23 décembre 2023 -Le vent souffle autour d’elle. Ce vent auquel elle est habitué. Ce vent qu’elle aime, normalement. Elle l’entend siffler dehors, détruire. Dans les escaliers, sa main dans celle d’Ayden, elle court. Il faut qu’ils s’échappent, ils doivent s’en aller. Autour d’elle, les gens courent, eux aussi, essayent de se mettre à l’abris. Elle fait tout pour ne pas compter le nombre de corps qui jaugent le sol. Elle ne veut pas penser à toutes ces vies perdues, arrêtées avant même leur âge d’or. Elle ne
peut pas y penser. Il n’y a qu’Ayden et elle qui importent. Eux deux et leur famille qu’elle ne parvient pas à contacter. Dans son état de panique actuel, impossible pour elle d’envoyer un quelconque signal de détresse.
Il a suffit d'une erreur.
Une petite erreur.
Elle tribuche sur un corps et se retourne, comme par habitude pour
s’excuser à une enveloppe vide. Elle ne regarde plus ce qui se passe devant elle, ne voit pas le Margryr qui s’approche d’elle et de son frère en vitesse. Ne voit pas le monstre ouvrir sa gueule et sent à peine son souffle sur sa peau avant qu’il ne disparaisse.
À la place, du sang. Beaucoup de sang.
Son visage, son uniforme, sa robe, sa cravate. Le rouge qui représente si joliement sa maison recouvert d’un autre rouge plus vermillon. Un rouge collant, un rouge dont elle ne trouve la source que plus tard, après avoir passé ses mains sur ses yeux pour se dégager la vue. Plus tard, mais trop tôt.
Le monstre a disparu ; Elle suppose que la personne en bas des escaliers s’en est occupé. Elle s’apprête à le remercier lorsque là, dans son champ de vision, elle reconnaît des traits. Par terre. Quelqu’un se bat pour respirer.
Ayden.
Elle tombe. Elle ose à peine le toucher. Elle voit sa gorge.
Que s'est-il passé ?
Ayden ?
12 Août 2008 -Elle a cinq ans. Ses cris sont stridents dans la demeure des Gimhae, ils résonnent dans tous les coins de l’habitacle. Elle semble vouloir s’échapper. Elle court. Elle crie. Mais surtout elle rie. Elle réalise pas encore, à l’époque, que Matthew doit être absolument blasé par son comportement - leur comportement. Elle sait pas que ses parents acceptent leurs bêtises parce qu’ils sont encore jeunes et qu’ils aiment les voir
heureux. Elle est trop petite pour savoir tout ça. Elle sait juste que son jumeau la poursuit et qu’elle doit s’échapper si elle veut pas qu’il l’attaque avec des guilis.
C’est pas elle qu’a commencé. Promis juré. Ayden a essayé de lui voler son balai miniature alors que tout le monde sait bien que c’est
le jouet qu’elle refuse de prêter. Ou quand elle accepte de le donner pour quelques heures, c’est souvent parce que papa ou maman le lui ont expressement demandé. Parce que c’est “bien de prêter ses jouets à son frère”. C’est pas de sa faute à elle, si elle veut plus les lui prêter. À chaque fois, il les lui rend cassés.
Elle finit par foncer dans des jambes rassurantes et lève un sourire innocent vers leur propriétaire.
“MAMAAAAAN !” Ayden arrive quelques secondes plus tard et retrouve Leti qui lui tire la langue, cachée derrière les jambes de sa mère.
“MAMAN ! LETI ME TIRE LA LANGUE !” Alors Leti rentre sa langue et passe face à sa mère.
“C’est même pas vrai !” “Si c’est vrai !” Alors elle se retourne vers son frère et s’approche de lui.
Après une dizaine de “si c’est vrai” “non c’est pas vrai”, leur mère finit par leur demander de se calmer et de se préparer à aller manger.
Leti lui aura pas prêté son jouet balai miniature finalement.
Mais elle lui aura prêté son petit chaudron qu’elle sait qu’Ayden aime encore plus.
Elle sait pas où elle est. Elle sait pas comment elle est arrivée là. Elle sait pas ce qu’elle fait, ce qu’il se passe. Elle sait même qu'à peine quand on est, où carrément qui elle est. Devant elle, les gens bougent. Ils passent, repassent, courent. Elle sait qu’elle n’est plus dans la tour de Gryffondor. Elle pense savoir qu’il n’y a probablement même
plus de tour de Gryffondor. Elle sent un poids sur ses avant bras. Elle entend vaguement la voix de quelqu’un qu’elle connaît. Oh, qu’elle est rassurante cette voix. Mais le propriétaire de cette voix peut pas être là. Peut pas la voir. Parce qu’elle a fait une bêtise. Elle… Elle a fait une bêtise. C’est de sa faute et Matthew… Oui, c’est ça. C’est la voix de Matthew. Elle le sent les prendre avec lui et transplaner. Quelque part, elle reconnaît quand même cette sensation. C'est déjà ça.
