I'm a stranger now

La nuit avait été terrible.

Et pourtant, il fallait encore faire bonne figure. Nous avions l'assassin de notre frère, nous savions qui s'en était pris à nous, mais pour l'heure, il nous fallait nous armer de patience, avec Min-Ho et dans une moindre mesure, Hyun-Ki, mêlé malgré lui à nos manigance, avant de pouvoir faire éclater la vérité. Nous n'avions pas le droit à l'erreur. Et je n'avais pas confiance en nos parents pour nous épauler comme il se doit dans cette démarche. Mon père était pondéré, timoré... Il n'avait probablement pas ce feu vengeur qui brûlait en lui comme il consumait Min-Ho et moi.

Nous avions du retourner au pavillon familial. Pas le temps de me reposer, happé par les obligations familiales. Je laissais le soin à Min-Ho de gérer notre travail de l'ombre, alors que je continuais e me taper dans la lumière. Jusqu'à un certain point. Les lendemains de pleine lune étaient toujours compliqués, et aucune potion de mon frère ne pouvais gommer totalement les ravages sur mon corps et mon visage. Alors en y ajoutant l'attaque subie cette nuit... Nous avions tous les deux des têtes de déterrés, pâles, presque exsangues, avec des cernes bien marquées. Sentant mes nerfs sur le point de lâcher, je finis par demander congé et quitter la demeure familiale vers un parc où je me rendais souvent, toujours propice à la sérénité, et au moins empli de souvenirs heureux.

Je me pris un café au passage, avant de me poser sous un arbre, près d'une petite étendue d'eau où les poissons se massent, chatoyants dans l'eau claire et bien entretenue. Je sortis un calepin et ma plume, commençant à noter tout ce qu'il s'était passé mais aussi faire des liens entre l'assassin, la famille Kim, leur intérêt à nous faire tomber... Et la façon de leur rendre la pareille. J'avais besoin de poser cela par écrit, bien que je dissimulerais ensuite ces informations, mais mon cerveau bouillonnait et les images de la nuit ne faisaient que revenir dans mon esprit, encore et encore. Je me rendis compte que ma main tremblait quand l'écriture devint moins lisible et bien plus hésitante. Je posai la plume, croisent mes doigts pour reprendre mes esprits. Depuis que j'avais cédé ce matin, quelque chose s'était brisé et je ne parvenais plus à ériger de nouveau cette muraille qui me permettait de ne pas prendre les émotions de plein fouet.

Je fermai les yeux, renversant la tête contre l'arbre et inspirant calmement. J'étais épuisé. Vidé de toute énergie. C'était souvent le cas le lendemain de mes transformations, mais au delà de la fatigue physique, il s'y ajoutait une épuisement mental, alors que nous avions enfin des réponses. Comme si le but qui nous maintenait debout, une fois atteint, nous laissait totalement vides... Et je ne pris pas garde à cet état léthargique, sombrant dans le sommeil, sans même m'en apercevoir, contre cet arbre, bercé par le chant des oiseaux, malgré la chaleur moite de cet été coréen.

ft. Eun-Ae

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Il faut davantage que quelques mots murmurés pour me tirer du sommeil de plomb dans lequel j viens de plonger... C'est cette douce caresse sur mon bras, cette intrusion dans ma sphère personnelle, alors que j'ai totalement baissé ma garde par négligence, qui me fait sursauter et émerger brutalement. La mise au point est difficile, mon corps endolori et mon cerveau embrumé. Pourtant, je ne tarde vraiment pas à mettre un visage sur cette présence qui m'a réveillée. Il est heureux que me sois endormi assis... Allongé, j'aurais sans doute eu le réflexe de me redresser et je sais déjà que j'aurais été pris de vertige. Je sens encore la faiblesse qui anime mon corps. Il me faudra davantage qu'une nuit de sommeil pour récupérer. Et c'est, de surcroît, un luxe que je ne peux pas me permettre... Je me passe une main sur le visage, pour essayer de me réveiller, mais les griffes du sommeil s'accrochent désespérément à moi. Je n'aime pas cet état léthargique dont je ne parviens pas à m'extraire. Et que ce soit Eun-Ae qui se trouve devant moi n'est pas rassurant. Je ne suis pas en état de maintenir une joute verbale avec elle. Ni même de l'envoyer sur les roses à vrai dire.

