Le réveil fut difficile en ce samedi matin agréablement frais. Encore des cauchemars, pour ne pas changer. Je me demandais s’il m’arriverait de passer une nuit tranquille. Déjà, le seul fait de m’endormir relevait du défi. Et quand je trouvais enfin le sommeil, c’était pour revivre encore et encore ce jour terrible où Elizabeth me quitta. A la manière d’une punition, comme pour me rappeler chaque jour que tout était de ma faute. Sa simple absence suffisait à alimenter ma culpabilité…

Malgré tout, depuis que je travaillais à Poudlard, j’apprenais à laisser mon tourment de côté, enfermé dans une partie de mon être que je cachais au monde. Une boîte que j’ouvrais inconsciemment dès que je retrouvais le silence de mon appartement, à la nuit tombée. La journée, à partir du moment où j’enfilais ma blouse de médicomage, seul le bien-être des gens qui passaient la porte de l’infirmerie comptait pour moi. Et ce, même lorsque j’œuvrais en dehors de mes heures de travail. Comme ce matin.

Après ma rencontre avec Engel Turner la semaine dernière, j’avais rapidement fait en sorte de me procurer tout le nécessaire à la préparation de la potion Tue-Loup, non sans en avoir tout de même informé la direction. Puisque la jeune Poufsouffle boirait cette potion pour la première fois depuis sa transformation en loup-garou, alors que le breuvage lui était conseillé par la directrice depuis son entrée à Poudlard, il me semblait normal de tenir le professeur McGonagall au courant du début du traitement. D’autant plus que j’avais besoin de son aval pour mettre les meilleurs moyens en œuvre lors des nuits de pleine lune que passerait Engel à l’école, dès la rentrée.

Il était presque dix heures, heure du rendez-vous que j’avais donné à la demoiselle par hibou. Elle y avait répondu favorablement, et presque aussitôt après qu’Obscur eût quitté la volière. La hâte que j’avais ressenti dans ses mots se traduisit par son arrivée que je n’attendais pas avant une dizaine de minutes. Mais j’étais prêt, cela ne posait aucun problème. Alors je lui ouvris la porte du bureau des infirmiers quand elle y frappa, et l’accueillis avec un sourire avenant.

- Bonjour, Monsieur Meyer, salua-t-elle aimablement. Merci encore de me permettre de faire la confection avec vous. Je sais que c’est une potion compliquée.

- Bonjour, Miss Turner, cela va de soi, c’est pour votre bien.

Je remarquai son accoutrement simple à base de jean, débardeur et chemise, bien différent de la tenue scolaire. J’avais eu peur qu’elle s’oblige à venir en uniforme et me retrouvai soulagé de constater que, comme moi vêtu d’un jean confortable et d’un tee-shirt uni gris-clair, elle avait préféré se mettre à l’aise. J’aimais mieux qu’il en soit ainsi. Notre rendez-vous n’avait rien d’un cours de potion. Son sac sur l’épaule et un porte-baguette ceinturé au poignet, Engel tenait dans ses mains un paquet qu’elle me tendit, sous mon regard intrigué. Je ne lui avais pourtant pas demandé d’amener le moindre matériel…

- Je me doute que cela n’était pas nécessaire, mais je voulais vous montrer que j’appréciais beaucoup votre aide, dit-elle avec un petit sourire timide, les joues rosies.

Je pris le paquet en lui rendant son sourire.

- C’est très gentil à vous, merci, répondis-je aussi content qu’étonné. Venez, entrez.

J’ouvris la porte en grand pour la laisser passer, et refermai derrière elle. La pièce contenait deux bureaux : le mien et celui qui serait un jour destiné à la deuxième personne qui viendrait travailler à mes côtés. La grande armoire contenant ingrédients, fioles, parchemins et dossiers des patients se situait dans un angle de mur. L’endroit était assez spacieux, il y avait même un coin détente avec un canapé et une table basse. Avec un peu de magie, j’avais mis en place une table de préparation là où il restait de la place. C’était ici que je préparais toutes les potions que je stockais dans l’armoire. Mais avant de nous mettre au travail, j’avais bien l’intention de voir ce qu’Engel m’avait apporté. Je déposai le paquet sur mon bureau et l’ouvris. A l’intérieur se trouvaient quelques biscuits et sucreries qui venaient de la boutique Honeydukes, à Pré-au-Lard. Je levai un regard enchanté sur la jeune Poufsouffle, avant de lâcher un petit rire réjoui.

- Vous, vous savez me parler, dis-je en piochant dedans.

Autant faire honneur à son cadeau tout de suite. Je savourai un biscuit au doux parfum de fleur d’oranger, en mis un dans les mains d’Engel.

- Posez vos affaires où vous voulez, indiquai-je avec un large geste en direction du coin repos. J’aurais dû vous dire de ne pas vous encombrer, il y a tout ce qu’il faut ici.

Je dégainai ma baguette, la pointai en direction de la table basse. Pas de biscuits sans boissons, et nous en aurions également besoin pour rester hydratés pendant la préparation de la potion. Ainsi apparurent deux verres et un pichet de jus de citrouille frais. J’invitai Engel à s’asseoir sur le canapé, à côté de moi. Nous avions le temps de prendre quelques minutes avant la préparation de la potion.

- Ne vous mettez pas la pression, la rassurai-je avant qu’elle ne me fît part de ses inquiétudes. Vous avez raison, c’est une préparation assez complexe mais nous allons la faire ensemble.

Elle répondit qu’elle avait pris le strict minimum et qu’elle saurait quoi m’offrir prochainement, au besoin, puisque je venais de dévoiler mon talon d’Achille. Elle nous servit à boire et se mit à rire.

- C’est gentil de vouloir me rassurer. J’avoue avoir été déjà nerveuse dans ma vie. Mais pas sur ce genre de choses qui peuvent sembler futiles… J’avoue qu’il aurait été plus facile que je la prenne dès le début, sûrement… Je ne peux changer le passé.

Non, et il fallait faire avec, désormais. Je la remerciai pour le verre de jus, en bus une gorgée. Je la vis soudain pensive. Elle soupira.

- Mais je vous dois une nouvelle vérité…

J’attendis patiemment sa révélation.

- Si, quand je suis venue vous voir, c’était pour mon bien être, cela devient une décision clef maintenant… Le Ministère n’est pas… très chaud, dirons-nous… à ce que ma famille ait ma garde. A cause de mes noms de famille…

Elle ne les portait pas encore et avait apparemment déjà des ennuis avec… A cause de l’affaire Corban, notamment. Corban Yaxley, détenu à Azkaban pour avoir travaillé sous les ordres de Lord Voldemort. Mais également à cause de ce qu’elle avait subi sous la garde des hommes du Ministère. D’après elle, ils avaient peur d’avoir créé un monstre qui ne se contrôlerait pas, malgré les protestations de son tuteur et du personnel de l’orphelinat.

- Cela peut peut-être aider à les faire changer d’avis, en plus de mes séances de psychomage… Je suis désolée de vous entraîner là-dedans, dit-elle, penaude. S’ils rejettent la demande, je resterai sous tutelle du Ministère et je continuerai à passer mes nuits de pleine lune là-bas… Ce que je ne veux clairement plus.  

Elle but une gorgée de jus de citrouille et je vis son verre trembler dans sa main. J’ouvrais la bouche pour répondre quand je vis une larme rouler sur sa joue. Tout devenait très compliqué pour elle, je comprenais qu’elle pût craquer, même dans un moment où elle était en présence de quelqu’un comme moi qui la soutenait. Je me ravisai alors qu’elle reprenait la parole.

