Because it will be less painful than to blame you

Ce soir encore je dors mal, impossible de réellement trouver le sommeil, impossible de trouver mon calme. Nous sommes le 6 janvier, tard dans la nuit, à l’aube de d’un nouveau jour. La lune est pleine ce soir et avec elle, les images reviennent, inlassablement, sans me laisser la moindre chance de m’en sortir. J’entends sur hurlement, ceux des autres dans la bâtisse et puis je le vois rentrer, babines retroussées, les crocs déjà couverts de sang alors qu’il s’approche de moi. La douleur que je ressens n’est pas une morsure, mais bien mon coeur, incapable de faire son deuil, d’oublier ce que j’allais découvrir quelques heures plus tard avec mon frère.

Ce soir encore, Hyun-Su n’est plus dans son lit quand je me redresse. Ce soir encore, cette odeur imprègne ses draps lorsque j’y trouve refuge sous une forme plus discrète. Attendant un temps qu’il revienne, je finis par abandonner, par me décider à quitter les dortoirs, la maison pour essayer de me vider l’esprit. Pour marcher dans les couloirs et peut-être, trouver mon frère à l’infirmerie. C’était là-bas qu’on me donnait parfois des potions de sommeils, du moins quand je ne les préparais pas moi-même. Comme à chaque pleine lune, je le devinais aisément là-bas, refusant personnellement d’y aller pour ne pas entacher l’image de la famille. Je n’étais que le deuxième, celui qui ne comptait pas. Lui, sa valeur était trop grande pour qu’on ne respecte pas son deuil… Sauf que ce soir, j’avais vraiment besoin de lui, besoin de le retrouver, de parler sans doute, juste quelques mots, juste ce soir…

Mais en passant la tête dans l’infirmerie, je ne l’y vois pas. Absent, introuvable, une fois encore…

Errant dans les couloirs sans but, je finis toutefois par la sentir à nouveau cette odeur. Celle qui l’imprègne aussi souvent, à chaque pleine lune, comme une réaction inconsciente de son corps, ou les effluves d’un baume inconnu. Un temps, j’avais même pensé que c’était l’odeur d’une autre personne, mais au fond de moi, quelque chose savait déjà, quelque chose avait déjà trouvé la réponse.

Remontant la piste, je m’enfonçais un peu plus profondément dans les entrailles du château, découvrant des endroits jusque-là encore inconnus jusqu’à finir ici, dans ce long couloir où se succédaient des cachots. L’odeur y était plus forte, plus douloureuse, plus j’avançais, plus je l’associais à un sombre souvenir. M’arrêtant alors devant une prison face à laquelle se trouvaient des vêtements soigneusement pliés et une clé, je me penchai un instant pour sentir, pour savoir si l’odeur venait de là… Si le tissu en était en effet imprégné, ce fut une autre odeur qui me glaça le sang. Son odeur à lui… Mon esprit refusait de faire le moindre lien, il refusait de comprendre et le bruit qui remua l’acier dans mon dos me priva de toutes pensées cohérentes.

Quelque chose était là, tapi dans la pénombre, quelque chose de douloureusement familier… M’avançant, proche du sol, je passais sans difficulté les barreaux de la cage, y entrant pour le voir se détacher des ténèbres. Ce loup. Énorme. Son regard… Ses crocs apparents… Mon sang se glaça presque aussitôt, les souvenirs venant se fracasser en masse dans mon esprit, de cette mâchoire qui aurait dû se refermer sur ma gorge à ma fuite, jusqu’au cadavre d’Ho-Seok. Sa gorge arrachée, le sang qui avait depuis longtemps cessé de couler, ses draps, son pyjama, et le sol couvert de ce fluide à présent mortel. Rabattant mes oreilles, je me fis plus agressif, quoi que c’était plus une position de défense face à la douleur des souvenirs qui me revenaient à l’esprit… Comment un loup pouvait être ici ? Comment on pouvait laisser un tel monstre se trouver au même endroit que des innocents ?!

Je n’avais aucun doute sur ce qu’il était, une pleine lune, une cage… Ce n’était pas un Animagus… C’était bien ça, un mon… Un monstre avec l’odeur de… Reculant pour sortir de cette prison d’acier, je posais mes pattes sur les vêtements, les dépliants, les reniflants entièrement, à la recherche d’une réponse qui ne serait pas celle-là et… Et pourtant il n’y en avait qu’une… Une seule raison pouvait le pousser à être absent à chaque pleine lune, à dépérir à son approche, à rester briser, lui qui avait pourtant été si populaire… Cette raison je la connaissais depuis combien de temps ? Depuis quand j’avais compris sans l’accepter à moi-même…

Je n’avais pas que tué mon frère… J’avais maudit le seul qui me restait…

Me tournant vers lui, je l’observais un moment, cherchant l’humanité, l’étincelle d’intelligence dans son regard, lui qui était prostré… Il était bien loin du monstre qui nous avait attaqués, bien loin de cet ersatz macabre qui nous avait pris notre vie. Le déni, ou une réalité, je n’en savais rien, j’étais… Brisé ? Choqué ? Je n’en savais rien, je sentais simplement une boule, une masse étouffer ma gorge, me noyer dans mon propre coeur.

Reprenant forme humaine, je m’étais dirigé vers ce mur en face de lui, de cette cage, avant de m’asseoir contre sa paroi. Repliant les jambes pour cercler mes genoux de mes bras, j’y posais mon front, refusant de le voir pour le moment. Je me devais d’être là, car je ne l’avais pas été depuis septembre, car je l’avais laissé seul, car j’étais responsable. Mais je ne pouvais pas le regarder, pas encore, pas quand d’autres images s’imposaient avec violence dans mon esprit. Il était devenu mon pire cauchemar, maudi sans l’avoir demandé… L’accepter reviendrait à excuser l’assassin d’Ho-Seok, l’accepter reviendrait à effacer la haine que j’avais pu voir naitre dans mon coeur. C’était trop, beaucoup trop et j’étais juste incapable de le regarder, d’accepter réellement. J’avais besoin de temps, d’entendre sa voix sans doute, ou… Quelque part il restait un espoir, celui que ce soit une erreur, un mensonge de mon esprit pour me tourmenter, pour faire de mes songes un véritable cauchemar. Perdre un frère et gagner un loup-garou serait la plus cruelle des ironies, la plus violente et douloureuse aussi.

Je devais me réveiller, je devais vraiment me réveiller, c’était impossible, je ne pourrais jamais accepter ça, jamais me pardonner de l’avoir aussi condamné… Alors lentement, mes doigts commencèrent à pincer la peau sous mon pull, comme pour invoquer une douleur qui ne saurait me réveiller. Je le savais, je le connaissais trop pour l’avoir complètement ignoré.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

Et voilà… Nous y sommes… J’ai été mal toute la journée, particulièrement distrait lors des cours et de plus en plus agité au fil des heures qui me rapprochaient du crépuscule. Par précaution, je suis allé trouver le professeur Mancini dés la fin des cours et avant que la lune ne se lève. J’ai soigneusement mémorisé toutes les heures pour l’année, afin d’être certain de ne pas me retrouver ailleurs que dans une cellule quand la lune serait pleine. J’ai bu la précieuse potion Tue-loup. Il faut que j’apprenne à la faire. Je ne pourrais pas dépendre éternellement des professeurs et je pense être capable de la rigueur pour la fabriquer. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour…

Silencieusement, je suis le professeur. Ce chemin je le connais par cœur maintenant et je m’y rends toujours avec des semelles de plomb. C’est ma prison… Le lieu qui me rappelle que je ne suis plus normal… Que je ne le serais jamais. Il n’y a rien qui puisse guérir cette malédiction, hormis la mort. Mais ça… C’est hors de question. Je rentre dans la cellule et entends le verrou alors que le professeur Mancini la referme derrière moi. Je n’ose pas le regarder. Et il ne prononce pas un mot non plus. Qu’est-ce qu’il y a à dire de toute façon ? Ah si… Je l’entends murmurer un « A demain » et puis il s’en va. Lentement, je retire mes vêtements. Je ne suis pas comme Min-Oh. Ils ne disparaissent et ne réapparaissent pas par magie avec la transformation. J’ai assez de pudeur pour ne pas me déshabiller devant les professeurs, qui se relaient pour m’enfermer et me délivrer, chaque mois, depuis septembre.

Je me cale dans le fond de la cellule et me recroqueville. Je la sens qui arrive… C’est… viscéral. Plus encore qu’un 6e sens. Je le sens dans ma chair. Comme je sens l’animal qui se débat et sort les griffes, prêt à me faire disparaître. Il n’y a rien qui empêche la souffrance. Aucune façon de la diminuer. Aucune position, aucun état d’esprit. Chaque fibre de mon être se tend en prévision… Et cela me foudroie malgré tout. Je tombe à genoux et halète. Le sang qui circule dans les veines devient lave. Je vois les poils pousser sur mes mains, mains qui se déforment et se changent en pattes… Tout n’est que souffrance et je ferme les yeux, roulant sur le côté, en position fœtale, comme un animal blessé. Et c’est ce que je suis, quelques instants plus tard… La douleur a disparu. Je soupire de soulagement. Je m’ébroue et je renifle l’air. Je vois bien plus clairement dans la pénombre. Je longe les parois de la cellule, me frotte aux barreaux. Le temps va être long, une fois de plus… Une part de moi a envie de hurler d’être ainsi contraint par ces barreaux. Je veux sortir… Mais cela ne sert à rien.

