denial

J’avais… Refusé. Tout simplement. Je n’avais pas pu accepter, pas voulu. Je ne pouvais pas le faire. Il ne pouvait pas être partit. C’était. Non. Quand on m’avait repoussé, ça avait commencé à rentrer dans mon esprit. C’était faux et… Non. J’étais partie pendant son enterrement, j’avais été travailler, ignorant tout le monde, ignorant ceux qui pouvaient venir me soutenir. C’était impossible. Cet imbécile avait toujours vécu sa vie comme si demain serait le dernier jour. Il avait tout fait, il avait toujours été au dessus de chaque chose et il s’était fait punir par la vie. Il s’était reprit, il avait fini par revenir même si il restait un con fini, même si il continuait à faire n’importe quoi, il n’essayait plus d’être un autre, il… Il allait mieux et… Pourquoi il avait fallu qu’il… Non… Pourquoi cet idiot avait fait barrage avec son corps pour protéger Leticia, pourquoi cet imbécile n’avait pas usé du don dont il était si fier ? Pourquoi il… Pourquoi il avait eu besoin pour la première fois de sa vie d’assumer de lui-même quelque chose.

Alors non. Je… Je m’étais renfermé, passant des heures et des heures à la serre et ne réalisant même pas qu’au final je n’avais pleuré qu’une fois Ayden. Ne réalisant même pas que depuis la tentative de réanimation, je n’avais plus versé la moindre larme.

J’étais vidé, aussi bien d’émotion que de souffrance, cherchant par tous les moyens une justification. Déjà qu’est-ce qui avait pu le tuer ? Une fille avec des écailles, à d’autres… Et… Il existait bien des choses, bien des réalités dans lesquelles la mort n’était une façade. On pouvait avoir été enchanté, ça pouvait être un mirage et… Non. Il n’était pas parti. Il ne le ferait pas car ce con avait une vie à vivre. Il voulait une vie de famille, être aimé, à quel moment ce genre de rêve devait-être sanctionné ? A quel moment cette école avait pu devenir un tombeau.

Replié sur moi-même, je quittais la maison pour venir ici à n’importe quelle heure, comme ce soir, en pleine nuit, quand après être rentré dans la boutique, j’avais directement filé dans une des serres extérieurs. Je faisais des choses, mécaniques, je faisais principalement pousser du médicinale, car dans le chaos, ça restait encore la chose la plus utile et vendu en ce moment. Ça et les plantes pour dormir. Il y avait eu plus d’une vie brisée, plus d’une vie ayant besoin d’une aide que je me refusais moi-même.

Un mois. Ça faisait un mois depuis ce soir là. Un mois à refuser. Mais c’était impossible.

ft. Ted

denial

Il a fallu du temps pour me remettre du drame de Poudlard. Quand je suis enfin rentré chez moi, dans le calme de mon foyer, un peu avant Victoire, je me suis effondré et j'ai pleuré tout mon saoul. Tous ces visages, toute cette souffrance, les hurlements des proches à qui on annonce qu'ils ne reverront jamais leurs enfants, leur frère, leur sœur... Et il y avait eu le désespoir des Gimhae... De Matt. J'ai tellement détesté me faire le corbeau du malheur, celui qui le sortait de ses illusions... Je me suis recroquevillé dans la douche et j'ai pleuré tout mon saoul. C'est comme ça que Victoire m'a trouvé. Et que nous nous sommes mutuellement consolés. Elle a perdu un cousin... Elle a été forte elle aussi, mais au creux de notre appartement, loin des regards, nous avons le droit de nous laisser aller...

Et puis, il a fallu rependre le cours de notre vie. Reprendre le travail, reprendre la routine, entendre les rapports, écouter le nombre de morts, de blessés, de disparus. Même sans le vouloir, ces informations, nous les attendions... Nos nuits ont été agitées, courtes, hantées. Il y a eu des cellules psychologiques pour les médicomages aussi, mais j'ai refusé de m'y rendre, ne me sentant pas prêt à en parler, ne voulant pas montrer de faiblesse alors que je commence tout juste. J'ai besoin de tout contrôler, de faire croire que j'assume tout, que j'encaisse, que je me suis aguerri et que c'est derrière moi.

