendais ce qu’il me disait et je le comprenais autant que je le repoussais. Incapable de choisir un camps ou l’autre, mon esprit se retrouvait en proie à un combat interne que je n’arrivais que trop peu à remporter à chaque bataille.

Un instant, d’ailleurs, je pensai à une réponse, horrible, irrationnelle, que Miles n’accepterait certainement jamais. « Papa aurait peut-être préféré que je sauve maman ». Ce n’était pas le cas. Il aurait préféré que rien ne se passe, que je meure en sauvant ma mère n’aurait rien changé, pas grand-chose en tout cas. Refusant cette pensée heureusement fugace, je fronçai les sourcils, baissant la tête, presqu’honteuse alors que l’esprit rationnel de Miles forçait le mien.

- C’est pas un incapable. Affirmai-je à propos de mon père. Mais… Il a trop souffert…

J’aimais mon père, c’était un fait que personne ne pouvait réfuter. Autant, d’ailleurs, que j’aimais mes frères. J’aurais tout donné pour eux, sans compter et sans m’arrêter. Alors le simple fait de savoir que les uns ou les autres souffraient ne pouvaient que me pousser à être meilleure, à être un soutien indéfectible et inébranlable. Papa avait souffert et souffrait de la mort de ma mère, autant que Jay d’ailleurs, Amond étant trop jeune pour s’en souvenir. Moi… Je n’avais plus vraiment de souvenirs d’elle. Accentuant, d’ailleurs, ma culpabilité, cela avait le mérite de me donner davantage de raison de tenter de la « remplacer », de soutenir ma famille.

Il voulait néanmoins m’aider pour l’eau, savoir nager était-il suffisant ?... Baissant les yeux à l’idée que papa et Jayden ne se remettraient pas si je venais à me noyer, étais-je réellement prête à vaincre ça ? Oui. Non. J’en avais pourtant eu l’idée il y avait à peine cinq minutes. Pour de mauvaises raison, certes, mais l’idée était pourtant là, alors pourquoi cela me semblait-il inenvisageable maintenant que j’y pensais réellement ?

- Tu n’es pas obligé… Avais-je répondu en grimaçant, physiquement peu confiante quant à ce sujet.

Ce n’est pas que je n’avais pas confiance en lui, évidemment. Miles avait toute ma confiance et même plus, preuve en était ce que je venais de lui dire, quoique cela aurait fini par sortir malgré tout, comme un geyser que je n’avais pas réussi à contenir. Mais… De là à vouloir m’apprendre à ne plus avoir peur… Je n’en étais pas réellement convaincue.

- Je savais nager… Expliquai-je finalement.

Avant. Quand j’aimais encore l’eau, tout du moins. Aujourd’hui… La question pouvait se poser. Je tentais toujours de me rassurer – autant que je le pouvais – en me disant que c’était le cas, que nager était comme voler : on ne l’oubliait jamais réellement. Dans les faits… Je n’en étais plus réellement convaincu. Mon plongeon d’aujourd’hui nous le prouvait. Dans la panique, je n’étais pas capable de rien. Même pas de réfléchir là où mon cerveau avait toujours été ma principale force (l’une de mes principales forces si l’on comptait ma batte au Quidditch).

- Et… Si je me noie pendant que tu m’aides ?

Question importante. Je n’étais pas convaincue de ne pas me noyer, de ne pas paniquer, de ne pas devenir irrationnelle alors qu’en un sens, je l’étais déjà. Alors qu’en serait-il ? Si je portais la responsabilité d’une mort, quoiqu’il puisse en dire, il ne pouvait pas porter la mienne.

- Pardon. Finis-je par souffler profondément. Je sais que je suis idiote.

Je ne l’étais, paradoxalement, pas. Tout en sachant que j’étais irrationnelle, je continuais de l’être, de me convaincre de choses qu’il ne comprenait et n’acceptait certainement pas.

- Je ne veux pas être un poids. Réaffirmai-je finalement.

C’était mon seul désir, mon seul but depuis mon enfance : je ne voulais être un poids pour personne, lui compris, et aider autant que je le pouvais. C’était définitif.