- Je suis désolée… souffla-t-elle d’une voix oscillante. Je ne sais pas…

Elle se tut. Je reposai mon verre sur la table basse.

- J’ai… J’ai peur ? fit-elle, incertaine. J’ai peur de mon avenir… De ce que la potion va donner… Si elle va marcher sur moi… Peur qu’ils veuillent me garder en cage…

Elle imita mon geste. Les mains à présent libres, elle s’enleva une basket et ramena son pied sur le rebord du canapé, entourant son genou avec ses bras, désemparée. Elle évita mon regard, et se mit à rire sans rien éprouver que de la tristesse.

- Je suis désolée de ce spectacle. Vous voulez déjà m’aider gentiment… Je dois vous sembler pathétique… Faible… Brisée…

Je soupirai. Non pas parce qu’elle m’ennuyait. C’était plutôt sa situation qui me contrariait. Tout devait être allé beaucoup trop vite pour elle, et je comprenais que cela fût difficile à encaisser. Il ne fallait pas être psychomage pour le voir, et pour savoir compatir. Comme lors de sa première visite à l’infirmerie, ma main alla se poser contre son dos en signe de réconfort.

- Pathétique, non, répondis-je avec douceur. Faible et brisée, c’est ce que je constate. Et j’ose croire que c’est normal avec tout ce que vous traversez. Même si vous vous donnez les moyens d’aller de l’avant. Ils ne sont pas anodins, ce n’est pas ce que je dis, ajoutai-je précipitamment avant qu’elle n’interprète mal. Je pense que vous êtes plus forte que vous le croyez. Mais cela n’empêche pas de vous sentir parfois… fatiguée de tout cela. Continuez de lutter, et prenez tout le soutien que l’on vous offrira. Vous le méritez, et vous en avez besoin. Tout ira bientôt mieux.

Ҫa, je ne pouvais pas l’assurer mais il était toujours bon d’entendre ces mots. Cela pouvait déjà avoir un effet motivant.

- Ne perdez pas espoir quant à votre avenir. Quoi qu’il arrive, vous pouvez compter sur moi, et sur toutes les personnes en qui vous avez confiance, pour vous prêter main forte.

Je réfléchis quelques secondes.

- Si cela peut vous rassurer, je suis prêt à me déplacer au Ministère, cet été, pour assister les gens qui vous prennent en charge, décidai-je. J’aurai ainsi l’occasion de rencontrer votre tuteur. S’il est responsable de votre santé là-bas, c’est moi qui le suis ici. Mes arguments compteront dans un éventuel débat concernant votre… abri lors des pleines lunes. Si jamais vous restez sous la tutelle du Ministère, j’irai parler à la directrice, et lui soumettrai l’idée de faire une proposition pour la rentrée prochaine, afin de vous autoriser à passer les nuits de pleine lune à Poudlard.

Je me rendis compte que mon pouce faisait de légers allers et retours sur son omoplate, dans un simple mouvement d’apaisement. Je retirai ma main, ne voulant pas me montrer trop envahissant, ni trop familier.

- En attendant...

Je pivotai dans sa direction, posai les avant-bras sur mes cuisses, les paumes de mes mains tournées vers le haut.

- … concentrons-nous sur tout ce qui peut vous soulager pour le moment.

Je lui accordai un sourire bienveillant.

- J’ai besoin de vous voir détendue et concentrée pour la préparation de la potion. Posez vos mains sur les miennes. Je vais vous aider à vous calmer.

J’attendis son accord, et que ses mains rejoignent les miennes, paumes contre paumes.

- Gardez le dos bien droit, conseillai-je à voix plus basse, comme pour ne pas perturber la quiétude des lieux.

Je me rapprochai et tendis un peu plus les bras pour lui éviter de se pencher en avant.

- Inspirez profondément par le nez et expirez lentement par la bouche. Ensuite, refaites-le trois fois, les yeux fermés.

Et, tandis qu’elle s’exécutait, je fis appel à un peu de magie. Une douce chaleur se répandit sur les paumes de mes mains, et caressa les siennes.

- Ça va ? m’enquis-je quand elle termina l’exercice.

Elle me regarda, un sourire naissant peu à peu au coin de ses lèvres. Elle confirma le fait qu’elle était réellement épuisée à cause de ses nuits perturbées par les souvenirs et les cauchemars. Elle ne bénéficiait que de peu de soutien mais continuait de se battre quand même, malgré tout, refusant de donner raison à ceux qui préféraient la voir tomber au fond du gouffre. C’était, à mon humble avis, la meilleure réponse qu’elle pouvait leur donner, et qui la motivait davantage.

- Si vous voulez appuyer leurs discours en me faisant sortir du joug du Ministère, je ne peux qu’être pour et je sais que mon tuteur le sera aussi, ajouta-t-elle ensuite. Si vous voulez, je peux aussi vous mettre en relation avec Père et tante Holly. Ils s’inquiètent énormément de mon bien être et cela les rassurera peut-être. Ils ont prévu de discuter avec la directrice, s’ils ont ma garde, d’un endroit pour moi à l’école, je pense que votre expertise sera un plus non négligeable.

Je hochai la tête. Nous étions d’accord.

- Je ne pourrai jamais assez vous remercier de toute l’aide que vous m’apportez, Monsieur Meyer…

Je lui offris un sourire bienveillant. Je le faisais parce que c’était mon travail, et que je me souciais de chaque personne qui acceptait mon aide. Elle sécha ses dernières larmes, argumenta au sujet des exercices de détente qu’elle était prête à apprendre car les siens ne fonctionnaient pas très bien. Mes mains quittèrent les siennes, doucement. A présent bien détendue, elle sourit de nouveau et dit :

- Je pense que je vais venir vous voir dès que je suis en surcharge au lieu de faire du sport à outrance en tapant dans des sacs pour me défouler.

Je pouffai, redressai mon dos et bus un peu de jus de citrouille. Pendant ce temps, je la vis prendre un moment pour refermer les yeux, la tempe appuyée contre le dossier du canapé, et respirer paisiblement. Elle laissa même échapper quelques notes d’une chanson que je ne connaissais pas. Mais elle avait une jolie voix, ce fut agréable à écouter. J’aurais d’ailleurs pu rester assis là, à ne rien faire que profiter de ce moment de quiétude. Mais nous avions du travail, désormais. Laissant mon verre sur la table basse, je me levai et me rendis auprès du bureau sur lequel trônait un chaudron. J’avais préparé les ingrédients, il ne me restait plus qu’à afficher la recette. Je dégotai l’ouvrage qui se trouvait dans la grande armoire, sur l’étagère réservée aux notes sur les potions. Je l’ouvris à la bonne page, le plaçai sur le support de livre qui était posé sur un coin du bureau. Et je levai les yeux sur Engel.

Elle buvait un peu de jus, visiblement rassérénée. Puis elle se mit debout et s’étira longuement, les bras tendus au-dessus de la tête. Et elle lâcha un soupir. Apparemment, ma technique de relaxation avait fait son effet.

- Je ne sais pas ce que vous m’avez fait, mais cela fait du bien ! Cela marche mieux que les potions.

J’étais content de la voir de meilleure humeur.

- Nous pouvons nous y mettre, je me sens prête à vous assister, annonça-t-elle. Concentration et calme réunis !

J’émis un petit rire, lui fis signe de venir se placer à côté de moi, face au chaudron.

- Très bien, alors allons-y.