Mais après plusieurs semaines à lécher mes propres blessures, il est temps de m'occuper de celles de mes proches. A m'occuper de Matt... Je l'ai à peine vu ces dernières semaines et son regard éteint ne me dit rien qui vaille. Je crois qu'il n'a pas fait son deuil, après un mois. Je ne suis pas certain d'être le mieux placé pour l'aider dans ce processus mais... Je peux au moins lui appeler que je suis là. J'espère simplement qu'il ne m'en veut pas de ne pas avoir pu sauver son frère... Je... Je ne pouvais pas. Je ne sais pas ramener les morts à la vie... Si Ayden était arrivé vivant, peut-être qu'on aurait pu mais... C'était déjà trop tard en réalité. Je me raccroche à cette idée, mais je sais que la douleur, la souffrance, rendent totalement irrationnels et Matt aurait tous les droits de reporter sa colère contre moi, de la diriger vers moi, de trouver un coupable à ce non sans total, à la mort d'un jeune homme.

Quand je vois une faible lumière dans les serres qui se trouvent à l'extérieur du bâtiment où il nous loge, Victoire et moi, et où il travaille... Je devine que mon meilleur ami a décidé de se livrer à quelque activité nocturne pour occuper son esprit... Je prends mon courage à deux mains et me dirige vers les serres. Je rentre prudemment à l'intérieur. Cela pourrait aussi ne pas être Matt... Il y a des rôdeurs parfois. Mais non, c'est bien lui, qui s'affaire en silence. Je me gratte la gorge, pour signaler ma présence. « Matt ? » Je me sens un peu maladroit, ressentant une certaine gêne. C'est bien la première fois, mais je ne sais pas comment gérer ses émotions. J'ignore si il acceptera un câlin de ma part, si il va me repousser, me dire que tout va bien, retranché derrière une attitude de zombie... Je marche sur des œufs avec mon meilleur ami et c'est bien la première fois...

ft. Matt

denial

Rester dans ce monde, dans cette réalité était aussi douloureuse que salvatrice. Avec elle, je n’avais pas perdu un frère, avec elle, il y avait encore une solution. Une solution qui devait-être plus ou moins légale sans doute, une solution qui était quelque part, sans pour autant que je ne sache encore ou. Je devais juste la trouver. Je devais juste réfléchir, car je… Je devais réfléchir.

Comme je devais faire pousser ce qu’il manquait le plus, pas forcément pour faire du bénéfice car contrairement à beaucoup, j’avais baissé mes prix sur ces produits, m’assurant ainsi de pouvoir aider le plus grand nombre tout en maitrisant le monopole et en engrangeant donc le plus d’argent. Mais je devais le faire, car je comprenais ce qu’ils pouvaient ressentir même si je m’en refusais le droit. Le faire. Pleurer. Se lamenter, abandonner… Ça revenait à lui dire adieu. Ça revenait à l’abandonner, à nouveau, alors que je l’avais déjà bien trop fait pour mon bien, pour celui de ma famille. Je ne pouvais pas l’abandonner, il devait y avoir une explication, une raison à tout ça. Il devait y avoir quelque chose à faire.

Alors au moins, produire en masse me permettait de ne pas trop réfléchir à autre chose, juste à ce que je faisais, juste à cet inconnu que je devais résoudre et… J’avais sursauté en entendant quelqu’un se racler la gorge. Tournant presque aussitôt la tête, j’avais découvert Ted, visiblement épuisé, et… La vision de cette nuit me revient en tête, ses mots… La médicomagie avait ses limites… Il n’était pas responsable, ça serait incohérent de lui mettre ça sur le dos. Mais il avait abandonné comme eux. Au moment où j’en avais eu le plus besoin, lui aussi avait abandonner et je savais qu’en sa présence, je ne pourrais pas être irrationnel, je savais que… Qu’il voudrait me faire entendre raison sur quelque chose que je refusais. Sur quelque chose qui ne pouvait pas être réel.

