Madame Carter,

Je vous écris aujourd'hui car je désirerais solliciter un rendez-vous auprès de vous, en tant que psychomage de l'école de Poudlard.
En ma qualité de préfète de Serdaigle, j'aimerai vous proposer un projet qui me tient à cœur, concernant le bien-être des élèves, mais j'ai besoin de vos conseils et de votre concours pour le mettre sur pied. Bien entendu, il est tout à fait clair qu'après votre accord, il me faudra obtenir celui de ma directrice de Maison, mais je ne voulais pas lui parler de mon idée sans avoir d'abord recueilli votre assentiment.

Je vous remercie d'avance de me consacrer de votre temps,

Agnela Wellington
Préfète de Serdaigle de 6ème année.

Agnela descendit l'escalier sans précipitation. En ce samedi matin, elle se sentait emplie d'une grande appréhension. En vérité, elle s'était sentie très sotte, à peine sa lettre envoyée, et plus bête encore alors que l'adulte avait accepté, et fixé un rendez-vous.
Elle s'était brusquement demandé de quel droit elle pouvait se permettre de telles initiatives ; mais il était trop tard pour faire marche arrière.

Alors, la jeune fille avait laissé passer les jours, en écrivant tout ce qui lui venait à l'esprit pour mieux ordonner ses pensées le moment venu. Elle avait d'abord craint de mal dormir, la veille au soir - mais l'adolescente n'en avait rien fait. Son sommeil avait été profond et paisible, et la moscovite s'était levée tôt pour méditer dans les jardins de l'école. Son entrainement à l'occlumencie lui avait enseigné à mettre de côté les sentiments parasites et à se calmer, et ce fut dans cet état d'esprit, enthousiaste, mais presque apaisée, qu'elle frappa enfin à la porte de bois du bureau de Miss Carter.

Elle ne put s'empêcher de rougir en serrant ses parchemins dans sa main - mais le dos droit et le regard déterminé, elle tacha à nouveau de ralentir un peu son rythme cardiaque.

Enfin, la porte s'ouvrit, et l'adolescente lissa la robe bleu et argent, à l'élégant col carré de dentelle, dans une dernière tentative pour se rendre présentable. Elle n'avait pas de doute sur son apparence soignée - Agnela savait sa tresse ornée d'un ruban sévère mais impeccable - mais il était difficile de garder confiance en soi alors que l'on prenait une telle initiative.

- "Madame Carter ? Je suis ravie de vous voir... Je suis Agnela Wellington. Merci de me recevoir !"

En esquissant son plus joli sourire, la fille de l'ambassadeur russe inclina sa tête, raidit un peu ses épaules, en s'apprêtant à pénétrer dans la pièce.
A nouveau, elle se demanda quelle folie l'avait prise. Elle n'avait encore parlé de son projet à personne, bien décidée à ne pas se ridiculiser si la psychomage lui refusait son aide ; mais elle avait conscience de la vanité de son entreprise. Qu'est-ce qui assurerait son interlocuteur qu'elle était seulement capable d'écouter et de conseiller ceux qui se présenteraient ?

Et pire encore, que se passerait-il si personne ne venait ? Que les élèves se moquent d'elle ?

La gamine déglutit, essaya de ravaler ses doutes et ses craintes ; et s'avança à pas lents dans le bureau confortable de l'adulte.

La jeune fille esquissa un sourire plus chaleureux.

La psychomage avait le don de mettre chacun à l'aise, et Agnela n'y faisait pas exception. Elle s'avança dans le bureau clair et décoré avec goût, posant son regard clair sur les bibelots, puis sur le thé et les gâteaux disposés en évident.

Elle s'assit docilement, serrant brièvement son dossier contre elle, avant de le déposer sur le bois clair, en forçant sa respiration à à se faire lente et régulière. Ce projet n'avait grande importance de toute manière ; mais il comptait à ses yeux. C'était la première initiative qui ne lui avait été dictée ni par sa famille, ni par une quelconque ambition. Cela émanait simplement d'elle, et développé grâce aux encouragements si doux de son cousin, qui la soutenait toujours, quoi qu'elle fasse.
Parfois, elle en venait à penser que lui seul l'aimait réellement pour ce qu'elle était, qu'il serait toujours là, qu'elle devienne juge ou femme au foyer.

- "Oui, volontiers, madame. Merci."