Quand nous nous retrouvâmes côte à côte, je sortis ma baguette, la pointai sur le premier ingrédient.

- Aconit, désignai-je en séparant les trois feuilles avec le bout de la baguette. Également appelée Napel ou Tue-Loup. Ou même Casque de Jupiter à cause des fleurs qui en ont la forme. Très jolies, soit dit en passant, nous sommes en pleine période de floraison. Mais attention, c’est une plante très toxique.

Tout était dans le nom. Aconit était une francisation du latin « aconitum », lui-même issu du grec « akòniton » désignant une plante vénéneuse dans la période de l’Antiquité.

- Racine de Mandragore, continuai-je en montrant le deuxième ingrédient. J’imagine que le professeur Londubat vous en a déjà fait l’éloge.

Si le programme était le même, ou à peu près, à Poudlard qu’à Beauxbâtons, la Mandragore s’étudiait tôt. Dès la deuxième année, si je me rappelais bien. En tout cas, le professeur de Botanique était quelqu’un de réellement passionné. Quand je passais le voir pour me fournir dans ses serres, il ne manquait jamais de me montrer ses plantes préférées, et j’appréciais nos échanges.

- Bouquet d’absinthe. Elle ne fleurit qu’en été. Nous avons là les premières fleurs de cette année.

Elles ressemblaient à de petites boules jaunes en grappes. Quant aux feuilles, elles faisaient un peu penser à celles des oliviers : fines et longues, foncées sur le dessus, plus claires dessous.

- C’est une des plantes utilisées dans la fabrication des alcools forts. C’est… plutôt bon.

Je pinçai les lèvres, ne pus retenir un ricanement.

- Je ne vous cacherai pas que j’ai un petit faible pour les spiritueux. Ҫa fait du bien par là où ça passe, comme on dit. Il n’y a rien de mieux pour digérer après un bon repas !

Je passai à la suite.

- Fleures de Passiflore.

J’en pris une, la lui mis sous le nez. Son parfum était quelque chose de véritablement agréable.

- Une plante grimpante qui produit aussi des fruits comestibles, les fruits de la Passion. En sorbet, c’est une tuerie, ajoutai-je à voix basse, sur le ton de la confidence, comme si je lui délivrais un grand secret.

Le bout de ma baguette se dirigea vers le prochain ingrédient.

- Liqueur de Millepertuis. Voilà l’exemple d’un spiritueux à base de plantes. On peut aussi en faire une infusion. C’est un bon remède antidépresseur.

Je jetai un coup d’œil à Engel qui restait très attentive, pointai les deux derniers ingrédients, dans une fiole chacun, conscient que leur énonciation n'allait pas la laisser indifférente.

- Poils et sang de loup. De provenance légale et sans danger pour la bête sur laquelle cela a été prélevé, précisai-je.

Mais je ne pus m’empêcher de soupirer.

- Ce serait mentir de vous assurer que c’est toujours le cas. C’est pour cette raison que je m’assure au maximum de connaître l’origine de tout ce que j’utilise pour mes potions.

En regardant d’abord l’aconit, elle déclara qu’il ne fallait que deux à quatre grammes pour tuer un adulte en la lui faisant avaler. Elle était utilisée depuis l’Antiquité pour l’assassinat ou le suicide, ou pour certaines de ses vertus guérisseuses pour les troubles nerveux, les fièvres, ou comme antidote contre le venin de scorpion. La demoiselle appuya son argument sur le fait que cette plante ne poussait que dans l’hémisphère Nord, principalement dans les lisières des bois ou les prairies montagnardes, et qu’elle devait son nom de Tue-loup à l’utilisation qu’en faisaient les bergers afin de tuer les loups qui menaçaient leurs troupeaux. J’affirmai d’un signe de tête, content de constater qu’elle en savait bien assez au sujet de cette plante si importante dans la préparation de sa potion.

Elle évoqua ensuite le professeur Londubat et ses méthodes d’enseignements qu’il lui avait été difficile d’intégrer, au début, car il s’étalait souvent beaucoup trop sur ses sujets, jusqu’à en dévier complètement. Elle était d’accord avec moi quant à son immense et débordante passion pour la Botanique. Et elle me raconta une anecdote sur les mandragores, notamment le jour où le professeur Londubat demanda à ses élèves de les replanter : quelques-uns d’entre eux s’évanouirent à cause des protèges-oreilles mal mis. A mon avis, il n’existait aucun cours durant lequel personne ne finissait à terre en déterrant une mandragore pour la rempoter. C’était presque… traditionnel.

- Le philtre de mandragore est très utile. Tout comme la feuille est utilisée dans le rituel pour devenir animagus.

Exact. J’eus droit à un regard surpris et moqueur quand elle contempla l’absinthe.

- Et bien, Monsieur Constantine Meyer, je n’aurai pas pensé cela de vous. Je vous croyais si innocent, fit-elle tandis que je ricanais. Si je savais que vous étiez un tel coquin qui aime boire de bonnes choses, j’aurais peut-être songé à vous ramener un petit quelque chose de plus alcoolisé. Je tente maintenant de ne pas vous imaginer élève, studieux le jour et animal débridé la nuit qui ne dit pas non à un peu d’alcool et qui se retrouve torse nu devant les filles ! J’imagine que vous avez brisés des cœurs plus jeunes.

Cette fois, j’éclatai de rire.

- Croyez-le ou non, ce n’était pas du tout mon genre, répondis-je. J’étais…

Un silence.

- Je suis sage, peut-être même bien trop.

Mais ce n’était ni le moment, ni l’endroit de parler de ça.

- OK, je crois avoir compris que pour atteindre votre cœur, il fallait passer par votre ventre, boisson et nourriture mélangés ! conclut-elle. J’avoue être un peu un ventre sur patte aussi. Je profite largement des buffets de l’école, même si ma viande arrive toujours directement dans mon assiette, au vu de la cuisson que je mange.

Je lui répondis par un sourire entendu. Elle ajouta qu’il valait mieux ne pas dévoiler à n’importe qui que l’infirmerie possédait des stocks d’alcool fort comme la liqueur de Millepertuis, à cause de certains élèves prêts à piquer dans les réserves pour s’amuser un peu. Non, je n’allais pas crier cela sur tous les toits et j’imaginais que les plus anciens élèves étaient sûrement déjà au courant.

- Je crois que le seul alcool de plante qu’on m’a fait goûter est le Jagermeister.

Un alcool allemand bien connu, dont les cinquante-six herbes entrant dans sa composition étaient gardées secrètes. Apparemment, son goût lui avait bien plu. Je me gardai de la réprimander sur le fait qu’elle n’avait sûrement pas l’âge de boire de l’alcool au moment où elle en but la première fois. Ce n’étaient pas mes affaires… sauf si je la croisais complètement ivre dans les couloirs de l’école.

- Mais quelques-uns et je défierai tout le monde au karaoké ! Je suis sûre que, même alcoolisée, j’arriverai à pousser assez bien la chansonnette… Et l’alcool en lui-même est un anti-dépresseur dont il ne faut abuser.

Au moins, elle en était consciente. Je n’allais pas dire que j’étais parfait de ce côté-là. Tout le monde avait un jour fini complètement saoul après s’être essayé à l’alcool. J’avais la chance de ne jamais être tombé dans la dépendance. Et le seul moment où j’en abusai fut durant les jours qui suivirent la mort d’Elizabeth. Toutefois, ce fut de courte durée. J’avais eu encore la lucidité de me dire que je n’arriverais à rien avec ce comportement. Et heureusement. Si ça se trouvait, l’alcool m’aurait fait refuser la proposition du professeur McGonagall, et je ne serais pas ici aujourd’hui.