« Tu devrais dormir au lieu de trainer ici. » soufflais-je conscient que son état n’était pas du qu’à de la fatigue, sachant que j’aurais du être là pour lui, conscient que j’aurais dû être la voix de la raison, celle qui pourrait le rassurer et être la pour lui alors que la réalité le blessait, mais je n’y arrivais pas. Je n’avais pas pu, en grande partie car j’avais peur de détourner ma colère vers lui et… J’avais abandonné Ayden trop de fois, je ne devais pas l’abandonner ici, quand bien même je devenais le pire meilleur ami du monde. « J’ai de la passiflore et de la valériane séchée sur le comptoir, tu peux en prendre pour des tisanes. », j’étais plus froid, plus mesuré et surtout j’avais rapidement détourné le regard, j’avais rapidement fait autre chose pour ne pas à avoir à l’affronter.

ft. Ted

denial

« Je ne trouve pas le sommeil. Et je ne suis pas le seul. » Je réponds du tac au tac, tout en le fixant. Ce mur qui s'est installé entre nous me tue. Mais je ne peux pas continuer à jouer l'autruche et attendre qu ça passe. Qu'il revienne vers moi comme si de rien n'était. Parce que même si il n'a pas encore intégré le décès de son frère, il a changé. Son inconscient se bat contre ses envies. Je soupire quand il me propose quelques plantes. « Pas la peine, j'ai ce qu'il faut, mais cela n'empêche pas le cerveau de cogiter... Et les cauchemars de m'assaillir. » Et ils sont nombreux... Tous ces visages aux yeux sans vie, parfois avec des rictus de douleur... Ces hurlements, ces pleurs, ces familles endeuillées... Mais le pire est sans doute d'avoir du annoncer à mon meilleur ami que son frère ne reviendrait pas... « Matt, je... » Je quoi ? Je suis désolé de pas avoir pu sauver ton frère ? Oui, évidemment, mais il était déjà trop tard et je ne sais pas ressusciter les morts, personne ne le sait.

Alors finalement, je m'approche juste de lui pour l'enlacer et simplement chercher son étreinte, sa chaleur... j'ai envie de l'aider, mais j'ai aussi besoin, très égoïstement, qu'il m'aide. « Mon meilleur ami me manque... » Ma voix tremble. Je suis rarement celui qui initie les contacts physiques. Ça c'est son truc. Mais cela fait un mois qu'il n'est pas venu me voir, un mois qu'on ne fait que se croiser et échanger des banalités dans une atmosphère gênée. Il est en deuil, je le sais, mais j'ai aussi vécu des choses difficiles. Il m'inquiète. J'ai l'impression qu'il fait le vide autour de lui, alors que sa lumière s'est totalement éteinte.

« Je suis désolé... Vraiment. Si j'avais eu le pouvoir de le sauver, je te jure que j'aurais tout fait pour y parvenir... Et cela me hante. J'ai... Tu m'en veux n'est-ce pas ? Tu m'en veux de ne pas m'être battu même si c'était trop tard ? » C'est le sentiment que j'ai et de façon irrationnelle, je m'en veux aussi énormément. Même si je n'y pouvais rien. Ce n'était pas comme Mee-Na, qui était très blessée, mai vivante quand je l'ai prise en charge. Ayden, oui... Même si le massage cardiaque avait fonctionné, il aurait été changé à jamais, son cerveau privé d'air depuis très longtemps. Parfois, il faut savoir laisser faire le destin...

ft. Matt

denial

J’avais du mal, j’étais… J’étais avec mon meilleur ami, mais incapable de pouvoir voir les choses, incapable de pouvoir voir autre chose que son abandon. J’avais eu besoin d’une chose qu’il n’avait pas pu me donner, qu’une chose qu’il avait pas accepté de faire. Je préférais le silence pour éviter de dire des choses que je pourrais regretter, des choses qui pourraient nous séparer. Et… Il me prit dans ses bras, me tendant presque aussitôt, malgré moi. Son meilleur ami lui manquait… Et moi j’étais incapable de supporter ce contacte… On était dans une impasse, une impasse qui le poussa à être désolé de ne pas avoir si le sauver, qu’il aurait tout fait, mais… Est-ce que je lui en voulais de ne pas s’être battu pour mon frère ?