Alors je me roule en boule dans un coin et… j’attends. Je pense. Beaucoup trop. Que diront mes parents quand ils sauront ? Je ne me leurre pas, ils le sauront tôt ou tard… Disparaître à chaque pleine lune… Cela va éveiller les soupçons. Quel sera mon avenir alors ? Je n’en ai plus aucun et je le sais. Je me leurre, chaque jour, chaque semaine. Chaque pleine lune passée et une course contre la fatalité. Mais ce combat est perdu d’avance. Je suis surpris que Min-Oh n’ai encore rien deviné. Mais mon frère s’est retranché dans sa propre douleur. Il passe beaucoup de temps sous sa forme animale. Beaucoup trop. Pelotonné contre moi quand ça e va pas. Je le rassure. Et il ignore combien il me rassure aussi. Au moins, je n’ai pas besoin de fuir une discussion quelconque. Et peut-être le sait-il…

Mais alors que je songe à mon frère, je… sens. Bien avant de comprendre. Le loup sait. Moi… Je ne veux pas réaliser. C’est impossible. Je gronde par réflexe et je m’interrompt aussitôt en voyant le fennec. Oh non… non, pas ça, pas maintenant, pas déjà… Je ne suis pas prêt… Horrifié, je le vois faire le lien entre les vêtements et le loup enfermé. L’odeur ne trompe pas… Quand bien même le cerveau essaie de se jouer de nous. Ou de nous préserver… Quand il reprend forme humaine et m’observe, je baisse les oreilles et gémit douloureusement. Alors ça y est ? C’est cette nuit que je le perds lui aussi ? Je voudrais détourner la tête, mais je n’y parviens pas. Je ne le lâche pas du regard, cherchant les émotions dans le sien. Mais il est piteusement assis en face, le visage caché… Abattu.

C’est fini.

Je l’ai perdu.

ft. Min-Oh

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Ça aurait été plus simple que ce jour n’arrive jamais, que cette certitude ne reste que dans mon esprit et que rien ne se concrétise. Sa présence derrière ces barreaux représentaient trop, m’opposait des réalités dont je ne voulais pas. Comment haïr celui qui m’avait prit Ho-Seok et ne pas lui en vouloir à lui ? Les deux étaient maudits, les deux n’avaient sans doute pas choisit et pourtant, si je ne pouvais pas pardonner le meurtre de mon cadet, je n’arrivais pas à haïr mon ainée. Pas quand je revoyais cette soirée, quand j’essayais de comprendre à quel moment c’était arrivé, quand j’essayais de chercher ce qui aurait pu me le faire comprendre. La seule réponse était encore que je n’avais rien fait pour le sauver. Ne sachant pas quand mon petit frère avait été tué, je n’avais pu que vivre avec ce poids, mais lui ? Est-ce que j’aurais pu faire quelque chose si j’avais su appliquer ce qu’on m’avait apprit au Japon ? Si j’avais réussi à prévenir tout le monde , si j’avais réussi à… Et quel avenir ? Comment faire à présent ? Sur qui me reposer ? Comment le protéger ? Quoi faire quand on avait déjà tout perdu, quand notre vie n’était plus qu’un champs de ruine ?

Continuant à me pincer, à prier pour qu’à un moment la douleur soit assez vive pour me sortir de cette torpeur, j’accusais le coup de ma propre peur. Je n’étais pas uniquement coupable, j’étais réellement effrayer à rester là, face à l’ombre de ce qui m’avait détruit. Effrayé à l’idée qu’il devienne brusquement violent, effrayé à l’idée qu’il puisse donner vie à une seconde nuit en enfer. Pourquoi il n’avait pas bougé, malgré les gémissements qui perçait parfois le silence, il ne fit rien… Mourir n’aurait pas été plus simple ? Ne pas avoir à porter ces choses, ne pas avoir à sombrer inlassablement. J’avais la conviction que si j’étais partie ce soir là, ça n’aurait fait que donner un sens à la douleur d’aujourd’hui. J’étais mort ce soir là, j’avais tout perdu et pourtant, la vie continuait à m’enfoncer… « Je suis désolé… » murmurais-je, la voix brisé, inconscient de ce qu’il pouvait saisir, où si il pouvait même y croire.

J’avais donné l’alerté… Si je l’avais fait avant ? Si… Je ne pouvais que finir par le pensée, par le croire. Que son éloignement ne soit pas uniquement dû à la douleur, mais qu’une part de lui avait aussi fini par m’en vouloir, par me porter responsable de tout ça. Que si nous n’en parlions pas, c’était simplement car il avait des responsabilités, une image à tenir pour ne pas ternir l’image familiale. Mais il y avait cette possibilité, cette réalité, celle qu’il ne puisse tout simplement jamais me pardonner comme je ne pourrais jamais le faire. Nous étions frère, des meilleurs amis… Si ça ne risquait pas autant d’assombrir notre famille, il m’en aurait bien parlé ? Si il avait confiance en moi, il me l’aurait dit, il aurait cherché mon soutien et je n’aurais pu que lui donner, quoi que je puisse ressentir. Mais son silence… Je l’avais perdu, je l’avais trahis, d’une façon ou d’une autre…

Finalement des craquement inhumains m’arrachèrent un sursaut avant que je ne plaque mes mains contre mes oreilles, essayant de m’isoler de ce qui se passait, de ce que je n’osais pas regarder, pas assumer. Il pouvait y avoir encore une micro chance que rien de tout ça soit réelle et je voulais la saisir. Je ne voulais pas l’entendre revenir, je ne voulais pas non plus ouvrir les yeux. Je ne pouvais pas, je ne pouvais simplement pas voir cette souffrance, la douleur qui ne pouvait qu’accompagner le bruissement des enfers qui me faisait face. Tremblant, bien malgré moi, je sentais aussi les larmes franchir les barrières acérés de mes paupières, poignardant mes joues, mon coeur, à mesure qu’elles glissaient sur ma peau.

Me refermant un peu plus sur moi-même, je finis par percevoir du mouvement et bien malgré moi, je me réfugiais derrière la seule forme qui m’avait protégé jusqu’à présent. Redevenant un Fennec, tremblant, affaissé sur le sol alors que lui avait reprit forme humain. Une réelle peur ou simplement la crainte de l’affronter ? La crainte de lui parler, d’avoir à le faire… Faisant ce que je savais faire de mieux, je finis par m’avancer avec précaution vers lui, poussant du bout du museau ses vêtements en sa direction sans pour autant rester à porté de main. J’avais peur de mes propres réaction, peur de ce que je pourrais faire de pire. J’en avais déjà assez fait, je…

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

Mon état est encore récent et je n’ai pas eu l’occasion de vraiment comprendre en quoi je suis différent quand je me change en loup… Mais au-delà de l’ouïe, de la vue, qui sont bien plus développés, il y a l’odorat également. Et pas simplement pour les odeurs mais aussi pour… Autre chose. Les émotions ? Oui, je sens des effluves… Différentes. Est-ce que je sais les interpréter ça… C’est autre chose. Mais mon frère est complètement effondré. Incrédule. Apeuré. Son murmure me parvient clairement malgré le murmure. Couché au fond, au plus loin de lui, je le regarde toujours, mes oreilles s‘agitant pour capter ses paroles et notifier que je comprends ce qu’il dit. Peut-il seulement en douter alors que je ne bouge pas d’un iota et que je le regarde seulement ? J’aurais voulu fuir. Mais je sais déjà que cela ne sert à rien. Rien du tout. Il n’y a aucun échappatoire et je ne peux que rester paralysé.

Je ne peux que fermer les yeux. Je n’ai pas besoin de le voir savoir qu’il est encore là. J’en ai une conscience aigüe et chacune de ces respirations me permet de savoir où il est. Et à quel point il vit mal cette situation. Il n’est pas le seul d’ailleurs. Avec lassitude, je lui tourne le dos, pour me soustraire à ce regard qui me hante. Mais je me redresse brutalement en sentant la fin de la nuit. Affolé, je regarde autour de loi… il est encore là. Je grogne en sa direction, ma seule façon de m’exprimer et de lui dire de partir de là. Je ne veux pas qu’il assiste à ça. Il n’a pas besoin d’être là. Cela m’est arrivé toujours seul et c’est bien ainsi, il n’est rien qu’il ne puisse faire de toute façon. J’aurais aimé qu’il soit là pour me soutenir, dans un monde idéal. Mais ce monde n’existe pas. Et c’est moi l’aîné, pas lui. Moi à prendre soin de lui et non le contraire, même si je l’ai complètement laissé de côté… J’ai manqué de prudence.