L’expression d’Engel changea en regardant les deux dernières fioles. Elle grimaça légèrement, confessa qu’elle faisait partie des loups sur lesquels le Ministère prélevait parfois. Elle me raconta qu’une fois, elle était restée une journée entière couchée avec des potions de régénération sanguines. On lui avait prélevé bien plus de sang que nécessaire… Par la suite, il fut interdit à quiconque de renouveler l’expérience sans son consentement. Elle ne l’avait plus donné depuis mais était peut-être prête à le faire face à une personne de confiance.

- Je vous remercie de vouloir néanmoins vous assurer de la provenance de cela, dit-elle avec sincérité.

- C’est tout naturel, répondis-je simplement.

Je suivis du regard ses doigts qui allèrent doucement effleurer les fioles.

- Si je m’écoute, je vous remercierai encore et toujours de la déférence que vous avez, reprit-elle. Vous me prouvez une fois de plus que vous vous souciez des gens comme moi… Et que j’ai eu raison de vous faire confiance. Qu’il y a encore des gens bons ici. Beaucoup trop nous stigmatisent ou profitent des créatures magiques de manière vile… Ne respectant rien… J’aimerais tellement que les sorciers prennent conscience que les créatures magiques sont à préserver et qu’il y a d’autres manières de prélever le nécessaire plutôt que de les faire souffrir ou que de passer dans le marché noir qui fait les actes les plus viles.

J’étais entièrement d’accord avec elle. Je soignais les êtres humains, me dévouais pour leur santé. Et cela était également valable pour les animaux et les créatures, dans la mesure du possible. Je n’étais pas spécialisé en médicozoologie mais j’estimais que tout être vivant avait droits aux soins et à l’attention. J’étais en train de rassembler les ingrédients dans un coin quand je remarquai les yeux d’Engel qui étaient redevenus brillants de larmes.

- Croyez-vous que c’est enfantin de vouloir que cela change ? demanda-t-elle. Que je me berce d’illusions ? J’aimerais tellement aider les gens comme moi… Préserver les créatures magiques. Me faire une voix pour ceux qui ne peuvent… Cela paraît utopique… Mais je crois que notre monde a besoin de changement…

Oh que oui.

- Notre pays, surtout. Certains autres sont bien plus tolérants et préservent les vies des créatures. Il paraît qu’elles sont même vénérées dans d’autres contrées.

Elle avait raison.

- S’ils arrivent à vivre en harmonie avec, pourquoi pas nous ? Qu’avons-nous de si différent pour que nous nous pensions supérieurs ?

Je la regardai longuement avant de soupirer, compatissant.

- Nous vivons dans un monde imparfait… et il le sera toujours, commençai-je avec une compréhension cependant mélangée d’une pointe d’amertume. Je ne crois pas que cette envie de le changer soit enfantine ou utopiste. C’est un ressenti défendable quand on se pense seul à vouloir agir. Mais on ne l’est jamais. Il y a moi, déjà, ajoutai-je avec un sourire rassurant. Sachez-le.

J’esquissai un geste pour remonter mes manches, pensant que je portais ma blouse de médicomage. Mais je n’étais qu’en tee-shirt. L’habitude…

- Je pense que c’est le genre d’aspiration qui reste irréalisable si l’on ne se bat pas pour qu’elle le devienne, fis-je, songeur. Comme vous le faites si bien pour votre propre cas, gardez la force, et j’oserai dire la foi, de faire front face aux injustices pour ceux que vous voulez protéger. Cela finira par vous réussir, un jour. Et je ne le dis pas dans l’unique but de vous consoler. Nos efforts finissent toujours par payer, j’en suis convaincu.

Nouveau sourire avenant. Je désignai le chaudron encore vide.

- Voulez-vous commencer ? proposai-je. Il faut porter la liqueur de Millepertuis à ébullition. A feu doux, pour éviter les projections.

De toute façon, nous avions tout notre temps. Je m’emparai d’une fiole vide et la remplis à moitié de liqueur. Puis je la tendis à Engel.

Elle déclara qu’elle n’avait pas l’insouciance de ses autres camarades, ni eu la chance de profiter d’une jeunesse normale, même si cela avait quelque peu changé cette année. Mais elle estima que, parfois, certaines situations nous influençaient, certaines rencontres nous apportaient le petit souffle qu’il fallait pour réveiller cette part de nous qui nous donnait envie d’être nous et de nous libérer. Je pensai aussitôt à Elizabeth et eus un pincement au cœur. Mon épouse avait été la meilleure chose qui me fut arrivé dans la vie. Et aujourd’hui, moi qui pensais que mon amour pour elle surpassait tout en ce monde, je me demandais encore comment j’avais pu penser à mon travail au lieu de rester à ses côtés…

- J’ai discuté avec plusieurs personnes… On me disait que pour changer le système, il fallait rentrer dedans pour le faire de l’intérieur, dit Engel. Je pense en discuter avec notre professeur de Droit mais je vais sûrement poursuivre une carrière dedans en me spécialisant sur le droit des créatures.

C’était une excellente idée.

- Même si les victimes d’abus ou de préjugés seraient une bonne cause aussi, admit-elle. Il y a trop d’inégalités dans notre monde… Et trop de causes à défendre.

J’eus un sourire compatissant.

- Mais je veux être voix pour ceux qui ne peuvent parler. Je vais juste me remettre en forme avant, et je combattrai avec toute ma force ensuite. Je pense que je pourrai soulever des montagnes, surtout si je suis soutenue.

Je trouvais absolument remarquable qu’elle eût tant conscience de tout cela, de ce qu’il était bon de changer, jusqu’à sa confiance elle pour y parvenir.

- Merci, en tout cas, d’être là pour moi et de soutenir cette envie de le changer… Pour la foi, comme dirait une célèbre chanson moldue : « Pain, you made me a believer ». Et j’en ai eu suffisamment dans ma vie pour cela.

Elle émit un petit rire auquel je répondis par un sourire. J’étais plutôt content de voir que malgré le petit moment d’égarement émotionnel qu’elle avait eu tout à l’heure – et qui survenait sûrement souvent – elle savait garder la tête hors de l’eau, et se battre.

- J’espère que vous avez raison, M. Meyer… Tout comme j’ose espérer pouvoir guérir de mes blessures comme tous ceux qui ne les méritent pas.

Elle dégaina ensuite sa baguette, jouant du mécanisme du porte-baguette qui était attaché à son poignet. Après avoir allumé le feu sous le chaudron, elle prit la fiole de liqueur et versa doucement le contenu. D’un geste habile et fluide, je la vis alors enfoncer sa baguette dans son chignon. Mon regard surpris et amusé croisa le sien. Elle rit.

- Pardon, la force de l’habitude.

Je fis un geste de la main lui signifiant que ce n’était rien. Je n’allais pas juger, moi qui avais tendance à caler ma baguette sur mon oreille, comme le faisaient parfois les fumeurs moldus avec leur cigarette. Je m’emparai d’une longue cuillère en bois et la posai près du chaudron. En général, on se servait plutôt d’une louche en métal à long manche. Mais depuis que j’avais testé la cuillère en bois, généralement utilisée pour la cuisine, je ne jurais plus que par ça – quand c’était assez résistant pour la potion préparée, évidemment. La voix mélodieuse d’Engel me parvint tandis que la liqueur réchauffait lentement. Elle chantonnait « Believer » à voix basse. Comme tout à l’heure, c’était agréable à écouter. J’en eus même un léger frisson… et un nouveau pincement au cœur.