Me dégageant un peu froidement de son étreinte, j’avais remis une distance entre nous, une distance pour ne rien dire de malheureux, pour ne rien dire qui pourrait nous séparer pour de bon tant j’avais envie de maudire le monde. Ils avaient tous abandonnés alors qu’il était évident que ce n’était pas possible, qu’il y avait une raison à tout ça. « Je… Je préfère rien dire que je pourrais regretter. » grondais-je donc en reprenant ce que je faisais, mais à distance, alors que j’essayais de ne pas y penser, alors que j’essayais de ne pas me concentrer dessus. « Mon frère me manque. » tonnais-je, comme pour souligner que c’était passablement plus important, une raison assez importante pour avoir autre chose à penser, pour me concentrer sur celui que j’avais abandonné et celui que je devais aider.

Il devait être quelque part, je devais juste trouver où. Je devais juste trouver, réfléchir à ce qu’on avait pu manquer, à ce qui nous avait échappé, mais je ne pouvais pas le faire avec une ombre, pas quand on rodait, pas quand… Je ne pouvais pas prendre en charge la peine d’un autre quand la mienne me semblait encore si franche, si brutale. Non. Il devait… Il ne devait pas compter sur moi car je ne pouvais pas compter sur moi non plus. Pas tant que je n’aurais pas de réponse.

ft. Ted

denial

Le rejet me fait davantage mal que je l'aurais pensé. Je m'y étais préparé. Cela faisait des semaines que je cherchais le courage pour l'affronter et pour me prendre sa colère dans la face. J'avais bien remarqué qu'il n'avait pas voulu abandonner, contre toute raison d'ailleurs. L'incrédulité dans son regard, la douleur de la réalité, qui se battait avec le déni... Il était en grande souffrance, et je n'étais pas là pour lui. Comment le pourrais-je alors qu'il ne me demandais rien, alors qu'il ne supportait même pas de me toucher ? Qu'il ne voulait aucune proximité avec moi ? C'était toujours lui qui initiait les câlins, qui le grimpait dessus sans vergogne, qui plaisantait sur notre bromance.

Mais en cet instant, j'ai juste l'impression que quelque chose s'est brisé et qu'il ne sera pas possible de recoller les morceaux...

Et c'est une douleur que je n'ai encore jamais expérimenté... La défiance de la personne qui sait tout de vous, qui vous connaît par cœur, que vous aimez plus que tout.

Il argue qu'il préfère se taire que de dire des choses qu'il pourrait regretter... Avant de me rappeler que son frère lui manque, comme si je n'en avais pas conscience... maintenant, j'ai plusieurs choix... Le laisser se complaire dans sa douleur, le laisser stagner comme ça... Ou le pousser un peu au cul qu'il se réveille et continue à vivre, malgré le drame. Et il me détestera encore davantage pour ça... Mais je me suis préparé à le perdre, si cela lui permet de se retrouver et de continuer sa vie. Je tiens plus à lui que je ne tiens à notre amitié. « Je sais. Comme il manque à ta famille, à son frère, à sa jumelle... » Cela devait être encore plus horrible pour elle en réalité. « Tu peux pas continuer comme ça Matt... Tu peux pas ressasser encore et encore ce qu'il s'est passé et penser que cela aurait pu se passer autrement. On n'a pas le pouvoir de contrer les événements et tu vas juste virer taré à repenser à ça et à comment changer le cours du destin. » Je prends une inspiration, je verrouille mon cœur autant que possible, je me tends, parce que je sais que la réplique va être violente, verbalement, ou même physiquement. Je m'en fous. Je veux une réaction. Tout plutôt que cette putain de coquille vide. « Tout ce que je vois quand je te regarde, c'est du vide... Qui se nourrit de ta rancœur, de ta colère, du profond sentiment d'injustice que tu ressens... Pourquoi lui ? Et pourquoi tous les autres ? » Parce qu'il n'y a pas que lui qui as perdu un proche, loin s'en faut, même si sa douleur le rend égoïste et c'est bien normal. Je me sens odieux de lui parler ainsi, mais s'il refuse la manière douce et le réconfort que j'étais prêt à lui apporter, alors que je vais lui secouer les puces. Qu'il déverse tout ce qui est en train de l'empoisonner.