Mais il ne part pas. Et je subis de nouveau le changement de plein fouet. Je hurle. Le hurlement du loup m’échappe, avant de se muer en halètements humains. Tremblant après cette brutale décharge de douleur, écœuré par ces changement qui s’opèrent tous les mois et me dégoûtent au plus profond de mon être, je me demande ce que Min-Oh a pu penser de… cette monstruosité. J’ai la tête qui tourne et il me faut quelques minutes pour me redresser vraiment, nu, bien entendu, tremblant de par le choc ressenti par mon corps cette nuit à deux reprises. Mon visage est plus blême que d’habitude, mes cernes plus marquées. Je le sais, j’ai pu le voir la dernière fois. Mais ce n’est plus mon frère qui se tient là… Il s’est réfugié sous sa forme de fennec. L’amertume est terrible en cet instant… Il ne veut pas parler de ça. Il est en mode de protection… Et qu’il le fasse avec moi, en cet instant… J’aurais besoin de lui. Qu’il me rassure. Mais je lui en demande trop. Je ne dirais rien. Il n’a pas à payer de mes erreurs. Et ça… C’est trop gros pour lui. Pas alors que ce même monstre a tué notre cadet, de la plus horrible des façons.

Il m’indique mes vêtements pourtant. « Fais pas ton prude, Min-Oh. » Je réponds en essayant de faire comme si de rien n’était. Mais c’est un échec. Je sens une boule se former dans ma gorge alors que je m’habille lentement, libéré de ma cellule. La clé a toujours été à portée. Le loup ne sait pas s’en servir. Ne peut pas s’en servir. Je suis tenté d’approcher ma main du fennec pour le caresser, mais j’arrête mon geste à peine esquissé, la laissant retomber piteusement. Je m’assois pas terre, à bonne distance, épuisé. « Moi aussi, je suis désolé. » Si il a des doutes sur ce que j’ai pu entendre ou comprendre, je ne lui en laisse aucun. « Que tu l’ai découvert comme ça. Je… Je ne savais pas comment te le dire… » Ma voix se brise, alors que je remonte ma chemise sur mon flanc pour lui montrer la morsure qu’il n’a pas forcément vue plus tôt. Il était occupé à fuir ma personne alors… Je laisse tout retomber et me passe une main dans les cheveux. Il ne me répondra pas sous cette forme. Mais il est resté. Qu'attend-il de moi alors ?

ft. Min-Oh

Because it will be less painful than to blame you

Mes oreilles bascules en arrière lorsqu’il me demande ne de pas faire ma prude… Est-ce normal à ses yeux tout ça ? Est-ce qu’il pense vraiment que c’est ce que je souhaite ? Non ou du moins sa voix n’est qu’une façade qui se brise à l’instant où il s’assoit sur le sol. Il m’avait entendu, il était lui aussi désolé… Désolé que je l’ai découvert ainsi… Rien de ce qu’il peut dire ne m’aide réellement à savoir, à comprendre si il m’en veux, si son silence est dû à sa colère, au fait qu’il me reprochait ça. Il le pourrait, il en avait même le droit. J’étais responsable de cet état, de cette malédiction, quoi qu’il pourrait dire et le voir révéler cette morsure, son emplacement… Pourquoi je n’avais rien vu ? Pourquoi dans l’enchainement de la situation, rien ne m’avait semblé évident ?

Si j’avais été là dès la… Non, je n’aurais sans doute pas su y faire face dès la première nuit, je  n’aurais sans doute pas su affronter son reflet, même si il était plus calme, moins dangereux. J’étais lâche en plus d’être responsable… Je n’aurais jamais pu le soutenir, être là pour lui, aveuglé par ma propre douleur, à mille lieu de celui que j’aurais du être. Il était le plus précieux, il l’avait toujours été. Sa valeur n’ayant rien de semblable a ses frères, mais je n’avais pas réfléchit, pas pensé pour lui, pour sa réussite. Je l’avais ignoré pendant cinq mois…

M’approchant lentement, le corps toujours proche du sol, j’arrive à son niveau, prudemment, avant de glisser mon museau sur cette cicatrice, la sentant, voyant combien elle ne s’effaçait pas comme le signe d’une malédiction éternelle. Elle avait toujours été là et je n’avais rien vu… Couinant bien malgré moi, je reculais à nouveau dans une attitude bien plus abattu que craintive, incapable de savoir ce qu’il fallait faire, ce que j’avais le droit de ressentir ou non. Mes parents ne pourrait plus le soutenir, ne plus mettre en avant un sang corrompu, même si il n’était pas responsable, même si j’en était la cause. Ignorant jusqu’où ils pourraient aller, étais-je prêt à en faire de même ? À lui tourner le dos ? J’étais prêt à bien des sacrifices pour ma famille, prêt à ne jamais réellement exister pour eux, pour répondre à leurs attentes, mais on avait perdu Ho Seok, j’avais perdu mon soleil, ce concentré d’énergie, d’amour qu’était mon cadet, pourrais-je ne serait-ce qu’accepter de perdre Hyun Su ?

Pour le moment, c’était le fait de l’affronter qui me semblait bien difficile, impossible même, pourtant nécéssaire…

Me reculant à nouveau jusqu’à toucher le mur contre lequel je m’étais écroulé, je reprenais forme humaine, recroquevillé sur moi-même, les yeux encore bouffie par les larmes que je n’avais pas su contenir et qui menaçaient à nouveau de glisser. Je ne le regardais pas vraiment, je fixais l’endroit où se trouvait la morsure, sous sa chemise. Je n’avais pas envie de lui demander pourquoi il n’avait rien dit car j’avais peur de l’entendre de sa bouche. De savoir qu’il m’en voulait, que j’étais responsable de tout. J’avais peur qu’à présent qu’il n’avait plus à me le cacher, sa colère s’abatte d’une façon ou d’une autre sur moi. « J’ai pas réussi à lancer un sort sous ma forme d’Animagus… », murmurais-je, comme si ça pouvait changer quelque chose, « Je suis désolé… » ajoutais-je à nouveau avant de baisser les yeux pour cacher mon visage dans mes bras. Comment je pouvais ressentir quoique ce soit alors que je n’en payais même pas le prix ? J’étais épargné, je n’avais rien eu, qu’un deuil à accepter, comment je pouvais ainsi sombrer ? Où était l’honore des Jeon ? Où était mon éducation ?!

J’avais échoué, sur toute la ligne et je continuais. Sans le réaliser, ma main avait retrouvé mon bras, cet endroit que j’avais commencer à pincer, comme pour espérer que la douleur me tire de ce mauvais rêve, comme pour espérer que je me réveille enfin, que ce soit juste un cauchemar, juste le pire scénario. Nos parents avaient fini par penser que cette attaque n’était pas dû au hasard, qu’elle avait été orchestré. À un près, cette attaque avait fauché tout les enfants Jeon… C’était volontaire et j’aurais préféré que ce soit moi. Juste que je paie le prix pour lui. Ça aurait du être moi.

ft. Hyun-Su

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Je frissonne quand la truffe du fennec approche de mon flanc, pile là où se trouve la trace de ma malédiction. Je n’ose pas le regarder. On pourrait penser qu’il est plus difficile de comprendre un animal qu’un être humain mais… Non… Parce que je connais ce fennec par cœur, que je connais ses regards… Que toutes ses gestuelles sont des mots silencieux. Sa façon de ramper, de mettre sa queue entre ses pattes, d’orienter ou baisser ses oreilles… Depuis combien de temps ne l’ai-je pas vu simplement jouer ? Être… heureux ? J’ai l’impression que tout ce qui a pu exister avant est englué dans un brouillard et que les souvenirs s’en retrouvent altérés. Il ne reste que cette réalité dure et froide. Implacable. Il ne reste que ces regards douloureux, ces sourires sans joie, cette étincelle éteinte dans les yeux. La mort de Ho Seok a tout balayé. Il n’aurait pas du mourir. Il était trop jeune, trop précieux… C’était encore un enfant. Nous n’avons pas su le protéger. Min-Ho émet un petit couinement et recule… Je pousse un long soupir et baisse définitivement la tête après avoir parlé, remontant mes genoux contre ma poitrine et posant mon front pour me soustraire à son regard. Qu’il parte… Il n’y a rien à dire de toute façon. Je vais devoir me lever et aller en cours comme si de rien n’était. Je vais même possiblement être en retard. Mais je n’ai aucune énergie. Rien que me lever me semble un effort insurmontable. J’ai juste envie de fermer les yeux, sombrer dans l’inconscience, ne plus penser, m’échapper de cette horrible réalité.

Je sursaute presque à entendre sa voix. Je le pensais parti. Je.. Je ne pensais pas qu’il aurait le courage de m’affronter. Depuis août, dés que ça ne va pas, il se retranche derrière sa forme animale. Sa façon à lui de gérer le traumatisme… Je fronce les sourcils quand il avoue ne pas avoir réussi à lancer de sort sous sa forme d’Animagus. Ma tête s’est relevée pour l’épingler du regard, plus durement. « Qu’est-ce que tu racontes ? » J’ai peur de comprendre pourquoi il dit cela. Je serre les poings. L’abattement cède la place à une étincelle de colère. Mon expression vulnérable disparaît, alors que j’endosse le rôle de l’aîné, ce rôle qui m’a collé à la peau toute ma vie… « Min-Ho… T’es en train de me dire que c’est ta faute ? » Je le connais mon cadet. Et je ne vois pas comment expliquer autrement cet aveu, qui n’a pas grand-chose à faire là. « Arrête ça. » Ma voix se fait plus tranchante et autoritaire. Il suffit qu’il y ai quelqu’un avec moi, pour que je balaie mes propres problèmes.

