♱ Forsaken ♱

Personne à qui dire je t’aime, mais tout le monde sur qui cracher ma haine… - Shae Warrens

         Elle tapote sa cigarette pour faire redescendre tout le tabac, ce n’était évidemment pas ce qu’elle avait l’habitude de fumer, mais dernièrement, elle n’avait pas de quoi se payer une dose. Tout ce qu’elle avait, c’étaient les économies qu’elle avait pu acquérir avant le désastre qui avait frappé Poudlard et qu'elle avait dépensé pour quelque chose de plus important encore. Par fierté, elle refusait de toucher à la moindre pièce pouvant provenir des Nott. Si elle acceptait, elle aurait l’impression de s’être vendu à l’image d’une prostituée. Honnêtement, Shae ne se pensait en aucun meilleur qu’une prostituée, elle avait même conscience que chacun d'entre nous était dévoré par les méandres d'une galère qui nous était propre et en faisait comme on pouvait pour s'en sortir. Et tout était bon pour ne serait que survivre et s’adapter à une vie qui, de toute façon, n’en avait rien à foutre de vos états d’âmes ou tout simplement votre état de santé. Quel était belle cette société où au final, elle n’arrangeait que les privilégiés ayant eu la bonne étoile de naître dans un cercle sociale idéale.  
          Shae avait connu bon nombre de souffrance qui rendait sa personnalité amère et hermétique à toute chose, la vie qu’elle a mené ne pouvait que la diriger vers cette voie vouée à terminer sa route dans un gouffre dévoré par les ténèbres. Là-bas, l’espoir n’était qu’une fantaisie de l’esprit qu’il fallait savamment oublier et rejeter dans les abysses où ne s’illustre que haine, mépris, désolation et bien d’autres alanguissements mornes de tourments inéluctables. Une fois qu’on était tombé dans ce gouffre, il était plus agréable de lever la tête et de s’imaginer que la vie, là-haut, était si douloureuse que c’était ce qui avait conduit à cette chute. Et dans le cas de Shae, elle se demandait pourquoi vouloir revenir dans la lumière quand, au fond, celle-ci n’avait pas mieux à proposer en finalité que ce gouffre, autant y rester et accepter la souffrance telle qu'elle. Elle n’avait aucune réelle raison de vouloir remonter à la surface, elle ne ressentait aucune ambition particulièrement forte pour lui faire oublier tout ce sentiment d’indifférence qui la ronge.  

        Diable, qu’elle aimerait que tout cela ne soit point qu’une métaphore de son esprit, finalement prisonnier de ses propres lamentations internes. Le ciel était d’un gris sépulcral et là, au lointain, vers un horizon plus sinistrement sombre encore, les lumières célestes faisaient éclater leurs aveuglantes lueurs. Elle s’approchait de Pré-Au-Lard couvert d’un voile présageant l’arrivée du torrent. Un ciel qui autrefois n’aurait alerté personne, mais qui aujourd’hui réveillait chez bien des gens quelques angoisses inavouées depuis la sombre tempête qui avait frappé la région et avait causé tant de victime. Mais elle, clope à la main ne ressentait rien en cet instant, presque ravi de l’approche de l’orage. Ce temps, elle l’aimait, l’orage lui rappelait la tempête qui éclatait au sein même de son cœur. Oui, elle comprenait la peur des autres, leur peine... Bien qu’au fond, elle en restait indifférente. Elle n’avait que faire de qui était mort, elle n’avait pas d’ami à pleurer et c'était mieux ainsi.
       Aussi, elle contemplait le deuil des autres avec un regard froid, insensible... Avait-elle pouffé à l’annonce de la mort d’un des héros de la guerre de Poudlard ? Oui, pas par vice, mais parce qu’elle avait trouvé ici la vie bien fourbe. Mourir seule, voilà qui était pourtant réaliste. Shae ne pouvait guère pleurer les morts, pour elle, on l’était de toute façon tous, ce n’était qu’une question de temps avant que notre tour arrive, pourquoi pleurer les disparus dans ce cas. Pfff... Elle préfère rire de leur sort et rire du sien. La Warrens, devenue Nott malgré elle, fixait le paquet dans l’une de ses mains, alors qu’elle hésitait encore à allumer sa pauvre clope dans l’autre. Une pensée bien fugace que celui de s’en taper une avant la dernière route vers les abysses. Elle l’alluma finalement non sans lever son regard vers les cieux, les yeux assombris par une volonté diminuée. Celle qu’avaient tous ces gens ayant accepté les dernières lignes de leur autobiographie.  