ft. Matt

denial

J’essayais vraiment de conserver un certain niveau de contrôle, mais Ted semblait d’être mit en tête de me provoquer, de me maintenir sous l’eau. Il ne pouvait pas continuer, il ne pouvait pas ressasser, imaginer que ça aurait pu se passer autrement. On avait pas de pouvoir, modifier le destin… « Il y a pas de destin. » soufflais-je dans un premier temps avant qu’il ne reprenne en affirmant qu’il voyait du vide en me regardant. Un vide qui se nourrissait de ma rancoeur, de ma colère, de l’injustice que je ressentais. Quant aux deux autres questions… « Je m’en fous des autres. » tonnais-je avec froideur avant de taper sur le plan de travail. Laissant ma colère pulser.

« Et je m’en fous de ce que tu penses. De combien ça peut te faire mal. Je m’en fous de tout, sauf de lui ! » repris-je en tremblant un peu, « Vous l’avez tous abandonné. Sa famille et toi. Vous l’avez abandonner ! Alors j’en ai rien à foutre que vous ayez besoin de moi ou qu’on soulage vos consciences. Vous l’avez abandonné… Je vais pas le faire… Je peux pas le faire… Je l’ai trop fait cette année… Je peux pas en plus l’abandonner là… », secouant la tête, je réfléchissais à nouveau, je pensais à ce qui avait pu m’échapper, à combien j’avais pu passer à côté de quelque chose. J’étais pas arrivé à temps, je n’avais pas prit de risque pour lui.

« J’ai pas de temps pour toi… Je… Je dois trouver Ayden… Vous l’avez tous enterré, mais… Ayden n’est pas mort… Je dois juste le trouver… » et comprendre pourquoi on pouvait vouloir nous le cacher, pourquoi vouloir faire ça… « Ce con avait trempé dans des sales affaires avant tous ça… Il avait des dettes… Quelqu’un doit vouloir de l’argent… », et c’était plus probable dans ma tête que le fait qu’il soit mort. Plus probable qu’on veuille s’en prendre à une fortune comme la notre quand il était évident qu’on était soudé et lié, qu’on pourrait se vendre pour les autres. Et c’était toujours plus tangible que ce qu’ils voulaient tous entendre, tous croire. « Alors Ted… Laisses moi tranquille… », il devait me laisser faire, avec mes pensées, il devait vraiment me laisser tranquille. Me laisser le retrouver et m’apaiser. Car c’était la seule chose qui devait me préoccuper. Mon frère, sa survie, le fait d’être quelque part, sans personne pour l’aider. Je devais trouver Ayden, mais je ne pouvais pas… Être en deuil. Je l’abandonnerais.

ft. Ted

denial

Son entêtement épuise mes réserves de patience. Je le vois dériver et je ne sais pas comment le ramener dans le droit chemin. Je déteste être aussi impuissant. Je ne pensais pas m’opposer un jour à mon meilleur ami… Pas de cette façon, pas parce qu’il est juste incapable d’intégrer une information aussi simple qu’horrible : son frère est mort. Cela fait déjà un mois. Il a vu son corps. Il a vu son incinération. Et pourtant… Il est coincé dans la première phase du deuil. Bordel, je veux sa colère, je veux ses larmes, je veux une réaction de sa part, mais pas ce déni qui me rend complètement dingue, qui me culpabilise, contre toute raison, alors que je sais pertinemment que je ne pouvais rien faire pour sauver son frère, même le meilleur médicomage du monde n’aurait pas pu… C’était de la nécromancie qu’il aurait fallu, de la magie noire puissante et je doute fortement qu’Ayden aurait aimé être ramené sous une forme avilie…