Faut croire qu’elle était toujours dans la tour de Gryffondor finalement. Wow… Elle existe vraiment plus alors. Le poids qu’elle avait sur les avant-bras disparait.
Non. Non non. NON !
Elle essaye de tendre les bras parce que… Parce qu’ils peuvent pas le lui enlever, non. Non. Mais elle se rend bien vite compte qu’elle tend rien du tout. Elle en a pas la force.
Où est-ce qu’elle est ?
Qu’est-ce qu’il vient de se passer ?
Les gens passent devant elle, courent, crient. Elle comprend rien. Pas les mots, pas les ordres qui sont donnés. Même à peine ceux qui lui sont donnés à elle.
Matthew, sa voix. Ah. Ah il lui demande quelque chose. Elle l’entend. Il lui crie dessus.
Il a raison de lui crier dessus. C’est de sa faute.
Elle repense au jouet balai miniature avec difficulté. Pense à rien d’autre de toute façon. Son esprit est vide. Comme si y’avait jamais rien eu dedans. Les guilis d’Ayden. Et elle lance le sort malgré elle.
“Expecto Patronum”Elle est même surprise quand le patronus prend forme.
Sa tête se vide de nouveau. Les larmes coulent seules sur ses joues. Qui ? Quoi ? Où ?
Elle referme ses bras autour de ses genoux et se balance.
Maman, papa… J’ai peur…Septembre 2017 -“Ayden, j’ai peur…”Son frère la regarde comme s’il lui était poussé une nouvelle tête.
“Peur de ?” Elle hausse les épaules. Aujourd’hui, c’est les qualifications pour l’équipe de Quidditch. Elle a peur d’échouer.
Concrètement, elle sait qu’il y a peu de chance qu’elle ne soit pas prise. Après tout, elle sait qu’elle est douée. Qu’elle aurait pu faire partie de l’équipe bien plus tôt.
Mais elle y peut rien, elle stresse. Et si, pour une raison X ou Y, tout d’un coup, quelqu’un de meilleur arrivait sur le terrain ? Et si y’avait un problème avec son balai ? Normalement, ça devrait pas être le cas, parce qu’après tout, elle le chouchoute presque autant que son furet, son balai (probablement plus s’il faut être honnête). Puis y’a la température.
Puis y’a aussi le fait qu’elle a peur d’utiliser son pouvoir sans vraiment le vouloir. Elle a toujours eu un peu peur de s’en servir à son avantage sans le réaliser ou le vouloir à l’avance. Ou de décider de l’utiliser à son avantage un jour et de tricher. C’est pas une tricheuse, Leti. Mais c’est une mauvaise perdante. Alors à choisir entre les deux, elle est pas bien certaines de ce qu’elle ferait.
Après, pour que la question se pose, faudrait encore qu’elle perde.
“Soeurette, tout le monde sait que t’es la meilleure donc je vois pas pourquoi tu stresses. Puis au pire, j’te filerais un coup de main.” Elle lui lance un regard noir. Comment est-ce qu’il fait pour toujours savoir ses plus grandes peurs ou pour dire les mots parfaits pour la mettre en rogne ?
“N’y pense même pas si tu veux garder assez de dent pour le repas de ce soir.” Il rit et s’en va, laissant sa jumelle soeur avec ses rares - mais présentes - insécurités.
Elle sait pas vraiment où elle était. Elle se souvient qu’elle entendait la voix de Matt, majoritairement. Les bras protecteurs et rassurants de… De..? Papa ? Maman ? Elle sait toujours pas vraiment qui c’était. Probablement eux, ceci dit. Après tout, maintenant, ils sont à Busan, ils sont rentrés. Et c’est si silencieux. Leti est dehors.
Qu’est-ce qu’elle fait dehors ? Elle cligne les yeux. Qu… Qu’est-ce… Quoi ?
Elle regarde aux alentours. Elle reconnaît l’endroit. Elle est dans le jardin japonais de leur mère. Il est beau, ce jardin. Si apaisant. Elle sourit doucement, respirant avec insistance l’ambiance zen, calme et rassurante de l’endroit qui lui rappelle tant sa mère.
Après tout, ce jardin a toujours eu la capacité de la calmer.
C’est d’ailleurs bien le seul endroit à pouvoir la calmer lors d’une grosse dispute avec Ayd… Ayde… Ayden ?
Le sourire disparait de son visage. Ayden ? Il est où Ayden ?