          Les minutes défilèrent sans vraiment qu’elle aspire la nicotine de son tabac, clope pourtant posée entre ses lèvres, ce dernier n'était consumé que par le temps lui-même. Ses yeux ne s’étaient pas décrochés du ciel, alors que les premières gouttes commençaient à se fracasser sur le sol. Il était temps, se disait-elle intérieurement. Elle devait le faire, se rassura-t-elle. Si elle ne le faisait pas, elle pourrait le regretter, elle pourrait ressentir le besoin de vivre un jour de plus. Elle savait que son esprit n’était finalement pas assez persévérant pour ignorer ceux et celles qui ne demandaient que de la traiter comme une part manquante de leur vie. Mais ce désir, ce sentiment... C’était une malédiction destinée à tromper les cœurs les plus vulnérables. Elle sortit la seringue contenant la liqueur de vie et de mort qu’elle avait eu tant de mal à se procurer. C’était sa seule et dernière opportunité, avant que sa liberté ne soit que davantage restreinte. La quantité était normalement suffisante selon elle, oui, elle s’endormirait alors au travers d’une extase sans retour possible... Ainsi, elle continuera à observer le monde depuis son gouffre.



            C'était à travers une ruelle assombrie par son étroitesse, qu'elle gisait inconsciente sur le sol, le teint livide, la seringue toujours accrochée à son bras. Seul la pluie l'acclamait de ses tambourinements qui semblaient comme être des applaudissements d'outre-tombe. Nageant de l'extase mortel, elle ne pouvait sentir la douce faux approchée son cou au fil des minutes qui s'écoulaient.  

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Personne à qui dire je t’aime, mais tout le monde sur qui cracher ma haine… - Shae Warrens

         Tout ce qui suivit l’injection, fut une série d’événements plus ou moins étranges. L’impression que le monde se distordait, ce n’en fut pas pour autant désagréable. Aux yeux de la Serpentard, elle avait la sensation de sombrer vers une sorte de bien-être inexpliquée. Ce fut comme si elle se laissait tomber vers je-ne-sais-quoi de fantastique. Elle ne se rappela aucunement d’avoir perdu conscience, comme si le rêve avait toujours été la réalité et qu’elle s’était finalement éveillée, qu'elle s'était arraché à ce dernier. Dans cet état, Shae avait enfin cette impression que plus rien n’avait d’importance, que ce qui provoquait sa dépression jusqu’à maintenant, n’avait tout simple plus lieu d’être. Toutes ces questions passées, toutes ses pensées sombres. Oui, l’ensemble de ses pensées complexifié semblait à présent complètement dérisoire. Ici, elle n’avait pas grand besoin de trop réfléchir, juste d’accepter ce flow de sensation comme il lui venait. En dépit du fait que ce dernier, par sa substance, provoquait à petit feu la mort de la Warrens.  
       Et puis, soudainement, ce qui devait indubitablement mener à une perte de sensation totale, se transforma en douleur. Le rêve et l’utopie onirique devinrent cauchemar et dystopie. Shae ouvrit les yeux, et face à toutes les sensations atroces qu’elle ressentait à ce moment, elle comprit qu’elle avait échoué. Qu’elle était revenue, ou plutôt qu’on l’avait fait revenir. Si les dieux existaient, ces derniers lui semblaient bien ignobles envers elle. Comment avait-on pu la trouver, alors même qu'elle avait fait sa besogne dans la ruelle la moins fréquentée de Pré-Au-Lard. Mais là, cette fois, comme par hasard, on avait réussi à la trouver ? Bordel, aurait-elle dû faire ça dans la forêt interdite ? Quelle blague, avec un peu de chance, c’est un centaure qui aurait cru cette fois bien agir en lui venant à son secours. La Warrens était mentalement au bout de ma vie, bien trop pour ne serait-ce comprendre ce que lui disait la pauvre femme qui semblait s’adresser à elle.