Je finis par me lever pour m’approcher de lui et me pencher pour poser ma main sur son épaule : « Ce qui m’arrive est ma faute. J’ai cru que je pourrais l’arrêter. » J’arbore une expression douloureusement sarcastique. « Je me suis trompé. Il me tenait quand tu as sonné l’alerte, ça l’a fait lâcher. Est-ce que tu comprends ce que ça signifie ? » Qu’il m’a sauvé la vie, tout simplement. Je suis l’artisan de mon propre malheur, il n’y a rien à dire de plus.

ft. Min-Oh

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Sa voix avait changé, il était plus… Elle avait changé. Me demandant sans vraiment attendre de réponse ce que je racontais, je me referme un peu plus sur moi-même, craignant sa colère, qu’il m’en veuille et qu’il ait lui aussi compris ce que mon incompétence avait pu lui couter. Brisant à nouveau le silence, me demandant si j’étais bien en train de prétendre ça, le fait que je sois responsable, je relevais brutalement les yeux lorsqu’il me demanda d’arrêter. Sa voix n’était vraiment plus la même, elle faisait mal, tout comme son contact, sa main sur mon épaule. Nous ne nous étions plus touché depuis des mois, du moins plus sous cette forme car j’avais cherché sa présence en Fennec, dormant souvent avec lui pour me rassurer.

Je n’étais pas responsable pour la simple et bonne raison qu’il l’était. Il avait cru pouvoir arrêter seul l’animal et il s’était trompé. Si un instant je me sentis coupable d’être soulagé, qu’il ne m’en veuille pas, que sa malédiction n’était pas de mon fait, tout fut balayé lorsqu’il ajouta qu’il s’était fait mordre au moment où j’avais sonné l’alerte et que ça l’avait fait lâcher… Ce que ça signifiait ? « Que tu aurais été définitivement sauvé si j’avais su le faire avant… » soufflais-je la voix noué, tordu dans la honte, la colère aussi. Le doute avait pu persister jusqu’à présent, mais là… Continuant à me pincer, douloureusement, pour espérer sortir de là, pour me réveiller. « Je t’ai juste empêché de mourir, comme Ho-Seok… », mais si il était mort, cela n’aurait pas été plus simple pour lui ? Lui dont l’avenir n’était plus réellement ?

Rien ne s’était guérit, tout était vif, toujours présent, toujours capable de me secouer. Il n’y avait eu aucune amélioration, pas dans un monde où il fallait garder ses émotions pour soi, où il fallait rester droit, ne faire aucune ombre. Je ne pourrais jamais remettre mon éducation en question, c’était la seule que je connaissais, la seule que j’avais connu. Mais elle n’aidait personne à dépasser la douleur, à dépasser la violence de nos sentiments, de nos émotions. Même si il ne montrait rien, je savais, je le sentais. Il était simplement plus parfait, le visage de notre famille.

Baissant les yeux, il y avait des centaines de question dans ma tête, des centaines de possibilités, mais aucune réponse. Aucune envie de les avoir non plus, car plus j’en aurais, plus tout ça deviendrait réel et c’était impossible, je devais me réveiller, simplement me réveiller.

« Ça a fait mal… ? » demandais-je finalement, brisé, le visage plongeant de nouveau dans mes genoux. Je ne pouvais rien lui assurer, je ne pouvais rien penser. Je… Je ne savais simplement pas quoi penser et la seule chose qui avait de l’importance au final, c’était comment c’était passé cette nuit là et les suivante peut-être. Est-ce qu’en plus d’être maudit, il se faisait briser ? Les bruits étaient sans équivoque de toute façon, mais c’était encore qu’un bruit, qu’une réalité que je n’avais pas pu assumer. J’aurais voulu que rien n’arrive, que rien ne se passe et peut-être, ne pas savoir.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

Ce n’était pas vraiment la réponse à laquelle je m’attendais. Je pince les lèvres alors que la colère passe dans mon regard. Ce n’est peut-être pas le bon moment pour avoir ce genre de discussion alors que je sors d’une pleine lune, que j’ai l’impression d’avoir été jeté d’une falaise tant mon corps est endolori et que mes émotions sont exacerbées. « Si c’est pour dire ce genre de conneries, je te préfère encore en fennec. » Je réplique d’un ton sec, agacé. Puis je prends sur moi et respire plus calmement. Cela ne sert à rien de m’énerver contre lui… Un peu de compréhension… Mais je déteste le voir comme ça, à terre, anéanti. Nous n’avons pas été élevés comme ça. Et je m’en veux de lui avoir montré cet instant de faiblesse. « Oui… Juste… Trois fois rien… » Je suis plus sarcastique. Est-ce que je lui en veux de m’avoir sauvé la vie ? Non bien sûr que non… Est-ce que j’aurais préféré mourir ? Non plus… J’aime la vie finalement. Après plusieurs mois, même si c’est difficile, c’est mieux que d’être mort. Par contre, j’aurais largement échangé ma vie contre celle de notre frère. « Tu aurais préféré que je le sois ? » Mort. Je n’aurais pas du poser cette question, mais elle tourne en boucle dans ma tête depuis… la morsure. Mais c’est stupide de demander cela, parce que je ne veux pas entendre la réponse. Si il dit que oui, qu’est-ce que je vais faire ? Comment je pourrais encore le regarder ? Et si il dit que non, est-ce que je ne vais pas penser qu’il est simplement poli et ne veut pas me blesser ? « Oublie, c’était une question stupide. »

Ma main relâche son épaule mollement. Je cille quand il me demande si ça a fait mal. SI tu savais… J’hésite. Si je lui dis la vérité, il va culpabiliser… Il n’en a pas besoin, il le fait déjà très bien sans y ajouter ce poids. Mais si je mens… Il finira par le savoir. « Tu y as assisté… » Est-ce que cela peut suffire pour lui donner une idée ? Ce qu’il a vu, ou entendu… C’est le reflet de ma souffrance oui. « Cela ne dure pas longtemps. » C’est vrai. Même si j’ai l’impression que cela dure des heures, ça ne doit se produire qu’une poignée de minutes. Mais mon corps en souffre. Ma chair est marquée. Chaque muscle, chaque articulation est douloureuse après cette nuit. Je sais que cela va passer. Mais ce qui me fait vraiment mal, c’est son regard. Ce qui m’a blessé au-delà de tout, c’est de le voir reculer et se coller contre un mur cette nuit. « Ne t’inquiète pas… L’école me fournit de la potion Tue-Loup… Je reste lucide pendant ma transformation. Les barreaux sont une sécurité supplémentaire. » Je tente un sourire pour le rassurer. Tout ira bien pour moi… Mais nous savons tous les deux que c’est faux. Je ne fais sans doute pas illusion avec mon visage marqué, mes cernes et la lueur terne et lasse dans mon regard.

ft. Min-Oh

Because it will be less painful than to blame you

Me taire, voilà ce qu’il voulait de moi, mais son ton trahissait bien plus. Nous n’étions pas comme ça l’un envers l’autre, mais en même temps, je n’avais jamais été aussi pathétique devant lui. Je lui avais juste empêché la mort, ce qui me semblait finalement assez faible face au prix de mon incompétence. Ça valait bien la peine d’être aussi arrogant, sûr de moi au quotidien si c’était pour faire preuve de faiblesse le moment venu.

Et puis il eut une question, aurais-je préféré qu’il soit mort ? Relevant la tête pour le regarder, je n’eus pas l’occasion de répondre qu’il rejetait déjà la réponse… La question n’était pas stupide car la réponse pas réellement évidente, enfin si, dans un sens elle l’était, mais en prenant conscience de mon sang… Alors je demande simplement si ça fait mal et la réponse aussi n’est pas totale, pas évidente. J’avais entendu, ça suffisait à me faire réaliser qu’il venait de supporter ça cinq fois sans jamais se plaindre, sans personne à ses côtés. Il n’aurait jamais du vivre ça et il démontrait une nouvelle fois pourquoi c’était lui l’ainé. Il m’informa finalement que l’école était au courant, qu’elle lui fournissait ce qu’il fallait, une potion… Ma spécialité… Il était lucide pendant ses transformations, la cage n’étant qu’une précaution. « Ok. », soufflais-je dans un premier temps avant de finalement prendre mon courage et avouer, « Si tu étais mort aussi ça aurait été impossible… Même de faire semblant… », car c’était ce que je faisais, chaque jours, je faisais semblant, j’étouffais tout car mes émotions n’avaient pas leur place…

« Mais toi ? On sait très bien ce qui va se passer si jamais… Tu aurais préféré… », j’en doute, car il l’avait souligné, deux fois, mais… Il allait disparaitre de la famille et je ne pouvais qu’espérer que ça se fasse le plus tard possible pour qu’ils ne puissent pas vraiment le faire, pour qu’il reste mon frère, pour qu’il garde sa place. « Je ne dirais rien. », c’était la seule chose que je pouvais lui assurer car j’étais incapable de savoir quand la peur, les souvenirs, sauraient se stabiliser à son sujet. C’était bien plus que ce à quoi je m’étais attendu, bien plus que ce que j’aurais pu faire face. L’enfer ne s’arrêtait pas. La descente ne cessant de s’ouvrir sous mes pieds.