Ne pas penser qu’une réponse serait moins douloureuse qu’une autre… Je n’étais pas convaincue de cela. Je le comprenais, oui, mais je n’arrivais pas à me convaincre du bien fondé de ses paroles. J’acquiesçai malgré tout, peu désireuse de tenir se débat maintenant, sachant que je le perdrais irrémédiablement. J’avais déjà beaucoup perdu. Ma fierté, ma carapace. Ça suffisait pour aujourd’hui. D’autant que cela l’obligeait à vouloir m’aider, à être là alors qu’il aurait certainement préféré être ailleurs. Il n’était pas obligé de m’aider, de me soutenir et… Il le savait. Evidemment. J’allais être ce que je détestais par-dessus tout : un poids.
Pour autant, je ne demandai pas pourquoi il le faisait. Je connaissais déjà la réponse car dans le sens inverse, la mienne aurait été identique. Sans avoir de lien du sang, la relation qui m’unissait à Miles était forte, puissante et fraternelle. Comme celle que je pouvais avoir avec Jay ou Amond. Vouloir nous aider mutuellement était ainsi presque naturel, quand bien même je me sentais honteuse de lui infliger cela.

Je ne partais néanmoins pas de rien. Avant l’accident, avant que je ne renie tout lien avec l’eau, je savais nager. J’aimais même ça, à vrai dire. Alors comment en étais-je arrivé au point de paniquer au moindre contact avec l’eau d’un lac ? Un simple contact qui aurait pu très bien se passer, d’ailleurs, si je n’avais pas eu peur, si mon don ne s’était pas retourné contre moi sans que je puisse le maîtriser. La réponse était simple, pour moi. J’étais idiote. Définitivement idiote comme je l’indiquai à Miles. Et bien sûr, évidemment, il refusa ces termes.

- Je ne suis pas la plus à plaindre. Articulai-je malgré tout.

Il y avait pire que moi. C’était d’ailleurs souvent grâce à cette pensée que j’évitais de me plaindre. Il y avait toujours pire que moi, alors je n’avais aucun droit de me lamenter sur mon sort. Je devais au contraire garder le dos droit et me battre pour rester là, presqu’orgueilleuse, à vrai dire, pour ne pas sombrer comme j’étais en train de le faire.

Baissant davantage la tête à ses mots, je ne savais pas réellement quoi répondre. Je devais accepter l’aide, son aide ? Divisé en deux, mon esprit se battait contre lui-même. Il était évident, l’expérience venait de nous le prouver, que j’avais besoin d’aide, qu’un accident était vite arrivé, que je ne pourrais pas m’en sortir pour toujours. Mais… D’un autre côté… Si j’avais été moins faible, si j’avais contrôlé mon balai, rien ne serait arrivé alors… N’était-ce pas plutôt un manque de compétence en vol qui avait entraîné cette situation ?
Drôle de façon de me rassurer, je l’admettais. Transférant le problème sur une chose que je maîtrisais bien mieux, je soufflai alors.

- Est-ce que c’est utile ? Je prendrais d’autres cours de vol. Ca n’arrivera plus…

Une façon de me protéger, à nouveau, alors que Miles revenait sur mon idée de me noyer en sa présence. Il serait là. Il avait toujours été là. Mais était-ce suffisant ? Je ne doutais pas de ses capacités, bien sûr. Il était en médicomagie, il avait les bases de tout et même sans ça, Miles avait toute ma confiance. Mais… A vrai dire il n’y avait pas réellement de mais. Toutes les pensées qui me venaient étaient irrationnelles, imaginées par un esprit paniqué à l’idée de se confronter à sa plus grande peur. Au moins mon frère de cœur eut-il le mérite de m’arracher un léger rire à sa remarque, me faisant secouer la tête de gauche à droite, les yeux rivés sur le sol.

- Dis pas de bêtises… Lui soufflai-je. Je pourrais sauter d’une falaise que j’aurais confiance dans le fait que tu me rattraperais.

Le pire était que cela m’effraierait beaucoup moins que de mettre un pieds dans de l’eau avec lui. Alors, non. Je ne doutais pas de ses capacités de maître-nageur. Je doutais des miennes à parvenir à me contrôler. Et… Et si j’en venais à le blesser avec mon don ? Qu’est-ce qu’il se passerait ? Est-ce que je supporterais d’être responsable d’une seconde mort, quand bien même la première paraissait – était – irrationnelle ?