         Mais sa voix était comme distordue, comme si elle parlait au ralenti sous slow motion. Le simple mouvement de la part de Shae pour simplement redresser son torse et être au moins dans une position assise, avait provoqué en elle une violente remontée. Et comme si son hôte avait vu venir le coup, au moment de vomir au sol, une bassine se trouva juste à la portée de l’adolescente. Elle ne savait même pas ce qu'elle régurgitait, elle n’avait pas forcément mangé avant. Son estomac devait donc être vide et pourtant, toute son anatomie avait besoin d’évacuer quelque chose de bien délicat. Après un moment, le malaise semblait temporairement passé, la sorcière releva la tête vers l’hôte dans ce qui semblait être un cabinet. C’était bien trop petit pour être l'infirmerie de l’école. Pourtant, si elle avait pu comprendre les paroles de la femme quelques minutes plus tôt, elle aurait eu cette confirmation sans la moindre difficulté.  
           Shae tenta de se leva, tout dans son esprit lui indiquait de se casser d’ici, prendre ses jambes à son cou. À peine ses pieds posés au sol, qu’elle sentit le poids de son corps, comme si pour la première fois de sa vie, elle fut consciente de l’existence de la gravité. Évidemment, manquant de force dans ses jambes, elle chuta violemment au sol, son crâne manquant presque de heurter la surface solide du meuble non loin.  

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Personne à qui dire je t’aime, mais tout le monde sur qui cracher ma haine… - Shae Warrens

         Douce humanité hypocrite, forgée au travers de ces idéaux divergents qui les rapprochaient, autant qu’ils les divisaient. Moldus comme sorciers jouissaient du privilège de donner vie aux catégories, aux castes, eux, ces putains de progressistes de la fortune salvatrice, ces séparatistes de la pureté imaginaire, au sang pourtant souillé depuis des millénaires... Ah quelle vie ? Et surtout, quel sursis... Pourquoi cette adolescente suffisamment bousillée mentalement voudrait-elle s’encombrer d’un tel monde ? Son existence lui-même n’avait pas plus de valeur qu’un simple grain de sable dans le grand vide cosmique, pourquoi s’entêterait-elle alors à une survie précaire ? Au final, tout le monde était destiné, voire condamné à pourrir dans le sol, bouffer par les vers. Elle songeait que la sauver n’était qu’une façon bien horrible de la maudire un peu plus à une souffrance issue du sadisme de cet humanisme pervers.  

Oui, Shae était grandement lasse et emplie de mépris pour l’existence elle-même... Et si les dieux étaient réels, ils n’auraient que son venin en guise de gratitude. Pour l’avoir ainsi, fait naître sous une mauvaise étoile, comme si le cosmos avait prédéterminé son attitude. Et voilà qu’elle était entre les mains d’une pauvre femme pleine de bonnes intentions, mais des intentions fortement déplaisantes, en tout cas, pour une suicidaire qui se plaisait à la dangereuse plénitude. Elle grognait, mais d’un grognement qui avait plus l’air de ce petit gémissement matinal d’une personne se relevant d’une soirée arrosée. Ayant profité du bonheur de la boisson alcoolisée sans se soucier des conséquences. Se faire manipuler comme une poupée de chiffon, oh qu’elle n’aimait pas ça la Warrens. Mais la pauvre petite n’avait même pas la force d’agir comme bon lui semblait. C’était à peine si elle arrivait à garder ses paupières grandes ouvertes tant ces dernières lui paraissaient terriblement lourdes.