Elle me rappelait Elizabeth. J’aimais tant entendre chanter mon épouse quand nous nous retrouvions tous les deux chez nous, quand elle était occupée à cuisiner, surtout. Notamment durant ses mois de grossesse. Je ne l’avais jamais vu faire autant de gâteaux et pâtisseries que pendant cette période. Un doux souvenir qui me fit autant de bien que de mal, et que j’enfouis au plus profond de moi pour rester concentré sur la potion qu’Engel et moi étions en train de concocter.

- Il faut attendre que le liquide bouillonne, non ? demanda-t-elle, incertaine.

J’acquiesçai.

- Et je suis désolée, cela m’arrive parfois de chantonner quand je suis détendue. Je peux arrêter si cela vous dérange.

- Pas du tout, assurai-je avec un sourire de façade. Vous avez une voix agréable.

Elle consulta la recette de la potion d’un regard attentif. Je lui donnai le bouquet d’absinthe à mettre dans le chaudron quand la liqueur commença à bouillir. Quelques secondes plus tard, le liquide prit une teinte bleue, et je m’occupai d’éteindre le feu.

- A présent, nous allons ajouter les feuilles d’aconit, déclarai-je en pointant ma baguette sur l’une d’elles.

Je la fis léviter et la laissai tomber au fond du chaudron. Je pris la cuillère en bois, mélangeai deux fois dans le sens horaire et deux fois dans l’autre sens.

- Observez bien, dis-je en recommençant le mélange une deuxième, puis une troisième fois. Il faut faire cela pour chaque feuille d’aconit.

Je réitérai le geste en déposant la deuxième feuille.

- Deux fois dans le sens des aiguilles d’une montre, puis deux fois dans le sens contraire… fis-je à voix basse, très concentré, tout en mettant mes paroles à exécution. Trois fois de suite. Tenez, faites-le pour la dernière.

Je lui montrai la feuille restante. Après cela, la recette indiquait de rallumer le feu et de laisser chauffer cinq minutes. Entre temps, nous devions broyer les deux fleurs de passiflore jusqu’à ne plus distinguer les pétales, et couper la racine de mandragore en fines lamelles.

- Merci, si vous voulez, je peux continuer un peu quand nous sommes en train d’attendre, proposa-t-elle aimablement. Qu’aimez-vous comme style de chanson ? J’écoute beaucoup de moldu mais aussi des chansons sorcières. Et j’ai une excellente mémoire donc les paroles restent dans la tête, ainsi que les airs. Cela me permet de faire mon sport en ayant toujours de la musique en tête.

Je hochai la tête.

- J’aime aussi travailler et faire du sport en musique, répondis-je. C’est stimulant. Alors ne vous gênez pas. Vous pouvez continuer sur Imagine Dragons, j’aime beaucoup. Sinon, la plupart du temps, j’écoute du métal allemand.

Un bon défouloir après une longue journée, en général. Tout comme elle, j’appréciais autant la musique moldue que sorcière.

- Ou alors… rien à voir mais j’apprécie les orchestres symphoniques.

Un tout autre registre que j’appréciais particulièrement quand je préparais des potions ou m’occupais de la partie administrative de l’infirmerie. J’aimais aussi écouter n’importe quelle composition d’instruments solos, et aussi les duos, rêvant parfois d’être capable de savoir les manier aussi bien que leurs propriétaires. Avec mon travail, je n’avais jamais pris le temps, ni eu la motivation d’apprendre à jouer d’un instrument. Maintenant que je travaillais à Poudlard, un emploi plus flexible qu’à l’hôpital, peut-être aurais-je l’opportunité de me consacrer à la musique…

Engel retira sa baguette de son chignon et fit léviter la dernière feuille d’aconit qui atterrit au fond du chaudron, avec les autres. Elle s’empara de la cuillère en bois et, très concentrée sur sa tâche, exécuta le mélange correctement. Quand elle leva les yeux vers moi, je lui accordai un sourire satisfait.

- Perfekt, commentai-je.

Je m’occupai de rallumer le feu sous le chaudron, donnai un coup de baguette supplémentaire contre le rebord pour activer une minuterie magique de cinq minutes. Puis je donnai les deux fleurs de passiflore à la jeune Poufsouffle, avec un mortier et un pilon.

- Tenez, broyez ceci, s’il vous plaît, indiquai-je.

Elle semblait réfléchir et je la vis passer une langue percée d’une petite boule métallique sur ses lèvres étirée d’un sourire réjoui. Je pris la racine de mandragore et commençai à la découper en lamelles à l’aide d’un petit couteau. J’écoutai la demoiselle chantonner un moment, détendu par sa voix douce et chaleureuse. Quand elle termina sa chanson, je pris la parole.

- Je suis curieux, Miss Turner. Que vous a-t-on dit à propos de vos tatouages, et du piercing, quand vous êtes entrée à Poudlard ?

Elle commenta le fait que, comme elle, mes goûts musicaux étaient plutôt éclectiques. Elle déclara ne pas savoir imiter les instruments de musique mais elle connaissait tout de même quelques fameux grands airs.

- Je peux monter mais pas autant, il me faudrait plus d’entraînement que je n’en ai. Mais si nous voulons un bon compromis…

Elle s’attela à sa tâche avec les fleurs de passiflore, et se mit à siffler. Au début, la mélodie fut plutôt aléatoire, comme si elle s’échauffait au sifflement. Puis je reconnus un air bien connu : « Engel » du groupe Rammstein. Engel, comme son prénom. Je l’aimais bien et l’avais beaucoup écouté dans ma jeunesse. Il me rappelait tellement de souvenirs que j’en eus quelques frissons. D’autant plus lorsque la demoiselle se mit à chanter, de sa jolie et douce voix si contrastante avec l’originale. Je me concentrai sur ma racine de mandagore, plutôt content de cette ambiance à la fois studieuse et décontractée. C’était le genre de moment que j’appréciais particulièrement.

A la fin de la chanson, j’en avais terminé avec les lamelles, et vit Engel prête à en finir également avec les fleurs.

- Cela me fait bizarre de me dire que je ne serai plus appelée ainsi l’année prochaine…

Oui, et d’ailleurs, j’allais devoir m’y faire aussi. Je me demandais comment je devrais l’appeler à partir de septembre. Miss Malefoy Yaxley ? Ou simplement Miss Malefoy ? Je n’en savais rien… Je ne voulais pas écorcher son nom. Je le lui demanderais en temps voulu.

- Quant à mes tatouages… La directrice les tolère sur les étudiants et les élèves majeurs, poursuivit-elle. J’ai juste eu une dérogation d’un an plus tôt pour pouvoir couvrir ma morsure. Elle voyait que je ne vivais pas pleinement, ayant toujours peur qu’on remarque la cicatrice.

Je hochai la tête. C’était largement compréhensible. Engel raconta que lorsqu’elle faisait du Quidditch, elle avait souvent attendu que son équipe quitte les vestiaires avant elle pour pouvoir se changer, même si elle était trempée jusqu’aux os.

- Mon tatouage m’a libéré… Je porte ce que je veux comme vêtement, je peux me doucher avec les autres, je peux avoir une vie d’étudiante normale sans craindre qu’on remarque cette cicatrice dévoilant qui je suis.