- Je ne veux pas te décevoir ou te faire du mal… Finis-je par admettre. Si je n’y arrive pas, ou si je ne contrôle pas ça…

J’avais peur pour moi, oui. Mais j’avais aussi peur pour les autres. Pour mes proches. Pour lui.

Il avait raison. Il avait complètement raison. Mais je n’arrivais pas à faire ce qu’il attendait de moi, à relativiser, à me sentir mieux pour autant. A vrai dire, si je rationnalisais notre conversation, j’avais cette désagréable impression que nos rôles respectifs s’étaient inversés par rapport à la fois où il n’allait pas bien, lui. Je commencerais presque à comprendre pourquoi je n’arrivais pas à lui faire entendre raison. Presque…
Quoiqu’il puisse en être, Miles était rationnel, trop pour mes pensées actuelles. Le balai n’était pas en cause, pas vraiment. Je n’avais pas perdu le contrôle par une mauvaise gestion de vol. J’avais perdu le contrôle pour une raison qui m’échappait mais dont je n’étais pas la cause. Et je le savais. Je ne le savais que trop tant je m’étais déjà entraîné au vol, tant ma précision était presque millimétrée dès lors que je m’élevais au-dessus de la terre ferme. Mais penser que je n’étais pas en cause avait un quelque chose d’effrayant car hors de mon contrôle… Pire. Apprendre à me gérer devenait alors la seule et unique solution. En étais-je au moins capable ?

Il semblait penser que oui, j’en doutais. Bien sûr, je lui faisais confiance, plus qu’à n’importe qui. J’aurais fait n’importe quoi par simple confiance en lui. N’importe quoi. Sauf ça. Fronçant les sourcils, je tentais pourtant de me rassurer, de rationnaliser toutes les pensées qui s’imposaient à moi. S’il le disait, c’est qu’il savait ce qu’il faisait. Il ne me mettrait pas en danger, pas plus qu’il ne se mettrait gratuitement en danger. Alors pourquoi avais-je si peur malgré mon esprit rationnel, pourquoi craignais-je encore le pire ?

- Tu me le promets ? Demandai-je dans un espoir presque vain de m’en convaincre.

Et si j’en venais à le décevoir, à ne pas être à la hauteur de ce qu’il pouvait attendre de moi ? Ou pire, à lui faire du mal en ne me contrôlant pas ?

- Sauf que…

Il n’y avait pas vraiment de « sauf que ». J’avais attendu de lui la même chose qu’il attendait de moi aujourd’hui, qu’il change de penser, d’état d’esprit. Alors aurais-je été déçu s’il avait perduré dans cette idée ? Le serais-je si c’était encore le cas ? Bien évidemment que non. J’aurais simplement une hargne supplémentaire pour lui prouver le contraire. Rien d’autre.

- Si je n’y arrive pas… C’est… Différent. Tentai-je malgré tout d’expliquer, comme pour me justifier faussement d’une peur qui ne devait pas en être. Toi, ce n'est pas tangible.

Difficile, donc, d’expliquer à quelqu’un une réalité différente selon les gens. Mais l’eau, l’eau était tangible, réelle, physique. Il était bien plus facile de prouver qu’il n’y avait pas de danger du moins… Pour les gens « normaux », je supposai.
Evidemment, Miles trouva un moyen de chercher à me rassurer même concernant ses potentielles blessures. Était-ce suffisant ? Mmh… Il était capable de se soigner, de me soigner, je ne m’en faisais pas vraiment mais… Était-ce une raison pour risquer de le blesser malgré tout ? Absolument pas.

- Je m’en voudrais quand même si je te blessais. Soufflai-je ainsi. Je te rappelle que j’ai même des remords au Quidditch…

Une plaisanterie, quoique teintée de vérité. C’était déjà beaucoup au vu de l’angoisse qui tiraillait encore mon estomac. Mais au moins avait-elle le mérite d’exister.
Mais nous n’allions pas contrôler mon don. Seulement empêcher que son origine me consume. Je comprenais la différence, d’ailleurs hochai-je la tête. Mais serait-ce néanmoins suffisant pour me protéger de tout accident de ce genre ?