Pinçant toujours au point que la douleur n’en était plus vraiment une, je finis par secouer la tête, « Je serais là aux prochaines… Je veux pas t’abandonner davantage… », même si j’étais effrayé, même si il était la personnification de ma peur, je serais là car je ne pouvais simplement pas abandonner, je ne pouvais tout simplement pas fuir. Mes émotions étaient une choses, mais je n’avais pas été là, pour aucun d’entre eux. Ho-Seok était mort et lui avait eu a revivre cette nuit, encore et encore, sans jamais que je ne sois là. Mes sentiments n’avaient pas leurs place ici, ce n’était qu’un choc, qu’un état transitoire, je finirais par accepter, quoi qu’il arrive, mais je ne pouvais pas lui dire ça ainsi. Je n’avais tout simplement pas le droit d’abandonner mon ainé, mon frère. Quoi qu’il puisse dire, j’avais ma part de responsabilité, elle était même énorme.

Je n’avais pas le droit de faire plus de mal.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

Il répond… Je lui ai demandé de ne pas le faire, mais il m’avoue que cela aurait été impossible de faire semblant que ça va… « On n’a pas le choix que de faire semblant. » Je commente, en pensant à notre petit frère fauché dans sa jeunesse. J’espère qu’il n’a pas souffert… Qu’il n’a pas eu le temps de voir la mort le faucher. Les crocs plantés dans mon flanc sont un souvenir cuisant de cette nuit là. La douleur a été atroce. Même si l’adrénaline et l’envie désespérée de survivre ont atténué le choc. « J’aurais préféré que ce soit moi cette nuit là… » Je souffle, douloureusement. Pourtant je m’offusque quand il émet l’idée que je préférerais être mort que maudit. « Non. J’aurais échangé ma place avec lui sans sourciller. Mais je… Non, je préfère vivre. Même comme ça. » Je me suis raidis pourtant, alors que les muscles de ma mâchoire tressaillent sous la contrariété. J’aurais préféré que Min-Ho n’évoque pas ce qu’il se passera si… Si on apprend ma situation. J’avoue éviter de trop y réfléchir, par lâcheté. Je hoche la tête quand il conclut qu’il ne dira rien. Je n’ai même pas songé à lui demander de garder le silence… Parce que malgré tout, c’est mon frère, je sais qu’il ne me dénoncera pas. Je pense que c’est le maximum que je puisse lui demander dans l’état actuel des choses. Au moins… Il ne s’est pas enfui. Et nous pouvons parler un peu.

Sauf que la suite ne me plaît pas. Je le toise et me redresse de toute ma hauteur, blessé par sa proposition que je vois comme de la pitié. Et je n’en ai vraiment pas besoin. Cela aurait sans doute eu davantage d’impact si je n’avais pas besoin de poser ma main sur le mur au dessus de lui et fermer les yeux un instant, saisi par un vertige. Levé trop vite après cette nuit éreintante. Et je meurs de faim en plus. « J’ai pas besoin que tu assistes à ça. Que tu t’infliges ça. » Je n’ai aucune idée d’à quoi ça ressemble d’un point de vue extérieur, mais ça ne doit pas être… plaisant. « Ni que tu me vois comme ça… » Je rouvre les yeux pour le regarder : « Tu crois que je ne sais pas ce que tu vois ? L’assassin de Ho-Seok. » Ma voix est devenue aussi glaciale d’un vent hivernal. « Tu ne m’as pas abandonné, je t’ai tenu éloigné exprès. » C’est vrai. Je n’ai pas fait davantage attention à lui que lui à moi, chacun se retranchant derrière une muraille pour ne pas souffrir et ne pas s’effondrer… Et puis lui… L’avenir lui ouvre les bras. Il est brillant, bel homme, il a la vie devant lui. Il doit avancer. Si il n’y arrive pas, je l’y pousserais. Je ne le laisserais pas plonger dans les abysses, tiré au fond par les boulets du passé, enchainé par la culpabilité.

C’est la seule chose que je puisse faire pour le protéger.

ft. Min-Oh

Because it will be less painful than to blame you

« J’aurais préféré que ce soit aucun de vous deux… », soufflais-je avant de lui demander ce qu’il ressentait. Il préférait être en vie, quoi qu’il aurait voulu sauver notre frère avant tout. Son monde allait donc finir par s’écrouler, mais je repousserais ce moment autant qu’il le faut, car je ne pouvais pas l’abandonner. Il voulait vivre, il aurait à le faire avec un poids sur le coeur, une ombre dans l’âme. J’ignorais tout de son avenir, de comment gérer ça. Je savais simplement que je serais là.

Il se redresse, sans doute trop brutalement car il vacille, se retient au mur avant d’assurer que je n’avais pas besoin d’assister à ça, que je me l’inflige. Il ne voulait pas que je le vois ainsi, car il savait que je voyais l’assassin de notre frère. Une larme coula sur ma joue à cette réalité. Douloureuse, mais qui trahissait la vérité. Je le voyais ainsi, pour le moment, mais il n’était pas celui qui avait tué notre frère… Je le savais, la peur finirait par partir et par s’effacer… Avec le temps… Car c’était notre vie, faire face, quoi qu’il arriver. « C’est difficile sans toi… » soufflais-je finalement, car oui, on avait gardé nos distances, car il l’avait fait même volontairement. Mais c’était le cas. Ho-Seok et moi étions ses ombres, on n’était pas destiné à grand chose si ce n’est étendre notre noms, nous étions unis et il n’était plus là. J’étais seul, dans le dos d’un géant qui allait finir par s’écrouler. Sans lui, sans notre unité, ce n’était pas possible.

« On a pas à faire ça seul et je ne peux pas rester dans les dortoirs en sachant de qui t’arrive… Je peux venir après et partir avant si tu as envie, mais quelque soit ton image tu restes mon frère et je dois être là. », le devoir avant la volonté, car c’était ainsi que je voyais les choses. « Ce que je vois n’a aucune importance. », j’avais été élevé pour obéir aux autres et par extension à lui. C’est juste que là. Non. Pas comme ça, pas après ce soir. Certes rien n’était clair dans mon esprit, rien n’avait de sens. Certes j’étais perdu entre deux volontés, deux réalités. Mais il y avait une chose que je savais au plus profond de moi, c’était bien que quelque soit l’image, le visage que je devais arboré, il y avait deux personnes envers qui j’aurais été à jamais fidèle, mes frères.

« Quoi que tu pourras me dire, je continuerais à me sentir coupable, aussi bien pour cette nuit là, que pour avoir été aveugle et si distant que je n’ai pas su me rendre compte de ton état avant aujourd’hui. », nous avions nos rôles, mais de là me faire ignorer ça… Il n’y avait rien qu’il puisse faire pour éviter ça… Je devais assumer. Si je n’avais pas le choix que de faire semblant, je devais au moins pouvoir le soutenir, être avec lui. Me redressant finalement, je m’inclinais légèrement avant de garder la tête baissé, incapable encore de voir les effets de cette malédiction sur son sang.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

« Moi aussi. » Malheureusement, on ne pouvait pas refaire le passé, ni remonter le temps. Nous n’avions pas de retourneur de temps. Si seulement… Combien de fois ces deux mots ont tourné dans mon esprit, en boucle, refaisant le cours de cette nuit là ? Et dans aucun de ces scénarios je n’ai incriminé Min-Ho. Aucun moment je n’ai envisagé qu’il aurait pu agir autrement. Plus vite. Mieux. Qu’importe. Si mon frère arrive à pleurer sur tout ça, ce n’est pas mon cas… Cela fait 15 ans que je n’ai pas versé une larme. Ce n’est pas autorisé pour un aîné, pour un homme. Je n’ai pas pleuré quand je me suis fait mordre, je n’ai pas pleuré quand j’ai vu mon petit frère égorgé. Et rien quand nous l’avons inhumé. Mes yeux demeurent secs. Les vannes ne s’ouvrent pas. Et c’est mieux ainsi.

Je refuse qu’il assiste à mes pleines lunes. A ces transformations qui me ravagent, mois après mois. Je ne veux pas qu’il me voit amoindri, vulnérable. Ce soir était déjà trop. Un reste de fierté sans doute, le devoir de frère aîné aussi. Le soutenir, mais pas forcément l’inverse. Être fort pour lui, pour notre famille, même si je suis devenu un membre indésirable désormais… Je vacille de nouveau quand il souffle que c’est difficile sans moi. Pas à cause d’une faiblesse physique cette fois, mais plutôt par ce coup porté en plein cœur. « J’en suis désolé. » Vraiment. Je n’ai pas voulu ajouter à sa douleur la mienne. Et je n’étais pas capable de masquer la réalité en étant proche de lui. Evidemment, il refuse de plier. Je soupire, agacé. Et fataliste. « Tu ne me dois rien du tout Min-Oh. » Je suis sceptique quand il ajoute que ce qu’il voit n’a pas d’importance. « Vraiment ? Mais tu as songé ce que j’y lisais quand tu les poses sur moi ? » Je n’aurais pas du dire ça… Mais cela m’a échappé alors qu’il ne pense qu’à sa façon de se racheter et pas à ce que moi je veux. C’est vrai que j’ai affronté ça tout seul, pendant tout ce temps. Et alors ? Je n’en suis pas mort. Et je ne mérite pas vraiment sa commisération.