J’ai un léger sursaut quand il frappe le plan de travail, surpris par la soudaine violence de sa réponse. Il parle d’abandon, il n’a que ce mot à la bouche, mais ce n’est pas tant le fait d’avoir laisser tomber la réanimation d’un cadavre qui le ronge, mais qu’il est pétri de culpabilité de pas avoir su être là quand il était vivant et qu’il en avait vraiment besoin. Matt mélange tout et cela ne rend que le deuil plus difficile. La culpabilité est en train de le bouffer. Mais la suite me fait vraiment peur… Je dois perdre les quelques couleurs qu’il me reste quand il dit qu’il n’est pas mort, qu’il est sans doute quelques part… Oh wow… Il me fait quoi là ? « Mais tu t’entends parler ? Tu as vu son corps. On l’a tous vu. Il est mort, Matt et il n’y a absolument aucun monde où cette vérité pourrait être autre. Il n’y a pas de subterfuge, il n’y a pas de machination… Il n’y a que cette putain d’école qui s’est effondrée, qui a entraîné des innocents dans sa chute, dont ton frère, alors arrête tout de suite de songer à une autre réalité. Il n’y en a pas. Il est mort et il ne reviendra pas ! » Je serre les poings, ayant une forte envie de le secouer comme un prunier, mais j’ai peur que cela ne fasse qu’envenimer les choses et qu’on en vienne aux mains, alors je préfère rester à une certaine distance, ce qui ne m’empêche pas de continuer, impitoyable : « Tu te trompes de combat Matt. C’est pas maintenant qu’il faut refuser de l’abandonner. C’est pas maintenant qu’il faut jouer le grand frère protecteur. » Je sais que mes paroles sont violentes, mais merde, il dit n’importe quoi ! « C’est quoi ton problème ? Tu t’en veux qu’il ai vrillé ? Tu t’en veux de pas avoir su l’empêcher ? Vous avez fait ce que vous avez pu pour lui. Et c’est pas parce qu’il est mort qu’il faut oublier qu’il était humain et qu’il a fait de sacrées conneries. Cela ne diminue pas l’amour que vous aviez pour lui, mais arrête de te mettre en tête que tu as pas été là pour lui. »

ft. Matt

denial

Dire qu’il était brutale était un euphémisme. Il appuyait sa mort, le fait qu’il ne pouvait pas y avoir d’autre vérité, il n’y avait pas d’autre explication que celle de sa mort, avec d’autres, durant la chute de l’école. Il était mort, il ne reviendrait pas. Comment il pouvait seulement me dire ça en face ? Reprenant que je me trompais de combat, il dit une chose qui me poignarda presque. Affirmant que ce n’était pas maintenant que je devais jouer les grands frères protecteurs. Il… « Je l’ai toujours protégé ! », grondais-je en envoyant balader ce que j’avais sous la main. « J’ai… J’ai juste… J’ai toujours protégé Ayden… », j’avais juste perdu le fil à un moment et…

Mon problème ? Est-ce que je m’en voulais qu’il est villé ? Est-ce que je m’en voulais de ne pas avoir pu l’empêcher ? On avait fait ce qu’on pouvait pour lui, mais il était humain, il avait fait des conneries, sans que ça n’affecte notre amour, mais on avait certainement pas pas était la pour lui… On avait loupé son dérapage, on avait loupé le fait qu’il sombrait clairement. « Ça serait plus simple pour toi que mon frère soit mort ? » demandais-je d’une voix blanche, les bras tendus sur mon établi. « Ça serait plus simple que je fasse mon deuil pour prendre en compte combien ça a été difficile pour toi ? Ça serait plus simple que j’accepte la grande vérité pour toi ? » levant un regard noir sur lui, mon corps tremblait.