- Tu crois que si je n’ai plus peur… Je ne risquerais plus rien ? Demandai-je alors.

Si ma peur, un jour, s’envolait. Mon don lui aussi s’envolerait-il ? Mmh. Inutile de rêver, soit. Mais au moins pouvais-je imaginer l’empêcher de prendre le dessus sur le reste, peut-être ? Ce serait déjà un grand pas, il fallait l’admettre… Mais pouvais-je y arriver ? Toujours cette éternelle question alors que j’observai le sourire de Miles avant de soupirer, profondément.

- On a de la chance de t’avoir… Murmurai-je plus à moi-même qu’autre chose.

Habituellement peu friande de réel compliments, c’était une chose que je ne pouvais réellement enlever à Miles… J’avais de la chance de le compter parmi mes proches. C’était indéniable.

- Mais on peut rentrer ? M’enquis-je néanmoins. J’ai froid…

Et je n’étais pas prête à retourner vers l’eau. Pas aujourd’hui… Nous choisirions un autre jour. Parce qu’il n’allait pas me lâcher et qu’il ne fallait pas qu’il le fasse, à vrai dire. Il était ma seule porte de sortie pour le moment, il fallait l’avouer.

Il ne serait pas déçu. Il me le promettait. Devais-je lui faire confiance ? Quelle question. Mon irrationalité du moment me poussait à penser que Miles pourrait ne pas être digne de confiance. C’était faux, complètement faux. Je le lui avais dit. Je sauterais d’une falaise s’il me disait me rattraper. Alors … Il était évident que ma peur prenait le dessus. Bien sûr. Mais malgré tout, c’était différent. Ce que Miles avait vécu, vivait encore, était différent. Plus compliqué que moi qui me sentais bien faible à cet instant. Lui, rien n’était tangible, tout était psychologique et la psychologie était bien plus difficile à toucher que cette peur irrationnelle et clairement définie… Chose qu’il vint à contredire. Je n’étais pas d’accord. Cela se voyait. Mon visage se baissant, j’hochai malgré tout doucement la tête.

Je n’avais pas réellement envie de me battre. Pas sur ça. Déjà que l’idée même de me battre contre ma peur me semblait si énorme qu’elle en devenait impossible… Il y avait tant d’inconnues, tant de risques, dont celui de le blesser, lui, mon ami, mon frère. Le supporterais-je évidemment que non.

- Je sais… Soufflai-je malgré tout. Mais si elles arrivaient et que je n’étais pas préparée…

Ca serait pire. Définitivement pire. Et c’était pour cela que mon esprit, toujours, se préparait à toutes les éventualités, quitte à, comme il le disait, m’empêcher de vivre réellement. Pour autant, là encore, Miles avait raison… La peur n’évitait pas le danger. C’était terriblement logique, trop pour que je ne l’accepte pas et une grimace, ainsi, vint déformer mes lèvres, presque mécontente de ce constat. Le risque existerait toujours. Quoique je puisse faire. Je devais l’admettre, accepter que rien ne pourrait me mettre entièrement à l’abri du danger mis à part la réflexion, peut être. Ou au moins me permettrait-elle, comme le soulignait le sorcier, d’analyser les choses… de reprendre le contrôle.

Soufflant, je finis par admettre une chose. Nous avions de la chance d’avoir Miles dans nos vies. Il était plus qu’un ami. Pour toutes les personnes de ma famille. Et s’il pensait que c’était normal du fait de nos liens “familiaux”... Je continuai à le dire.

- Ca n’empêche rien… On a de la chance de t’avoir dans notre famille.

Mais je voulais rentrer. J’avais froid. Et si le sort autant que son corps vinrent à ralentir les tremblements qui me prenaient. Posant ma tête sur son épaule, j’hochai la tête, simplement.

- Promis… Lui assurai-je.

Il savait que je tenais mes promesses, quand bien même mon envie de me rendre à l’infirmerie était absolument nulle. Mais je le ferais. S’il me le demandait, je le ferais. Sans me poser (trop) de question.

- Merci Miles… Finis-je par murmurer près de son oreille.