« Et donc, tu fais du forcing pour te racheter une conscience ? » Réplique brutale de ma part. Je lâche le mur, un peu plus stable sur mes jambes. « Je n’ai pas cherché à savoir comment tu allais non plus… Pitié Min-Ho, cela ne sert à rien de te flageller pour ce qu’il s’est passé. On n’a pas le pouvoir de changer le passé… Alors à quoi bon le ressasser ? Ta culpabilité ne ramènera pas Ho-Seok. » Il y avait déjà deux vies de gâchées... Je refusais qu'il gâche la sienne. Des trois enfants, il ne restait vraiment plus que lui sur lequel la famille pouvait compter.

ft. Min-Oh

Because it will be less painful than to blame you

On avait jamais été dans les grand discours, mais là, c’était pire. Il me gardait à distance, ne me laissant pas approcher, même un peu. Je ne lui devais rien, mais surtout, si ce que j’avais pu voir n’avait pas d’importance, c’était pas son cas. Il pouvait lire dans mon regard, il me connaissait assez quelque soit mes formes et il était inutile de lui mentir. Quoi que ce n’était pas un mensonge, je voulais vraiment être là pour lui, même si ça impliquait de faire face à ce qui m’avait effrayé. Pourtant je devais être là et… Il n’avait jamais été comme ça. Pas envers moi. Je…

Je ne pouvais plus rien faire, je n’avais pas la force, ni le pouvoir de le faire, pas quand il me repoussait avec autant de violence. « J’ai perdu un frère, je ne veux pas perdre le deuxième. » soufflais-je simplement, tête baissé, alors que mon coeur se pressait tellement que j’aurais voulu m’écrouler, mais je n’avais pas le droit, j’en avais déjà trop fait. À quoi bon ressasser ? J’étais d’accords, mais là, c’était assez nouveau pour que… Pour que rien, j’avais déjà perdu, il avait déjà perdu, et depuis longtemps, il n’y avait rien qu’on puisse faire pour ça, pour changer cette réalité.

Passant un bras sur mon visage pour en effacer les traces de cette faiblesse, je finis par relever les yeux, par l’affronter. Impossible de ne rien ressentir à cet instant, le voir aussi livide me faisait mal, bien trop, mais je n’avais pas le droit, pas le droit de forcer, pas le droit d’insister pour être en sa présence, pour le soutenir. Je n’avais simplement pas le droit. Je n’étais pas celui qui devait aller mieux, je n’étais pas celui qui avait tout perdu. C’était lui que je devais soutenir et si ça passait par ça… Je m’effacerais un peu plus pour lui, pour son bien, pour conserver la petite chance qu’il y a avait de ne pas laisser sa vie basculer en enfer. « Tu veux rejoindre les dortoirs et que j’aille te chercher à manger ? » demandais-je d’une voix blanche, comme vidée de son âme, de mon existence. Il n’avait pas l’air bien, il vacillait facilement, si je n’avais pas le droit d’être à ses côtés d’une façon, alors je devais agir comme ça. Comme un frère serviable à défaut d’avoir le droit de le soutenir, car ça, je l’avais perdu il y a longtemps.

Mes yeux encore bouffi, je mettais tout en oeuvre pour qu’il n’y voit plus rien, pour qu’aucune attaque, violence ou peur n’y filtre. Le corps avait un pouvoir que je ne voulais pas lui imposer, car j’en avais déjà assez fait comme ça. Saurais-je l’écouter ? Rester à ma place pour ne pas venir le soutenir ? C’était encore difficile à définir, mais pour l’heure, je ne préférais pas le défier, pas quand ses mots et sa voix avaient suffit à me faire comprendre que je n’avais pas mon mot à dire. Il était l’ainé, quoi qu’il ait pu lui arriver, il le rester et moi, je devais faire face. Accepter d'avoir une nouvelle fois échoué.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

J’accuse le coup. Min-Ho a quelques facilités pour dire ce qu’il a sur le cœur rapport à moi. Et je comprends combien il est inquiet et dans une situation inconfortable et incertaine. Mais quelque part, ces quelques mots me rassurent. Même si il voit l’assassin de notre frère en moi, même si je lis la peur dans ses yeux… Je reste son frère. Et ce lien semble plus fort que n’importe quelle terreur… C’est déjà ça. Je dois me faire à l’idée de ne plus voir le respect ou l’admiration dans son regard. Malheureusement, je peux faire une croix définitive sur ces sentiments à mon égard. Et ce sera bien pire de la part de nos parents le jour où ils seront. La déception dans les yeux de Père sera terrifiante. La contrariété aussi, très probablement. Sera-t-il au moins triste pour moi, ou simplement pour tous ses projets qui s’écroulent ? Je pose ma main sur sa tête, lui ébouriffant les cheveux, premier vrai signe d’affection entre nous depuis longtemps. « Tu me perdras pas. » Si il ne me raye pas de sa vie, si il ne me tourne pas le dos, je n’ai aucune raison de disparaître réellement. Je ne suis plus le même t ne le serais plus, mais si il l’accepte, il peut être sûr que je ne serais jamais loin, dans son ombre. Penser ainsi me fait mal, je ne suis pas habitué à être… Dans l’ombre. Nos rôles s’inversent et cela est bien plus douloureux que j’aurais pu le penser de prime abord. Il faut croire que je suis accroché à ce rôle qui a été le mien pendant 21 ans finalement…

Il finit par me proposer de partir d’ici et me trouver à manger. J’ai un pâle sourire et hoche la tête. Même si je ne veux pas être assisté, savoir qu’il est là malgré tout… Ça n’a pas de prix. « Merci. » Pas seulement pour la nourriture finalement. Juste pour ne pas m’avoir totalement tourné le dos, aussi difficile la nouvelle soit-elle à digérer, aussi violente soit sa peine, aussi profonde soit sa douleur. Je dois reconnaître que j’aurais volontiers eu besoin d’un soutien physique, tant je me sens faible, mais drapé dans ma dignité, je repars sans l’aide de Min-Ho. Ce n’est qu’une fois arrivé dans ma chambre, seul, que je me permets de me laisser tomber sur le lit, pris de tremblements que je ne parviens pas à réprimer, avec un goût de bile dans la bouche. J’ai tenu bon tout du long, mais là… Je me reprends cependant et me traîne jusqu’à la douche, pour essayer d’avoir meilleure mine. Raté. Min-Ho a déposé de quoi manger et je dévore le petit déjeuner en quelques minutes, avant de me dépêcher pour rejoindre les cours. Je dois rendre la clé du cachot au Professeur Mancini également.

Autant dire que je carbure au café toute la journée et m’écroule sur mon lit dés que je le peux, complètement éreinté. Pas le courage de faire mes devoirs, ni même de me joindre aux autres. Un bras sur les yeux, je m’assoupis ainsi sans même m’en rendre compte.

ft. Min-Oh

Because it will be less painful than to blame you

Depuis la mort d’Ho-Seok, cette main sur mes cheveux était le premier signe d’affection de mon frère envers moi, le premier geste naturel qui m’assurait simplement qu’il resterait avant que notre éducation ne reprenne le dessus. Que les normes se redressent et qu’une distance ne se crée à nouveau. Il semblait accepter que je lui apporte à manger, ce que je fis sans vraiment me faire attendre avant que les cours ne commencent. Le dernier jour avant dimanche, avant qu’il ne puisse se reposer. Une journée bien compliqué, où je ne suis pas vraiment me concentrer sur ce que j’avais à faire et où mes heures d’études s’orientèrent grandement sur ça. Sur comment l’aider.

Je n’avais pas été assez aveugle pour ignorer sa fatigue, mais surtout la douleur physique qu’il semblait continuer à éprouver. Il devait bien y avoir des choses à faire, une façon de mieux cacher ça, de mieux le contenir. Inutile de dire qu’une grande partie de mes réflexions se tournaient sur mes parents, sur la façon qu’on aurait de cacher ça, de faire taire les rumeurs pour que personne ne se doute de rien. Plus longtemps ça resterait ainsi, plus longtemps il resterait à sa place et avec un peu de chance, ça suffirait.

Pas vraiment étonné par l’absence de mon frère au repas, je ne montrais à personne ô combien cela pouvait me préoccuper. Ni qu’il y avait pu avoir quelque chose en réalité. Personne ne sut et c’était mieux ainsi. Quittant la table en ayant subtilisé de la nourriture, j’étais rentrée dans notre salle commune avant d’aller vérifier dans les dortoirs si il s’y trouvait bien, ce qui était le cas. Il dormait, suffisamment profondément pour ne pas m’entendre. Maintenant que je savais, que je mettais les éléments les uns après les autres, je n’arrivais pas à comprendre comment j’avais pu être aussi aveugle. C’était évident, dès la première nuit j’aurais du me comprendre.