« On a pas été là ces derniers mois… On a pas comprit à quel point il allait mal… Alors merci pour ta compassion… Mais je vais faire le deuil de mon frère sans toi. », je n’avais pas franchement l’envie de faire le point, pas l’envie d’encaisse ça maintenant. Il… Il savait ce qu’il disait, c’était même une certitude, mais est-ce que je pouvais l’entendre ? C’était trop difficile pour moi. Je ne pouvais pour le moment. Je… J’avais besoin de souffler. Je ne pouvais pas être là, je ne pouvais même pas vraiment tirer un trait sur lui, sur vie. C’était… Injuste, mais ce qui l’était d’autant plus c’est de devoir l’accepter. « Ferme en sortant. » soufflais-je finalement, incapable de faire la balance, incapable de la voir.

J’avais préféré disparaître. Quitter la serre et ce qu’elle pourrait impliquer.

ft. Ted

denial

« Alors qu'est-ce que tu te reproches ? » Je réponds un peu plus calmement après qu'il se soit emporté, au point de tout foutre par terre. J'ai du mal à le comprendre en ce moment... Certes, je n'ai jamais perdu de frère ou de sœur, ou même de proche, du moins pas quand j'étais en âge de comprendre ce que la mort signifiait. Je n'ai pas eu d'attachement pour mes parents, je n'en ai pas eu le temps. J'ai toujours vécu sans eux... Je n'ai pas eu à apprendre à le faire comme ils vont devoir le faire. Comme Matt va devoir le faire...

Mais je cille quand il me demande si ce serait plus simple pour moi qu'il soit mort, ne comprenant pas tout de suite ce qu'il veut dire par là... Il EST mort. Ce n'est pas une question que le veuille ou non, que cela m'importe ou pas. Ou que ça m'arrange. « Ce serait surtout plus sain pour TOI. Matt, c'est limite pathologique là... Je m'inquiète pour toi. Et j'ai peur pour toi. Je te vois sombrer et je ne sais pas comment te rattraper... Je ne peux pas te suivre dans tes délires... » Je ne peux pas le laisser dans son déni, sans cette spirale qui ne lui apportera rien de bon...

« Que vous ayez été là ou non n'aurait rien changé à ce qu'il s'est passé alors pourquoi le ressasses-tu... » Je murmure. La culpabilité l'écrase, je ne vois que ça. A-t-il peur qu'Ayden soit mort en se pensant vraiment abandonné de toute sa famille ? Je ne sais pas si ils l'ont trouvé mort ou si il est mort devant eux, je n'ai pas vraiment demandé les détails, c'est assez traumatisant comme ça. Mais je suppose qu'on doit éprouver de la culpabilité, qu'on ai été là mais impuissant, ou qu'on ai été absent et qu'on ai laissé un être aimé s'éteindre seul... Je sais gérer cela en théorie. Mais pas avec Matt. Je n'ai rien à me reprocher sur la prise en charge d'Ayden. « Ma compassion ne fonctionne pas, tu m'as repoussé. T'ouvrir les yeux non plus... » Ma voix s'enroue. Je suis démuni.

Il me congédie simplement et je sens une boule se former dans ma gorge. Mais je résiste. « Tant que tu le fais... Tu sais où me trouver si tu as besoin. » Même si je doute qu'il n'a plus envie de me voir... Est-ce que notre lien s'est brisé définitivement ? Je sens les larmes monter à mes yeux et je me détourne, prêt à sortir comme il me le demande, je refuse de m'effondrer devant lui, pourtant quand j'ouvre la porte, je laisse échapper une dernière phrase : « J'espère au moins que gérer à ta façon, aussi discutable soit-elle, allège un peu ta douleur. Je suis désolé Matt. » Qu'il souffre, et que je ne sois pas en mesure de le soulager. Il ne veut pas me parler, il ne veut pas se confier et c'est bien la première fois depuis qu'on se connaît, depuis qu'on est si proches... Je referme la porte derrière moi sans me retourner. Je ne remonte même pas à l'appartement, je vais juste errer dans Pré-au-Lard, avant de me laisser glisser contre un mur dans une petite ruelle, le cœur fracassé et les larmes m'étouffant.

Mon meilleur ami sombre et je ne peux que le regarder couler.

ft. Matt