Elle aimait cet endroit, paisible, calme et un peu à l'écart de la frénésie du château.
L'adolescente la regarda se verser une tasse, puis, enfin, ouvrit son dossier à la première page. Elle avait prit soin de souligner son titre avec son encre doré, et Adraste avait dessiné, à l'encre, une jolie salle avec des rideaux, une petite table garnie de fleurs, et deux sièges soigneusement rembourrés d'une garniture de coton à volants de dentelle.

Nerveusement, la moscovite se tapota la bouche, rougit un peu avant de se jeter finalement à l'eau, les épaules naturellement droites et les yeux brillants.

- "Voyez-vous, je viens d'être nommée préfète. C'est un grand honneur, et je voudrais en être digne. Je me disais qu'il y avait des élèves qui n'osaient pas forcément vous voir, parce que c'est impressionnant d'aller voir la psychomage. Et parfois, aussi, les parents ne sont pas d'accord que l'on vous voie, parce que c'est... humiliant à leurs yeux. Enfin, je me suis dis que je pourrais peut-être ouvrir une heure ou deux un espèce de salon de discussion avec les autres élèves qui auraient besoin de parler. Ce n'est pas facile d'entrer à Poudlard... on doit quitter sa famille, ses parents, toutes nos habitudes. Et on se souvent seuls. De même, si quelqu'un se moque de nous, j'imagine que cela pourrait faire du bien d'en parler à une élève qui pourrait... être moins impressionnant ? Je me suis dis que ce serait logique de vous en parler..."

Agnela baissa les yeux. Elle se rendait bien compte que l'adulte pouvait se fâcher, qu'elle pouvait mal le prendre. Qu'elle se comportait de manière très vaniteuse aussi. Comment pouvait-elle faire mieux que la psychomage ?

Mais elle ne le pensait pas. Ce n'était pas son but, loin de là. Et comment le pourrait-elle ? Elle n'avait que seize ans !

- "Je-je ne peux pas vous remplacer. Mais je... je me base sur ma propre expérience. Quand je suis arrivée à Durmstrang, quand j'avais 11 ans, j'ai eu du mal à m'adapter. Mais cela m'aurait été plus simple avec une amie à qui parler. Et je pourrais facilement signaler les cas de harcèlements ou si mon camarade a un vrai problème.... C'est mon rôle, désormais, de pouvoir y veiller. Je le prends très au sérieux, vous savez."

La Serdaigle fit une pause. Elle but une gorgée de thé, plus calme - elle n'avait rien à perdre après tout - et finit par rajouter d'une voix douce :

- "Que ... Que pensez-vous de mon idée ?"

Agnela se détendit un peu plus devant l'expression lumineuse et paisible de son interlocutrice. Bien que sa posture restât très droite, elle n'était plus aussi figée qu'en arrivant.
C'était bien une psychomage après tout : une personne en qui l'on pouvait avoir confiance, et qui vous comprenait même si votre discours était un peu embrouillé.

La moscovite était également rassurée que l'adulte ne prenne pas ombrage de son projet. Elle n'aurait pu rêver meilleur accueil ; et se sentait très touchée par autant de compréhension. Il était rare de rencontrer de la douceur et de la prévenance, et elle ne put s'empêcher de lui offrir un sourire ravi et empli d'espoir, pour une fois en entier accord avec son cœur.

Elle prit le temps de boire sa tasse de thé, qu'elle avait accepté en la remerciant à mi-voix, profitant de cet instant pour récupérer un peu de sérénité.

Le compliment de madame Carter la fit rougir, et elle termina son thé, les yeux baissés. Elle n'était pas du tout extraordinaire ; mais elle savait juste qu'elle voulait prendre des initiatives pour rendre la vie d'autrui un peu plus belle. C'était son devoir après tout, non ? Par ailleurs, son interlocutrice était de son avis, mais la question qu'elle lui posa la fit réfléchir quelques instants. C'était bien d'une psychomage de provoquer ce style de réflexion ; mais Agnela n'était pas contre. Cela lui semblait légitime d'expliquer ses intentions, mais aussi ce qui la poussait à agir.

Pourquoi proposait-elle réellement de créer ce salon de discussion ? Pour sa gloire ? Pour sa famille, pour son le nom dont ils étaient les malheureux héritiers ? Pour les élèves, purement et simplement ?

Mécaniquement, elle froissa le tissu de sa robe entre ses doigts crispés, laissa échapper un soupir, ses yeux clairs emplis d'une lueur pensive.