Le dessin jusqu’au poignet était une idée de son tatoueur, afin que personne ne s’aperçoive qu’elle voulait cacher quelque chose. Celui qu’elle portait sur la nuque avait pour rôle une sorte de protection. Le noir des hébrides représentait le caractère de la jeune Poufsouffle. Une plaisanterie entre son tatoueur et elle, apparemment. Quant au piercing, le professeur McGonagall avait déclaré qu’il fallait que « jeunesse se fasse », à condition qu’Engel ne les exhibât pas, comme les tatouages. J’étais plutôt d’accord. Elle les portait depuis un an à peine, et son tuteur du Ministère n’y avait vu aucun inconvénient, lui non plus.

Elle haussa les épaules et soupira.

- Même s’il m’a taquiné sur le fait que le dragon amenait trop à une direction. Et qu’il fallait que j’attende encore au moins un an avant que quelqu'un n’aille faire la chasse à la flamme.

Je soufflai par le nez, un sourire en coin.

- Ou qu’il ne fallait pas que je décide à faire plaisir à trop de monde avec cette bille sur ma langue. Soi-disant que, bien utilisée, cela pouvait apporter beaucoup de plaisir à mes partenaires.

Une bouffée de chaleur m’envahit la tête. Je n’imaginais pas qu’elle évoquerait un sujet aussi... intime.

- La précédente infirmière me disait cela en tout cas, justifia-t-elle. Que cela soit pour les jeux sexuels ou les préliminaires oraux, selon elle. Cela m’a mis légèrement mal à l’aise d’en parler avec elle, je dois bien l’avouer.

Évidemment.

- Il est vrai que les deux, trois partenaires que j’ai eu en début d’année réagissaient à son contact, sur leur peau ou dans les baisers.

J’avais bien compris… Elle me perturbait avec ses histoires. Au moins, on ne pouvait pas dire qu’elle avait la conversation difficile. Pas de tabou. Cela pouvait avoir un côté pratique, même si c’était quelque peu gênant… Avec un étrange frisson, je poussai mes lamelles de mandragore sur le côté.

- Et vous, Monsieur Meyer ?

Hein ? Quoi ?

- Vous n’avez jamais pensé à en faire ? Des tatouages.

Oh bon sang… Elle m’avait fait peur !

- Je sais que ce n’est pas la tradition sorcière mais vous me semblez… Plus issu des deux mondes.

Je me remis de l’attaque que j’avais failli avoir, et me raclai la gorge.

- J’ai deux parents sorciers, répondis-je. Mais il est vrai que depuis mon entrée dans le monde du travail, j’ai pas mal vécu… « à la moldue ». Prendre un appart, payer des factures, fréquenter les salles de sport… Il y a certaines choses que j’ai toujours tenu à pratiquer.

Un sourire apparut sur le coin de mes lèvres.

- Je suis même marié à une moldue.

Par Merlin… « J’étais ». J’aurais dû dire « j’étais ». Nouveau raclement de gorge.

- Les tatouages et les piercings ne m’ont jamais attiré, dis-je. Je trouve cela joli sur les autres mais je n’en veux pas.

Le minuteur du chaudron annonça sa fin par un petit « bip » discret. Il était temps d’ajouter les ingrédients. Je pris les fleurs de passiflore qu’Engel avait correctement broyées, et les laissai tomber dans le chaudron. Je les mélangeai avec la cuillère en bois, trois tours dans le sens des aiguilles d’une montre, et trois autres dans le sens inverse.

- Tenez, faites la même chose avec la mandragore, indiquai-je.

- Vous allez bien ? s’enquit-elle avec inquiétude. Vous sembliez… Ailleurs ?

Et c’était peu dire… Je chassai quelques pensées de ma tête tandis qu’elle ajoutait :

- Je suis désolée si le sujet vous a mis mal à l’aise. Le professeur Avery avait l’air moins gêné que vous quand on en a discuté ensemble. A croire que les hommes n’aiment parler de sexe.

Ce n’était pas ça…

- J’ai lu dans un livre que, justement, le secret d’une sexualité épanouie était de discuter avec ses partenaires.

Mon regard surpris croisa le sien, et elle leva soudain les mains en signe de défense.

- Pas que je vous considère comme cela, hein ! se reprit-elle aussitôt. Enfin, vous êtes bel homme, mais je pense que vous avez déjà assez de femmes qui pourraient vous tourner autour plutôt qu’une gamine. Et j’ai… déjà quelqu’un dans mon cœur. Même si cela est compliqué. Et que je ne suis pas sûre d'avoir quelque chose encore à sauver…

Je ne savais absolument pas pourquoi elle me confiait cela. Visiblement, elle avait besoin d’en parler. Je n’étais pas sûr d’être la personne idéale pour lui donner des conseils. Je savais écouter, ce qui demeurait déjà une bonne chose… Mais je ne pouvais tout de même pas rester là à ne rien dire. Je ne voulais pas lui donner l’impression que je m’en fichais ou que je n’étais pas capable de la rassurer. D’autant plus qu’elle venait une fois de plus de perdre son sourire. Cependant, au moment où j’ouvris la bouche pour parler, elle fit un pas vers moi… et m’enlaça. Mais qu’est-ce qui lui prenait ?

- Je suis désolée… je n’aurai pas dû en parler, dit-elle. Je… J'ai l'impression que vous avez vécu une tragédie liée à cela. C'est ce que vous dégagez pour moi, en tout cas.

Scheiße… Cacher mes émotions quand je parlais d'Elizabeth était plus difficile que je l’espérais. Je restai de marbre, les bras le long du corps, troublé. Je ne m’attendais pas du tout à ce genre de réaction. C’était beaucoup trop soudain… et incongru. Mais au fond, elle n’avait pas à s’excuser. Elle ne pouvait pas savoir puisqu’elle me connaissait à peine. Je gardais mon alliance sans jamais parler de mon épouse, il fallait bien affronter la curiosité de ceux qui se demandaient pourquoi. Et, dans le cas contraire, quand je l’évoquais, même un peu, je ne savais apparemment pas dissimuler le mal qui me rongeait depuis sa disparition. Alors je comprenais très bien la réaction d’Engel, son empathie, sa bienveillance. Elle avait ce caractère, celui de s’insurger quand il le fallait, tout en manifestant une gentillesse et un altruisme envers ceux qui, pour elle, le méritaient.

- Et vous avez peut-être raison de rester ainsi. Il vaut mieux parfois une peau vierge plutôt qu’une qui cache des choses… Et j’aime vraiment votre façon de penser. Je vous imagine très à l’aise dans le monde moldu, comme moi.

Elle coupa le contact et recula en se massant machinalement l’épaule. Que devais-je répondre, exactement ? Je n’étais pas certain que donner de plus amples explications, ou chercher à me justifier fut la meilleure des décisions. Je n’avais absolument pas envie de parler de moi à Engel. Et de toute façon, elle n’avait pas à savoir ce que j’avais traversé, même si elle compatissait. J’étais venu travailler à Poudlard pour remonter la pente, prendre un nouveau départ. Alors, même si je souhaitais trouver et punir les responsables de la mort d’Elizabeth, ce qui importait était à présent devant moi, pas derrière. Sinon, mes efforts ne serviraient à rien. Alors je me contentai de hocher la tête.