Déposant mon butin sur la table de nuit, j’avais passé une bonne partie de la soirée à préparer une potion, envoyant joyeusement chier ceux qui pouvaient me faire la moindre réprimande en soulignant je n’avais pas besoin d’eux pour réussir mes études, je finis par mettre en fiole deux potions, sans doute bien loin de ce que je pourrais faire, mais je n’étais pas assez avancé dans mes études pour faire plus. Un décontractant musculaire et un anti douleur de surface, c’était pour l’heure les seules choses que je pouvais faire sans craindre sur les interactions. Pour ce soir du moins, demain, j’aurais sans doute d’autres pistes. Ajoutant les fioles à côté de sa nourriture, j’avais rapidement changé de forme pour le rejoindre dans lit et me nicher contre son cou. Un endroit assez stratégique car c’était là que je sentais le mieux son pouls, là que j’avais le plus de chance se sentir si quelque chose n’allait pas.

Ne cherchant pas à le réveiller, je grognais même du mieux que je pouvais contre ceux faisant trop de bruit, je voulais qu’il se repose car je n’avais pas à l’affronter. Je pouvais réfléchir, chercher des solutions, même si j’avais l’impression que rien ne saurait m’aider. Il était évident que quelque chose s’était brisé, contre notre gré. Mais rien ne serait jamais pareil. Je ne pouvais pas l’abandonner, mais en même temps, la réalité de la situation m’était aussi douloureuse. Là ou la mort d’Ho-Seok aurait du nous rapprochait, elle avait en réalité creusé un fossé que je n’étais plus sûr d’avoir le droit de traverser. J’étais perdu dans cette nouvelle configuration, cherchant sans doute trop comment restaurer l’ancienne et non comment stabiliser la nouvelle. Mais j'étais censé faire comment ? Abandonner ? Laisser le monstre qui avait prit naissance en lui le repousser hors de la dynamique familiale ? Je... Je ne savais pas quoi faire, ce n'avait jamais été mon rôle et j'avais peur qu'un jour, ce soit vraiment pas assez. Il s'était déjà montré froid, terriblement, bien plus qu'il ne l'avait jamais été, si son geste avait su effacer pour un temps la douleur, ça ne serait qu'une question de temps... J'en avais que trop conscience.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

Je la sens cette chaleur dans mon cou. Cette petite boule de poils qui trouve souvent refuge là. J’ouvre péniblement les yeux, pas vraiment surpris de constater qu’il fait nuit noire… Je pensais me poser une petite heure… Raté. La nuit doit être bien avancée et j’ai dormi d’une traite. J’ai l’estomac dans les talons. Je me demande si c’est ça qui m’a réveillé. Possiblement. Doucement, ma main se porte vers mon visage, je me frotte les yeux. J’ai encore le corps endolori, même si c’est déjà un peu moins pénible. Puis, mes doigts glissent sur la fourrure que je sais de couleur sable, à côté de moi. Contre moi. Il est là… Il est revenu… J’ignore complètement ce qu’il a fait de sa journée après cette nuit éprouvante émotionnellement et physiquement, mais… Il n’a pas fui. Même si se trouver sous cette forme demeure une sorte d’échappatoire à la réalité pour lui, j’en ai bien conscience. Il n’est de toute façon pas vraiment question qu’il dorme avec moi sous forme humaine, donc la question est vite réglée. Je me demande si c’est vraiment plus facile comme ça. Si se transformer endort ses émotions, les engourdit pour laisser davantage place à un instinct animal plus primitif. Ou si c’est simplement qu’ainsi, il est libéré du carcan de notre éducation et de la bienséance et qu’il peut réellement être lui-même… Je lui demanderai à l’occasion. En cet instant, je l’envie. La transformation en animal n’a pas du tout la même signification pour moi. Rien n’est comparable et je n’ai aucun soulagement quand cela arrive, hormis celui de ne plus sentir la pression exercée par le loup en moi. Et même quand il est là, endormi par la potion, je peux sentir que sous la surface, il s’agite, enragé de ne pas pouvoir laisser libre court à ses instincts meurtriers. Comme frustré de ne pas pouvoir sortir librement, contraint par ces barreaux. Double camisole pour cet animal sauvage et sanguinaire. Il faut bien ça.

Malgré la faim qui me tenaille, je demeure immobile encore quelques minutes, inclinant ma joue contre la fourrure de mon frère. Nous avons toujours été proches. Surtout enfants, quand nous n’avions pas encore à nous comporter comme des hommes. Deux ans de différence sont insignifiants. Nous partageons la même peine d’avoir perdu Ho-Seok. Et nous l’avons vécu tous les deux de façon différente, mais avec le même regret : ne pas avoir pu le sauver. Et voilà que cet idiot se flagelle désormais de ne pas non plus avoir évité mon sort… Comment lui faire comprendre que cela ne sert à rien de porter toute la misère du monde sur ses épaules ? Qu’il est bien arrogant de penser qu’il ai la moindre incidence sur le destin ? Je m’y prends sans doute mal avec lui. Quelque chose s’est brisé depuis ma morsure. Je ne suis même plus moi-même, perdu entre mon devoir et ma nature, exilé de chez moi dans un pays étranger, sans repères, condamné à sauver les apparences, alors que c’est de plus en plus difficile. La solitude me pèse mais comment pourrais-je faire autrement ? Attirer l’attention n’est plus vraiment une option désormais.

Je me redresse finalement avec précaution. Pour ne pas le réveiller, mais aussi parce que mes muscles fatigués ne me permettent pas d’être plus vifs. Je saisis ma baguette, lançant un faible lumos informulé pour aviser le repas qui m’attend sur la table de nuit ainsi que deux potions. Touché par l’attention, ma gorge se noue. Mais les potions ? Je prends la première entre mes doigts. Je ne doute pas de qui elle vient. Mon frère est doué là dedans. Il a pris le temps de noter… Je ferme les yeux et inspire profondément. Ne pas vaciller… Mais à cet instant, je prends conscience de combien j’ai été seul ces derniers mois… Et de combien j’ai besoin de Min-Ho.

ft. Min-Oh

Because it will be less painful than to blame you

La nuit avait bien avancé lorsque je finis par sentir le sol se dérober sous mes pattes. Enfin le sol. Plutôt mon frère. Je m’étais endormie moi aussi et c’est un peu groggy que je finis par ouvrir les yeux, m’étendant pour regarder autour de moi. Il s’était juste redressé. Assis sur son lit, une fiole entre les mains, me remettant sur patte, je m’avance pour glisser ma tête sous sa main avant de donner un coup dans cette dernière pour l’inviter à boire. Il devait les prendre et rapidement, je le sentais raide sous mes pattes. Sautant sur le sol, j’attrapais un bout de parchemin avant de resauter sur le lit pour le déposer à côté de lui, il aurait le loisir de lire les ingrédients et les conditions de préparation pour un décontractant musculaire et un anti douleur en Coréen. Il devait boire et c’est ce qu’un second coup de tête fini par lui rappeler avant de m’asseoir à nouveau à ses côtés et d’attendre qu’il s’exécute, non sans que mes oreilles ne capte tous les bruits aux alentours pour m’assurer qu’il n’y avait personne de réveiller et en mesure de le voir.

Une tour de contrôle sur pattes qui n’osait toujours pas réellement reprendre forme humaine, c’était plus facile pour nous deux. Plus facile d’être proche, plus facile de justifier qu’on ne se parlait plus sans doute. Certes ça limitait l’impact des grands discours, mais ça évitait sans doute de se dire des choses douloureuse. Il ne pouvait pas m’en vouloir pour mes mots, il ne pouvait pas être aussi froid ainsi, c’était encore le meilleur moyen de le soutenir. Même si c’était une fuite dans un sens.

M’allongeant à moitié sur sa cuisse, j’attendais qu’elle fasse ce qu’il faut pour sa santé, pour aller mieux. J’espérais surtout que cela serait efficace, du moins même un peu, sinon j’allais devoir chercher encore plus comment le soulager, comment… Comment être là quand il refusait que je le sois vraiment. Je ne devais pas chercher à soulager ma conscience et pourtant j’étais aussi incapable d’admettre ça. Sans doute car il n’y avait plus rien à faire pour Ho-Seok et que la seule chose que je peux encore faire pour transformer cette nuit, c’est d’être là, de me racheter après de lui.

Je… Je ne pouvais vraiment pas lui tourner le dos, pas en le sentant ainsi, pas en ayant vu aussi cet après. C’était plus difficile de ne voir que le monstre, que la créature qui avait prit la vie à notre frère. Faire une différence était peut-être égoïste, mais nécéssaire pour le moment. Car mon frère était une victime, pas l’autre et que… Et que je devais le protéger. Juste le protéger. Je ne pourrais jamais effacer la malédiction, car c’était impossible maintenant que la corruption pulsé dans ses veines, dans son corps, le purifier était impossible. La seule main que j’aurais encore sur son avenir, c’était faire en sorte qu’il soit soulager, qu’il vive au mieux pour peut-être, maintenir le plus possible cette illusion fragile.