- "Je pense que c'est mon devoir de préfète. Peut-être que les autres se contentent d'être des personnes qui font respecter le règlement, mais nous sommes aussi des élèves qui prenons des responsabilités pour que l'ordre et le bien-être règne pour chacun. Je crois que suivre la loi permet à tous un traitement juste, et je n'aime pas voir les autres souffrir, madame Carter. Si je peux prendre une matinée pour eux par semaine, je le ferai avec plaisir. On s'occupe de ceux qui font du bruit en manifestant bruyamment leur mal-être, mais ceux qui ne disent rien sont souvent tous seuls. Ce n'est pas forcément ce que j'ai vécu, même si je n'ai pas aimé passer ma première année à Durmstrang. C'est juste... qu'ils pourraient en avoir besoin, au cas où."

La Sang-Pur se tut brièvement. Elle n'était pas entièrement honnête, et il était important de l'être jusqu'au bout.

- "Je dois dire aussi que ma famille est très exigeante. Il faut avoir les meilleures performances, et les meilleurs résultats. Je suis heureuse que mon père et mon oncle, le professeur Wellington, soient contents de moi, et ils l'ont été quand je suis devenue préfète. Mais je crois qu'ouvrir un salon de discussions pour les élèves en difficultés ne les intéressera pas beaucoup, alors je suis sûre de ne pas le faire pour eux. Mais... je suis une Dolohov, même si on préfère le cacher avec un nom de famille anglais. Je crois que ... je voudrais oublier le passé horrible de ma famille, et de casser pour de bon cet affreux cercle de violence et de souffrance qu'ils ont infligé à autrui. Je voudrais devenir quelqu'un d'autre, montrer que les Dolohov sont capables d'avoir ... d'être différents. Je ne veux pas renoncer à ce nom, parce que... je voudrais qu'il devienne un nouveau symbole. Et je sais qu'il faut en faire les preuves. Je veux mener la vie la plus honnête et la plus correcte possible."

C'était étrange d'avoir prononcé ces mots, de les avoir formulé de manière si claire. Ses intentions étaient entièrement pures, mais qui sait ce qu'en dirait la psychomage ?
Et presque sans s'en rendre compte, la jeune fille reprit la parole une troisième fois.

- "Madame Carter, j'ai besoin de conseils sur la manière dont je devrais m'y prendre avec les autres enfants. Est-ce qu'il y a des techniques théoriques dont je devrais avoir connaissance ? Des règles indispensables peut-être ? Je voudrais faire ma tâche le mieux possible. Je sais que c'est un métier à part entière... Oh, et concernant le dessin, ce n'est pas moi qui l'ait fait. C'est mon cousin, et il est bien plus doué que moi avec de l'encre et une plume. Il a accepté de m'aider quand je lui ai parlé de mon projet. C'est le seul, à part vous, qui est au courant."

Donner une bonne image de sa famille était-il si compliqué ?

Agnela le savait déjà. Si son grand-père avait choisi le nom de sa femme, c'était parce que le nom des Dolohov était un fardeau terrible. Bien que cela ne trompât personne, il s'agissait de mettre le passé derrière eux, de le rejeter, et de se tourner vers le futur. Et elle, simple adolescente de seize ans, se sentait le droit de rejeter leur décision ?

Mais elle était la descendante d'un monstre. Il ne servait à rien de nier la vérité ; mais elle voulait démontrer au monde que la perversion et l'ignominie ne coulait pas dans les veines. Peu importait ce que les gens diraient d'elle - elle resterait droite et pure, et ses actes parleraient en sa faveur.

Sagement, la naïve moscovite hocha la tête aux propos de la psychomage. Elle aurait voulu rajouter des choses, lui parler, mais son interlocutrice continuait de parler. C'étaient des propos intelligents et emplis de sagesse, qu'elle eut à peine le temps de déployer un parchemin et de tremper sa plume dans l'encrier du bureau de l'adulte.
Elle griffonna avec frénésie pour s'assurer de tout bien noter, de se rappeler des moindres de ses conseils, et finit par redresser sa tête doucement, la main un peu douloureuse.

- "Madame Carter... Est-ce que si j'indique à l'autre élève où il peut aller se faire aider, c'est suffisant ? Je ne crois pas que ce serait trop m'impliquer, n'est-ce pas ? Je pensais aussi vous alerter, ou les directeurs de maison, si on me dit des choses trop graves. Je ne prétendrai pas à la confidentialité, ou... Je ne sais pas si en partageant les informations, ça compte ou non. Je ne pense pas que je changerai le monde avec un salon de discussion... Je ne veux pas... les soigner... juste pouvoir leur offrir une oreille attentive."