Engel s’empara des lamelles de mandragore et effectua les mêmes gestes que moi, comme je le lui avais demandé. Elle ne fit aucune erreur, très attentive. Je pris la relève en retirant la cuillère en bois du chaudron. Je la déposai sur le repose-cuillère et observai la mixture. Maintenant, nous devions attendre que la potion ait pris une couleur marron. La voix d’Engel s’éleva alors. Elle chantait une autre chanson, sur le thème de l’amour, d’après les paroles. Un amour compliqué, comme celui qu’elle venait d’évoquer. En général, il fallait une ou deux minutes à la potion pour se teinter. Alors, en attendant, je fis un peu de ménage. Tout en écoutant la jeune Poufsouffle chanter, je me débarrassai des fioles vides en les plaçant sur un support approprié. Je les laverais plus tard. En un coup de baguette, les quelques miettes de fleurs et mandragore disparurent du bureau. Je m’occupai ensuite de refermer le livre et d’aller le replacer sur son étagère. Enfin, j’allai chercher sept nouvelles fioles propres. Elles serviraient à accueillir la potion qu’Engel boirait tous les jours de la semaine précédent la pleine lune.

Je vérifiai le calendrier accroché au mur derrière le fauteuil de mon bureau. Nous étions samedi 24 juin. La demoiselle prendrait sa première fiole mardi soir. J’espérais que son goût n’allait pas trop la déranger. Ce n’était pas une très grosse quantité, seulement une gorgée, raison pour laquelle les fioles étaient minuscules. Mais boire cela pendant une semaine entière tous les mois ne devait pas être une partie de plaisir quand on n’en appréciait pas la saveur.

Je retournai auprès d’Engel qui terminait sa chanson. Même si les paroles avaient quelque chose de triste, sa voix était si agréable qu’elle en devenait apaisante. La jeune fille semblait toutefois un peu perturbée, à la fin. Dans un élan de bonté, je posai un instant ma main sur son épaule. Mon regard tomba sur la potion. Elle avait pris une couleur café au lait. Il ne restait plus qu’à y ajouter les poils et le sang de loup. J’exerçai une légère pression réconfortante sur l’épaule d’Engel et ouvris la fiole de sang. Je la lui donnai avant d’ouvrir l’autre. Nous ajoutâmes ces deux derniers ingrédients en même temps. Il y eut un léger nuage de fumée. Je remuai une seule fois à l’aide de la cuillère. La potion était prête.

J’allai chercher le petit entonnoir posé sur une étagère de l’armoire. A l’aide d’une louche, je versai soigneusement une portion dans chaque fiole. Engel les ferma au fur et à mesure avec un petit bouchon en liège. Je lui souris et dis :

- Par précaution, et surtout parce que vous n’êtes pas censée garder la potion avec vous, vous devrez passer la prendre ici chaque soir, déclarai-je. Je vous aurais bien facilité la tâche en vous l’envoyant par hibou, mais c’est un peu risqué.

Le volatile pouvait perdre ou briser le récipient par inadvertance. Je rangeai les sept fioles dans une boîte carrée, en bois, que je refermai à l’aide d’un petit loquet sur le devant. Et je rangeai cette boîte dans l’un des tiroirs de mon bureau. Mieux valait ne pas l’exposer à la vue des personnes qui pouvaient entrer ici.

- Vous avez bien travaillé, dis-je sincèrement en repoussant le tiroir. Vous faites une excellente assistante.

Je me rapprochai de la table basse sur laquelle étaient toujours posés les biscuits et le jus de citrouille. Je remplis les deux verres et donnai le sien à Engel. Il restait pas mal de temps avant l’heure du déjeuner. La demoiselle était à présent libre de partir quand elle le voulait. Pour ma part, je n’avais rien de spécial à faire alors elle pouvait prendre son temps.

Un sourire embarrassé apparut sur son visage. Elle déclara ne pas être dérangée par le fait de venir récupérer la potion à l’infirmerie, mais plutôt gênée pour moi de la voir débarquer ici tous les mois, si ce n’était plus, à cause des blessures qu’elle s’infligeait bien trop souvent au Quidditch. Elle raconta avoir passé de nombreux après-midis alitée, notamment le jour où elle fit une chute de soixante-quinze mètres qui lui abîma quelques côtes.

- Je n’ai fait que vous aider, en effet, ajouta-t-elle, les joue roses. Merci de m’avoir proposé de la réaliser avec vous. D’autres n’auraient voulu.

Je hochai la tête avec un sourire. Pour moi, c’était tout naturel. Cette potion était pour elle, et ce n’était pas n’importe quelle potion. Alors j’estimais évident qu’elle ait pu participer à son élaboration.

- Peut être devrais-je partir ? suggéra Engel après avoir bu un peu de jus. Je ne veux pas vous déranger plus. Même si nous avons fait la potion, j’ai été… très émotionnelle…

Ce n’était pas grave, loin de là. Elle avait eu besoin de s’exprimer et je n’y avais vu aucun inconvénient. Certes, je n’étais que l’infirmier, pas le psychologue de l’école. Toutefois, cela ne m’empêchait pas d’écouter toute personne qui sentait la nécessité de se confier, rien que pour se soulager d’un poids. La jeune Poufsouffle avoua que ses émotions sortaient toujours quand elle ne le voulait pas. C’était sûrement parce qu’il valait mieux les extérioriser, justement. Mais je comprenais le côté handicapant de la chose, l’embarras que pouvait susciter le fait de fondre en larmes devant n’importe qui, comme elle le déclara si bien par la suite.

- Vous, ce n’est pas pareil… Je vous fais confiance… dit-elle. Vous avez… quelque chose qui nous apaise, la louve et moi.

Vraiment ?

- C’est rare… Peut-être est-ce pour cela que j’arrive à aussi bien vous parler.

Un sourire s’étira sur le coin de mes lèvres tandis qu’elle disait craindre de m’embêter si elle redevenait bavarde.

- Au contraire, c’est plutôt flatteur, répondis-je. Et je fais partie des personnes les plus aptes à… réceptionner vos douleurs, dirons-nous. Quelle qu’elles soient.

Ma main libre alla délicatement se poser sur le haut de son crâne, dans un geste réconfortant.

- Alors n’hésitez pas, vous ne m’embêterez jamais pour cela, assurai-je.

Je terminai mon jus, allai reposer le verre vide sur la table basse. J’attrapai un biscuit dans lequel je croquai avec appétit.

- Surtout si vous venez avec ce genre de choses, ajoutai-je plus légèrement en désignant le paquet de chez Honeydukes. Ma gourmandise me perdra, un jour… plaisantai-je. Servez-vous, ne me laissez pas succomber seul… fis-je d’un ton faussement implorant.

Elle éclata de rire.

- Je ne vais pas vous laisser fasse à l’adversité seul, Monsieur Meyer… dit-elle. Je ne fuis jamais devant l’ennemi, j’aurai pu aller chez les Gryffondor pour cela.

Elle ajouta qu’elle était aussi gourmande que moi, mais pas autant concernant les choses sucrées qu’elle connaissait moins. Elle n’en mangeait pas souvent, voire presque jamais quand elle fréquentait l’orphelinat. Elle avait finalement découvert les friandises en intégrant Poudlard. Alors elle avait pris ce paquet au hasard. Le hasard avait bien fait les choses, je me régalais !

- Je suis plus gourmande sur un bon repas avec de la viande, argumenta-t-elle. Les gâteaux ont commencé à avoir mon intérêt mais vu que je n’ai l’habitude de tant de sucre, cela me fait vite mal au ventre.

Ce n’était pas une si mauvaise chose. Un peu de sucre de temps en temps pour donner un coup de fouet, mais en quantité raisonnable. Engel croqua dans un biscuit et reprit.

- Peut-être pourrez-vous m’initier un jour ?