« Shae... » Grogna-t-elle de plus belle, un peu mécontente de devoir retourner se coucher en flottant comme une vieille valise, à coup de sortilège... Mais au fond, elle ne pouvait pas y faire grand-chose que de contempler ce plafond immonde à ses yeux, décoré au moins de quelques grains de poussière. Et la voilà qu'elle était soumise à la dure loi des incommodés et des alités, quel sacrilège. Sa dernière question arracha un sourire presque provocateur des lèvres de l’adolescente, qui répondit aussitôt. « Que... La dose n’était... Pas... Assez forte ? » 

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Personne à qui dire je t’aime, mais tout le monde sur qui cracher ma haine… - Shae Warrens

         Shae n’avait rien contre cette inconnue, au fond, elle était complètement indifférente à sa personne. Mais, en l’état, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir de la frustration à l'égard de la blonde. Au manoir, c’était quasi impossible d’attenter à sa vie, même quand elle n’était pas protégée par les Nott, il y avait l’elfe de maison qui prenait le relais et elle était foutrement efficace. Mais à Poudlard, l’attention et le contrôle des Nott étaient bien plus limités, ils ne pouvaient pas voir ce que la Warrens faisait de son temps H24. Ils avaient notamment, eux-mêmes, des cours à réaliser et à gérer de leur côté. Et bien évidemment, Shae connaissait leur emploi du temps. Aujourd’hui, c’était la situation rêvée pour agir dans leur dos, malgré tout... Son plan avait foiré ? La vie était forcément du côté des salauds pour que même son suicide n'aboutisse pas. Si le bon Dieu existait, l’adolescente aimerait grandement lui demander ce qu’elle avait bien pu lui faire dans sa vie précédente pour qu’il lui offre en celle-ci une destinée si cruelle.
       Et l’autre-là qui demandait à la Warrens si elle réalisait ce qu’elle avait fait. Elle aurait pu jouer la carte de la ruse, en inventant une excuse bidon pour taire ses soupçons... Mais Shae était actuellement lasse de faire semblant. Elle n’avait pas envie de faire l’effort de cacher les ténèbres qui gangrenaient son cœur. Et puis surtout, par orgueil, elle avait envie de rétablir une vérité, celle qu’elle n’était pas cette pauvre conne inconsciente qui ne savait absolument pas ce qu’elle faisait. Elle savait grandement ce qu'elle faisait, c'était son choix. « Ouais, c’était... le but... P’tain. » Shae fixa la blonde et rajouta... « On a... pas tous... la belle vie... Barbie. » Oh oui, elle ignorait totalement ce que pouvait être la vie de cette femme, mais elle n'avait pas envie d'être agréable ou compréhensible. Elle avait juste envie de la juger à son apparence comme une petite peste qu’elle n’était pas forcément, mais qu’elle avait aujourd’hui envie d’être. Et l’apparence de cette femme aux yeux de la Serpentard, c’était celui d’une femme qui pouvait voler le monde juste en souriant.

      Et puis elle revint avec un récipient qui arracha de nouveau un grognement chez la jeune verte et argent, soufflé dans un gémissement d’agacement. Pitié. Songea-t-elle, quand l’infirmière annonça qu’elle ne quittera pas les lieux sans avoir pris ce qu’on lui proposait. « C’est... de... l’abus de... de pouvoir. »  Cracha la jeune sorcière qui s’exécuta malgré tout, elle ne voulait absolument pas donner l’occasion à cette femme de la retenir plus longtemps. Il faudrait qu’elle agisse vite. C’est-à-dire, reprendre à zéro, et contacter ses dealeurs. Seulement, elle n’avait plus aucun sous sur elle. Shae espérait toutefois qu’on accepte de lui faire un prêt... Elle s’en foutait de se retrouver avec une dette, puisqu’elle avait espoir de mourir avait qu’elle soit forcée de rembourser. Elle fit une grimace en terminant son verre. C’était franchement dégueulasse. Mais Shae songeait que l’on avait la médecine qu’on méritait.  
       Et à la dernière question, la Nott manquée releva un sourcil... Est-ce que c'était pour faire la conversation cette question ? Ou bien, ses propos précédents n’étaient pas assez clairs pour la blonde. « De toute évidence, parce que je respire encore... » Oh... Elle fut surprise d'avoir réussi à formuler sa phrase sans reprendre son souffle. Médecine dégueulasse, mais efficace.