Elle se gratta la tête. Clairement, elle n'était pas une sauveuse. L'idée même la gênait un peu - elle voulait devenir Juge plus tard, mais pas médicomage, ou Auror.

Elle ne sauverait personne, sinon les méchants qu'elle mettrait en prison.

- "Je... Est-ce que vous croyez que ce que je fais est trop vaniteux ? Je sais que je ne suis qu'une élève. Je ne peux pas faire grand-chose... je ne maitrise pas mon destin, avec mon père me pariera, ou le nombre d'élèves qui viendront, et seront heureux d'avoir pu parler. Tout ce que je peux faire, c'est choisir d'obéir aux règles et de me laisser guider par la morale, madame Carter. Je crois que c'est important de faire ce qu'on peut pour aider autrui. J'essaierai de faire de mon mieux, mais j'ai un peur de mal faire. Je serais ravie de collaborer avec Aurora, bien sûr."

L'adolescente réfléchit quelques secondes, les mains calmement posées sur ses genoux.

- "Je suis occlumens. Je m'entraine depuis des années déjà à contrôler mes émotions. Je me servirai de mes exercices pour me détacher de ce qu'on me dira. Je suis très touchée de votre confiance et de votre accord, je dois dire. Je crois... qu'on est ce qu'on décide. je .. je peux vous poser une question ? Vous n'êtes bien sûr pas obligé de répondre, mais... pourquoi est-ce que vous avez choisi le métier de psychomage ? Ce ne doit pas être facile tous les jours de voir la détresse... Vous avez beaucoup de courage. Moi, je pensais ne le faire qu'une matinée par semaine. Mon père ne serait pas d'accord si ça empiétait sur mes études."

Agnela avait conscience d'être un peu intrusive, de créer un lien, ce faisant, qui n'était pas tout à fait celui d'un professeur envers son élève ; mais après tout, elle n'était ni sa patiente, ni réellement son mentor. Et il fallait dire qu'elle était heureuse de connaitre ce type de relation amicale avec un adulte. Cela changeait des adolescents qui avait parfois du mal à la comprendre.

Tranquillement, la Sang-Pur russe, porta sa tasse de thé à ses lèvres, puis soupira de bonheur et de plaisir. Elle qui aimait la tranquillité se sentait réellement à sa place dans ce bureau. Quelle merveilleuse sensation !

L'adolescente hocha lentement la tête.

Les propos de la psychomage étaient intéressants et logiques : elle ne pouvait pas entendre n'importe quoi sans rien faire, et devrait pousser les jeunes à aller avouer. A défaut, il faudrait les dénoncer ; mais uniquement en cas d'actes graves qui lui étaient confié.
Il faudrait passer sur les petites infractions, ce qui était également normal : les élèves devaient se sentir en sécurité près d'elle, comme auprès de la psychomage.

Agnela était parfaitement consciente qu'il s'agissait là d'une lourde responsabilité, qu'elle s'engageait dans une longue aventure qui ne serait probablement pas sans heurts. Mais elle se sentait enthousiaste et heureuse de son projet, et, désormais, elle était prête à passer à la réalisation.

C'était quelque chose d'excitant, et elle esquissa un grand sourire ravi et sincère.

- "Je vous remercie infiniment pour votre patience, madame Carter. Je vais aller m'adresser à Aurora pour la suite, mais je me demandais si nous pourrions organiser de brefs rendez-vous pour que je vous fasse un rapport, ou si c'est un peu compliqué à gérer ? Je sais bien que vous êtes très occupée, madame, alors je ne voudrais pas trop prendre de votre temps."

Elle n'avait pas envie de parler de sujets trop personnels, comme ses relations tendues avec le professeur Dolohov - mais il lui serait dur de ne pas céder si elle se retrouvait trop en confiance avec la psychomage. Cette dernière avait l'air si douce et gentille, surtout en comparaison avec la plupart des professeurs qu'il ne serait pas facile de ne pas se laisser aller.

- "Au fait... J'ai une dernière question, madame Carter. Est-ce que je pourrais avoir un budget de quelques noises par semaine pour décorer la pièce ? Avec des fleurs, mettre des bonbons et des posters, par exemple, histoire de rendre l'endroit convivial et agréable ? Ou est-ce que vous croyez que je devrais me débrouiller autrement ?"

La question d'un petit budget lui semblait important. On rentrait dans les détails, certes ; mais il fallait être sérieux dans cette histoire comme dans ses devoirs. Question de responsabilité !