J’eus un sourire en coin. Discuter nourriture allait être une véritable partie de plaisir, moi qui adorais manger. La jeune Poufsouffle expliqua que ses tantes lui portaient tant d’attention à travers les sucreries qu’elle craignait de tomber malade un jour ou l’autre. Toutefois, elle préférait éviter d’accepter quoi que ce soit de la part de l’une d’elles car cette dernière avait du mal à l’intégrer dans la famille.

- Elle montre clairement son désaccord à ce qu’une, je cite, « bâtarde et créature sanguinaire » soit reconnue dans l’arbre des Yaxley. Les autres ne sont pas de son avis, heureusement, et la remettent en place, mais cela pique un peu néanmoins…

Je hochai la tête en signe de compassion. Il lui était déjà difficile de découvrir sa vraie famille. Mais si, en plus, l’un de ses membres la rejetait, c’était d’autant plus dur.

- Et si vous craigniez pour votre ligne, peut-être pourrez-vous aller courir avec moi à la nouvelle rentrée, si vous n’êtes pas trop occupé, proposa-t-elle plus légèrement. Cela me fera du bien d’avoir un partenaire d’entraînement. Et je veux être sûre que votre péché mignon ne vous fasse trop succomber dans les excès. A moins qu’il y en ait d’autres dans le même genre moins bons ? L’alcool en est un mais je ne compte vous ramener une bouteille. Je vais me contenter de rester sur les pâtisseries et les sucreries.

Je me mis à rire tout en m’asseyant sur le canapé. Engel m’y rejoignit.

- Je sais quand même rester raisonnable, me défendis-je. Je garde votre proposition en tête, c’est toujours plus agréable de courir accompagné.

Je la regardai retirer sa chemise pour rester en débardeur, et arranger sa chevelure en un chignon plus ordonné que tout à l’heure. Elle termina son jus, et moi mon biscuit.

- Vous savez que je chante rarement aussi longtemps que je ne l’ai fait avec vous, fit-elle remarquer. Je ne suis même pas sûre que les membres du personnel, à part Miss Carlin, sachent que je chante.

L’ancienne infirmière le savait parce qu’Engel chantait pendant ses nombreux séjours à l’infirmerie.

- Mais je traînerai clairement moins des pieds en venant ici, maintenant, avoua-t-elle. L’autre me mettait un peu mal à l’aise en me parlant de sexe, comme j’ai dit. Et je suis désolée si je vous ai mis mal à l’aise aussi à mon tour avec cela…

Je secouai la main pour lui signifier que ce n’était rien.

- Cela ne doit être souvent qu’une élève vous en parle aussi librement. Ou alors, si elles le font, j’espère que cela n’est pas en proposition pour vous.

Je m’étouffai à moitié avec le nouveau biscuit que je venais de manger, me raclai la gorge pour reprendre mon souffle. Je me servis un autre verre de jus de citrouille tandis qu’Engel reprenait la parole.

- Qu’avez-vous prévu pour le reste de votre samedi ? demanda-t-elle. De faire encore des potions ? Ranger l’infirmerie ? Ou de vous détendre un peu ? J’ai l’impression que vous êtes un acharné du travail, vous aussi.

Une gorgée de jus m’aida à répondre sans m’étouffer une fois de plus.

- Vous avez à peu près résumé ce que j’avais prévu de faire.

Je lui souris.

- Et pour répondre vos interrogations sur les sujets… sensibles abordés par les élèves, vous êtes la première à le faire. Mais n’y voyez là aucune confusion, je sais bien que si vous en avez parlé, c’était parce que vous en aviez besoin, et non pour faire passer cela pour une proposition. Et je vais vous dire…

Je pris encore un peu de jus, repris.

- A l’hôpital, que ce soit à Berlin ou à Londres, je me faisais surtout draguer par les mamies. Allez savoir pourquoi… fis-je en haussant les épaules. Il a fallu apprendre à me défendre, ajoutai-je sur le ton de la plaisanterie. Et à me méfier des septuagénaires allemandes. Elles sont coriaces, mine de rien… Plus bruyantes qu’un groupe d’adolescentes devant leur star préférée !

Je ris de ma propre bêtise, écoutai la cloche sonner midi.

- Je vais arrêter de raconter n’importe quoi, et vous laisser aller déjeuner, dis-je avant d’engloutir le reste de mon biscuit.

Elle confirma le fait que le sport à plusieurs était plus agréable et permettait de se motiver mutuellement. J’étais bien d’accord. Elle blagua ensuite en disant qu’elle éviterait de me faire courir après elle à cause de mon grand âge. Nous échangeâmes un rire.

- Vous vous demandez pourquoi ? Sérieusement ? s’étonna-t-elle ensuite. Vous vous regardez souvent dans un miroir ou ça se passe comment ? Ni voyez rien mais vous êtes canon.

Ah. Au moins, c’était clair.

- Certaines filles de mon dortoir vous appelleraient un fantasme sur pattes. Donc pour des petites mamies qui voient débarquer un médecin grand, charmant et musclé, normal qu’elles tentent de vous séduire en se disant que vous leur ferez goûter une nouvelle jeunesse.

Je ricanai, acceptant ses compliments, à la fois gêné et amusé par la façon dont elle les exprimait.

- Mais je note cela et je ne peux que compatir, reprit-elle. Attirer de façon indésirable n’est pas agréable. Mais si elles sont plus bruyantes que des fangirls, je ne veux jamais m’en approcher.

En général, j’avais toujours pris cela de manière positive car je ne pouvais décemment pas me mettre en colère face à ces personnes âgées qui ne recherchaient qu’un peu de contact humain. Mais je devais avouer que, parfois, cela avait un côté presque effrayant. Engel prit son sac et se mit debout.

- Vous devriez aller manger, Monsieur Meyer, aussi. Après tout, les gâteaux n’ont pas pu combler votre appétit, si ? Et cela ne serait pas sain de ne manger que cela. En tout cas, je vous remercie encore pour m’écouter, m’aider et ne pas me juger. Vous êtes vraiment quelqu’un de gentil. Je vous revoie pour ma potion dans la semaine, du coup.

Je me levai à mon tour tandis qu’elle récupérait sa chemise pour la laisser reposer sur son bras replié. Je serrai sa main tendue avec un sourire chaleureux.

- Rassurez-vous, je ne comptais pas rater un bon repas équilibré pour un paquet de biscuits, aussi délicieux soient-ils, répondis-je.

Elle me remercia encore et me souhaita un bon week-end. Je fis de même.

- Et n’hésitez pas pour ma proposition. Cela sera avec plaisir.

- C’est noté. Bon retour, Miss Turner. Et à la semaine prochaine.

- A bientôt, M. Meyer.

Et elle quitta le bureau. Je m’occupai de ranger et nettoyer ce qu’il restait de notre préparation. Une fois fait, je poussai un petit soupir de satisfaction, détournai le regard de la table basse sur laquelle reposait toujours le paquet de friandises. J’allais devoir résister si je voulais qu’il perdure un peu. Peut-être piocherais-je dedans en fin d’après-midi, en guise d’en-cas pour patienter avant le dîner. Même si elle avait choisi totalement au hasard, Engel avait tapé dans le mille. Il n’y avait rien de mieux que de bons biscuits pour me mettre de bonne humeur !

J’étais content d’avoir fait la connaissance de la jeune Poufsouffle, et d’avoir pu bénéficier d’un récit aussi détaillé de sa part concernant son statut de loup-garou. Ce n’était pas évident à révéler, même à un professionnel de santé tel que moi. Elle avait eu un sacré courage, et je ferais tout mon possible pour qu’elle continue de l’exploiter dans l’évolution de sa lycanthropie.