Elle est pas là parce qu’elle s’est disputée avec Ayden. Non. Non, elle est venue parce qu’elle a reconnu l’endroit comme étant le seul endroit capable de la calmer, de lui redonner toute sa conscience.
Et maintenant que c’est le cas, elle se souvient de tout. Toutes les images qu’elle avait pas digéré lui reviennent en tête. Et maintenant que quelques heures (heures ? seulement ?) sont passées, elle peut enfin les comprendre. Son esprit peut les décrypter.
Elle préfèrerait que ce soit pas le cas.
Oh Merlin… Oh Merlin, Ayden.
Ayden.
Non ?
Non.
Non.
Non !
Non !
NON !
Le bruit est strident. Ça ressemble à un animal qu’on égorge. Qui se débat. Qui se casse les cordes vocales. Comme si ça allait faire disparaitre la douleur.
Sa gorge lui fait mal. Et lorsqu’elle se rend compte que c’est elle, qui crie, elle arrête pas. Elle a tant de rage, de haine, de colère, de peine. De culpabilité. Qu’elle arrête pas.
Après tout, qu’elle souffre. Elle le mérite.
Elle sent autour d’elle le vent qui tourne. Oh. Oh non. Voilà qu’elle détruit l’endroit le plus calme de la demeure maintenant.
Elle tombe à genoux. Continue à crier.
Non.
Non.
NON !
NON !
N O N !Les arbustes volent et s’entrechoquent. L’eau s’agite et les petits graviers, si calmant lui foncent dessus et la coupent dans tous les sens. Elle a mal. Oh elle a mal. Mais elle maitrise rien. A jamais rien maitrisé. Peut pas arrêter.
Lorsque ses cordes vocales ne sont plus en capacité de continuer, le cri s’arrête et tout retombe à terre.
Elle, epuisée, tombe aussi.
Dix-sept ans, et elle regarde le plafond de son dortoir, se demandant ce qu’elle a bien pu faire de mal pour qu’il la quitte comme ça. Elle pense savoir mais est-ce que ça vaut vraiment une rupture aussi violante, humiliante ? Elle aime pas particulièrement les contacts physiques, les relations sexuelles et est-ce que c’est vraiment une raison suffisante pour la quitter ?
Elle se rend pas compte lorsqu’elle commence à pleurer. Elle se relève juste de son lit lorsqu’elle entend la porte du dortoir s’ouvrir.
“Leti… Ça va ?” Elle hausse les épaules, sachant pas trop quoi répondre à une question pourtant habituellement si simple. Leti va rarement mal. Leti est plutôt la première a répondre toujours à la positive à cette question.
Cette fois, pourtant, c’est différent. C’est pas la première fois que quelqu’un rompt avec elle et ce sera probablement pas la dernière. Mais cette fois ci, c’est particulièrement douloureux parce qu’elle trouve ça
injuste. Elle comprend que l’amour s’en aille, elle comprend le fait d’avoir besoin de nouveauté ou de changement. Mais elle comprend pas qu’on la quitte parce qu’elle préfère les baisers légers aux relations intimes.
“Je comprends pas…” qu’elle lui demande, à son amie qui l’a trouvé en larmes. La fille semble réfléchir et ne pas trouver de réponse alors qu’elle la prend dans ses bras.
“Tu sais, Leti, les filles, c’est bien aussi.” Elle la fait rire. Elle sait qu’elle l’a dit probablement exactement pour atteindre cet objectif et qu’elle ne sait pas que Leti sait. Elle sait parfaitement bien que les filles, c’est bien aussi. Assises par terre toutes les deux, la jeune fille est surprise - et peut-être même un peu contente - lorsque Leti l’embrasse.
Si seulement elle était pas seule. Si seulement elle s’était pas détachée de toutes les personnes qui pourraient l’aider dans un moment comme celui ci. Le Quidditch en premier, les relations, ensuite, c'est sa façon de fonctionner. Les amitiés importantes restent, durent, mais l’amour ? Jamais.
Dans sa chambre, son balai sur un reposoir et de la cire dans la main, elle se concentre et oublie, coupe tout le reste. Plus rien ne lui importe. Elle préfère éteindre toutes ses émotions et celle des autres membres de sa famille plutôt que de réfléchir, de penser, de ressentir.
Elle s’est excusée à sa mère d’avoir détruit son jardin si zen, si heureux, si important pour toute la famille. Elle lui a pardonné. Parce que bien sûr qu’elle lui a pardonné. Après tout, ils lui ont tous pardonné la mort d’Ayden alors que c’est affreusement de façon évidente sa faute à elle. Alors bien sûr qu’ils lui pardonent la destruction d’un jardin. Qu’est-ce que c’est par rapport à la mort d’un enfant ? D’un frère ?