Je l’aimais, plus que je n’oserais jamais lui dire et si je n’étais pas prêt à composer entièrement avec cette réalité pour le moment, du moins pas sans en souffrir, je me refusais simplement de l’abandonner.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

C’était utopique de penser que je ne le réveillerais pas en changeant de position. Je me demande à quel point il est à l’affût de tout sous cette forme. Comme un véritable animal en fait. Le message est très clair alors que son museau est insistant sur la fiole. Sans plus tergiverser, je l’ouvre, la renifle, grimace, bien entendu, parce que ça sent mauvais, et je finis par la boire comme il le me le recommande. Je me saisis de la seconde, quand il fait un aller et retour sur le sol pour me ramener un parchemin. Intrigué, je le déplie. Et je comprends un peu mieux ce qu’il a fait. Je secoue un peu la tête avant de murmurer : « T’es fou. » Cela pouvait attendre… Il avait passé combien de temps là-dessus au juste ? Plusieurs heures à n’en pas douter. Je baisse les yeux sur Min-Ho, qui est en alerte, ses oreilles s’agitant pour écouter un peu tous les sons. Quelque part… je comprends un peu mieux ça. C’est pareil quand je me transforme, même si je n’y ai pas encore trop pris garde. Cela demeure déstabilisant d’avoir tous les sens amplifiés comme ça. Je bois l’autre fiole, un peu moins mauvaise. J’ignore si cela fera un peu de bien ou si il n’y a rien à faire pour atténuer les symptômes, comme sil n’y a rien à faire pour se débarrasser de cette malédiction.

Collé à moi, Min-Ho veille au grain alors que je me mets à manger, silencieusement. Nous ne sommes pas seuls dans ce dortoir, cela limite aussi nos interactions. Mais y a-t-il vraiment besoin de mots ? Je ne suis déjà pas capable de lui parler quand il est en face des autres… Alors ce n’est pas la peine de me lamenter au beau milieu de la nuit de ne pas pouvoir le faire. Ce serait abusé de ma part. J’engloutis le frugal repas en un rien de temps, bois le verre d’eau et gratte machinalement le cou du fennec, qui diffuse sa chaleur contre ma cuisse. Je me décale un peu pour me rallonger, refermant les rideaux du baldaquin, pour me coucher sur le côté et observer Min-Ho. Je voudrais vraiment que ce soit plus simple. Qu’il ne souffre pas autant de la situation. Peut-être qu’un jour nous arriverons à nous dire les choses franchement, sans nous cacher derrière nos statuts, notre éducation… Notre forme animale. J’avance mon front vers lui, le collant contre son museau. J’avais tort, j’ai besoin de lui. « C’est égoïste mais… je suis soulagé que tu saches… » Ce n’est qu’un souffle, à peine audible. Pour lui, c’est forcément limpide, avec son ouïe surdéveloppée.

J’ai toujours considéré que je devais tout faire seul, sans me reposer sur les autres, ne pas laisser mes émotions et mes problèmes personnels prendre le pas sur le reste. J’ai été élevé pour être un roc inébranlable, pour être celui sur lequel on se repose et non l’inverse. Et c’est ce que j’ai fait. Même mordu, même endeuillé, je n’ai rien laissé voir. Mais mentir à Min-Ho… Cela a été difficile. Et je me rends compte qu’en voulant le préserver, je manquais aussi de confiance en lui…

ft. Min-Oh

Because it will be less painful than to blame you

Je n’étais pas fou, j’étais désespéré à l’idée de ne rien pouvoir faire, désespéré à l’idée qu’il ne soit plus, qu’il perde sa position et que je me retrouve dans une position insupportable. Je ne voulais pas que les choses changent, elles l’avaient trop fait dernièrement et c’était loin d’être possible d’accepter plus. Il devait aller mieux, d’une façon ou d’une autre. Réduire mon impacte, du moins l’impact négatif que j’avais pu avoir sur sa vie. Je voulais pouvoir revenir, faire quelque chose, juste une chose. Alors non, je n’étais pas fou, clairement pas.

Le laissant ainsi manger, reprendre un peu de force, j’écoute tout ce qui nous entoure, faisant attention au moindre détail, au moindre son. Comme un réflexe, je sens sa main glisser sur mon pelage pour quelques caresses, des gestes que la colère qu’il avait pu exprimer n’avait pas effacé. Me décollant le temps qu’il puisse s’allonger plus confortablement après avoir fermer les rideaux, je revenais vers lui pour l’imiter et le voir finalement s’approcher. Son front sur mon museau, il avoua finalement être soulagé que je le sache. J’y avais donc encore une place ? Dans cette vie ? Dans cet avenir maudit ? Tendant le cou, je me mis à lécher ses cheveux, non sans galérer assez nettement avec la longueur de ses derniers, mais ce n’était pas grave, c’était le geste qui comptait, la preuve qu’il y avait derrière.

J’aurais aimé avoir le courage de l’affronter en face, le courage de le regarder droit dans les yeux, mais j’avais peur de ce qu’il pouvait y lire, peur d’agrandir cette fracture déjà bien évidente entre nous. La seule chose dont j’étais sur c’est que ce n’était qu’une question de temps avant que je digère les choses, avant que je ne les accepte elles et leurs conséquences. D’ici là, j’avais une certitude, c’est que quoi qu’il advienne je serais là, car j’étais docile, j’étais aussi fidèle et que je l’étais davantage envers lui qu’envers mes parents. Je n’irais pas contre lui et je ferais ce qu’il faudrait pour le soutenir et en ça, j’eus une idée.

Lui donnant un coup de tête, j’appuyais ce dernier pour le faire s’allonger sur le dos et lui monter dessus en mettant tout mon poids, autant dire que ce n’était pas beaucoup, des légère pression, mais qui avec la taille de mes pattes étaient assez précises. Commençant à lui marcher dessus en sautant à moitié pour appuyer le plus possible, j’essayais une version un peu fatigué d’un massage, une version un poil fatigante à sauter en boucle pour essayer de me soulager, mais une version quand même. Pourquoi je n’avais pas un truc un peu plus lourd et utile ? Bon ça aurait été plus utile de commencer par le dos en fait, il était musclé, j’avais tendance à l’oublier quand je pensais à mon torse en pudding.

M’asseyant finalement sur ses abdos, fatigué, haletant, j’avais l’impression d’avoir fait n’importe quoi et que j’aurais mieux fait de le faire normalement, en humain, mais masser mon frère ? Non dans cette école ça aurait été gênant et je préférais encore comme ça, au pire, je le ferais rire, ça serait toujours ça de prit. Toujours ça pour lui prouver que j’étais là, qu’il ne devait plus me tourner le dos, qu’il ne devait plus penser que je ne pourrais pas l’aider. Je n’étais pas aussi solide que lui, sans doute pas aussi brillant, mais j’avais assez grandit dans son ombre pour savoir l’imiter. Pour être là quand il aurait besoin.

ft. Hyun-Su

Because it will be less painful than to blame you

J’ai un sourire quand je le sens qui me lèche les cheveux. « Je suis bon pour les laver toute à l’heure, c’est malin. » Parce que bon, la bave de fennec… Ce n’est pas terrible quand même, mais je le laisse faire ce qu’il veut, retenant même un petit rire réflexe, ressentant une énorme bouffée d’amour pour mon frère en cet instant. Pour ce qu’il a fait, pour ce qu’il a accepté, malgré ses propres démons… Je sais que ce n’est pas facile pour lui, peut-être que je ne mesure même pas à quel point. Si je pouvais balayer sa culpabilité, l’absorber, je le ferais sans hésiter. Parce qu’il n’a rien à se reprocher dans ce qu’il s’est passé. Sans lui, je serais mort. Sans lui, il y aurait eu davantage de victimes, j’en suis presque certain. Oui, possiblement, il aurait pu être plus rapide. J’aurais pu être moins arrogant et plus prudent et arrêter convenablement ce loup-garou. Tellement de possibilités alors qu’il n’est pas possible de réécrire l’histoire de toute façon… Juste essayer de vivre avec. Et c’est là où nous échouons. J’ai tout arrêté depuis ma morsure… Le Quidditch, les interactions sociales, les loisirs… Juste me lever le matin, manger, aller en cours, tenter d’avoir un diplôme pour un métier qui fera la fierté de mes parents et me permettra de prendre la succession.

Mais si mon secret est découvert, rien de tout cela n’aura servi. Et cela me déprime au-delà des mots.

Le coup de tête de Min-Ho me sort de cette spirale de désespoir et je m’exécute docilement. Ironique comme cette boule de poils d’un kilo à tout casser parvient à m’imposer sa volonté, quand c’est plus difficile sous sa vraie forme. Mais je n’ai pas envie de lutter et je n’ai pas non plus envie de rejeter son affection et ses attentions. J’en ai besoin. Cependant, j’ai un moment de surprise quand il commence à me sautiller dessus. Et je dois étouffer un éclat de rire de ma main quand il touche une zone chatouilleuse. Il ne faudrait pas que je réveille les autres. Il termine son œuvre, quelle qu’elle soit, je ne suis pas encore certain de ses intentions, mais cela n’a pas d’importance.

Je l’attrape alors et le ramène à moi pour juste le serrer contre moi et enfouir mon visage dans sa fourrure sable. « Arrête de gesticuler. J’ai besoin de dormir. » Je ne le lâche pas pour autant, le gardant contre moi, comme un enfant de deux ans aurait gardé son doudou pour se rassurer et éloigner les monstres sous son lit. Et quelque part, c’est un peu le cas… Qu’il éloigne les cauchemars, le monstre tapi en moi qui ressortira dans 28 jours, les doutes et les incertitudes quant à mon avenir. Il n’y a qu’une chose dont je puisse être certain cette nuit, contrairement à la précédente.

Mon frère restera à mes côtés.

ft. Min-Oh