Elle mérite même pas d’être ici. Elle mérite pas leur pitié, leur peine. Elle mérite pas les câlins collectifs ou les petits plats. Elle mérite pas la tristesse partagée. Non. Elle devrait être morte et Ayden vivant. Parce que si elle s’était pas retournée au dernier moment, elle aurait vu le monstre, elle aurait pu se défendre et pas forcer son frère, à jouer au
”héros”, à la protéger. La mâchoire serrée, ses mains se ressserent sur la cire à balai. Qu’elle finit par balancer à travers sa chambre quand la pression devient trop forte.
“PUTAIN !”Elle s’assoit par terre. Il lui manque. Merde, ce qu’il lui manque. Il devrait pas être mort. Puis pourquoi il est revenu ? Pourquoi il s’est pas mis à bosser ? Pourquoi il est pas resté en sécurité à Mahoutokoro ?
L’idiot.
Année scolaire 2023Hey le frère,
Tu me manques.
Et si tu me ramènes la lettre en te moquant de moi en revenant, je dénierais l’avoir écrit.
Mais c’est vrai, tu me manques. C’est moins marrant ici sans toi.
Je pensais sincèrement que je serais contente en te voyant te barrer. Puis après tout, faut bien avouer que t’as vraiment pas géré.
La blague, t’as carrément pété les plombs, hein ? Qu’est-ce qui t’as pris franchement? Une prof ? Mais à quoi tu pensais ?
Mais enfin. Si y’avait eu que ça. Sérieux, il s’est passé quoi ?
On est jumeaux et en général, j’ai plutôt tendance à te comprendre, à te connaître par coeur, mais là ? Bon, je vais pas tout te redire parce que je t’ai déjà dit tout ce que j’en pensais mais vraiment, t’as abusé. Et pour que même maman soit d’accord pour t’envoyer à Mahoukotoro, c’est que tu sais que t’as fait le con.
Enfin bon. En vrai, je suis pressé que t’apprennes ta leçon pour que tu ramènes ta poire de nouveau dans le coin. Parce que Matthew il est cool mais là, il est avec Heather la majorité du temps. Puis bon, j’ai pas la même relation avec lui que j’ai avec toi. Et c’est sans parler de Zachary, je le vois presque plus, c’est une galère. Est-ce que c’est une mauvaise chose ? Je sais pas, ça dépend des fois… Tu sais comment il est.
C’est différent sans toi.
Moins sympa.
Plus calme aussi, et ça parfois j’avoue ça fait du bien.
Mais à ce point, c’est carrément vide.
Enfin bon… J’espère que tu vas bien.
Et je vais aller me laver de toute cette sentimentalité rose bonbon parce que ça va me coller toute la journée sinon. Yikes.
Et oublie pas, je dénierais toute information transmise dans cette lettre si jamais tu penses à me les rappeler.
Ta soeur,
LetiLe balai en main, elle entre sur le terrain.
Les jours passent et la vie continue. Elle doit continuer. Elle peut pas s’arrêter. La douleur serait trop violente si elle y pensait trop. Elle serait trop violente si elle s’arrêtait ne serait-ce que quelques minutes pour réfléchir, penser, ressentir. Alors elle ferme les vannes. Elle ferme toutes ses émotions qui ne sont pas liées à ses études ou à son balai. Elle met en avant sa combativité et sa compétitivité. Elle pense rarement à sa famille, ne répond qu’à peine aux lettres de ses parents et évite le plus possible Matthew et Zachary.
Pas qu’elle réussirait à rester calme si elle les croisait de toute façon ; Matthew agit comme si de rien n’était, comme si Ayden n’était
pas mort. Il est pourtant celui à avoir essayé de ranimer un corps manifestement vide de toute âme pendant de longues minutes le jour fatal. Pas qu’elle s’en souvienne, on l’a juste obligé à écouter lorsque quelqu’un expliquait ce qu’il s’est passé.
Et Zachary la fuit autant qu’elle le fuit donc c’est pas trop compliqué.
Ses amis essayent d’être là pour elle mais elle fait tout pour ne pas être là. Et ses relations amoureuses sont de toute façon inexistantes depuis un moment. Depuis même avant le décès d’Ayden.
Elle tape le pied au sol pour s’envoler.
Et elle pense plus à rien d’autre qu’à éviter les cognards et récupérer le vif d’or. Le monde est vide autour. Plus rien n’importe. Plus rien d’autre que cette petite boule d’or aux ailes virevoltantes.
Après tout, le centre de son univers n’existe plus. Et elle n’est plus assez forte pour qu’une personne, un humain, ne prenne sa place.
Trop peur que ça recommence.
Que la mort ne lui reprenne une nouvelle personne.
Alors qu’un vif d’or ? Un vif d’or, ça meurt pas.