« Le destin, tu es sûre ? » D'ici à ce qu'elle m'ai suivi ou cherché... je n'en serais même pas étonné. J'observe avec méfiance ce qu'elle me tend. Si elle a ça dans les mains, c'est bien qu'elle n'a pas débarqué ici par hasard. Ou qu'elle m'a vu et est allée acheter tout ça sans que je ne me réveille. Je me redresse avec précaution pour m'asseoir un peu mieux. Il n'est pas question de me lever et partir, ce serait risquer de lui montrer un signe de faiblesse. Je n'ai plus qu'à serrer les dents et attendre que ça aille mieux... Il y a pire comme compagnie, très objectivement. Mais je ne souhaite vraiment pas qu'Eun-Ae refasse partie de ma vie et découvre mes secrets. Elle mérite mieux que ça. « Ça fait longtemps que tu es là ? » Ça fait longtemps que je me suis endormi ? Légèrement inquiet, je note qu'elle a bien remarqué mon teint de déterré et je soupire, optant pour une semi vérité : « Je n'ai pas dormi cette nuit... A vrai dire, je ne dors plus beaucoup depuis mon retour... Trop de souvenirs ici, trop de questions sans réponses... »

Je bois une gorgée du café glacé, souriant légèrement à cette attention à mon égard malgré tout. Elle m'a trop fréquenté pour ne pas connaître mes goûts. Et je ne résiste pas à l'envie de me saisir d'un kkwabaegi, sentant bien que j'ai besoin d'apporter de l'énergie à ce corps bien trop éprouvé dernièrement. Je n'ai pas oublié ses dernières paroles... Le fait qu'elle regrette que je ne lui ai pas fait confiance... Mais comment le pourrais-je ? Pourtant, l'envie de lui confier que nous avons trouver qui a tué notre frère est grande. « Eun-Ae... Je sais qui a tué Ho-Seok... » Je dis cela d'une voix atone, le regard dans le vide. Mais cela explique mon état d'épuisement...

ft. Eun-Ae

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Quelque part, c'est rassurant de l'entendre me confirmer qu'elle est là par hasard, même si je reste sceptique face à cette histoire de destin. Pas besoin de mentir concernant mon épuisement. J'ai trop peu d'heures de sommeil dernièrement et particulièrement cette nuit, en plus de la chasse qui a failli bien mal tourner. « Je les cherche. Mais toutes ne sont pas faciles à trouver... » Encore une fois, une semi-vérité. Ce qui nous motive depuis notre retour, c'est bien de trouver notre ennemi. C'est désormais chose faite. Mais il y a encore beaucoup de choses à régler et mon avenir demeure toujours aussi incertain. Ces réponses là ne sont effectivement pas faciles à trouver et je pense que je ne les aurais jamais. Pas avant d'être mis au pied du mur. Impossible de présumer des réactions des autres... Min-Ho m'a surpris. Hyun-Ki également. Mais ils sont sans doute plus tolérants que mes parents... et plus attachés à ma personne qu'eux... Une pensée bien amère, mais il me suffit de voir le ventre arrondi de ma mère pour sentir la bile me monter dans la gorge.

Je finis par consentir à la présence d'Eun-Ae, mais aussi à ses offrandes, qui sont grandement appréciées, davantage que je ne lui laisse voir, alors que mon estomac crie famine. Et puis... Mû sans doute par ses beaux discours sur la confiance, mais également parce qu'elle n'est pas une étrangère et fait preuve de douceur et de bienveillance à mon égard, je lui avoue que nous savons qui nous a attaqué. La mort d'Ho-Seok l'a touchée elle aussi, elle le connaissait et il était impossible de ne pas l'aimer. « Je veux la justice pour mon frère. Et la vengeance. » Je ne me leurre pas concernant mes intentions. Mais ce genre de crime ne peut pas rester impuni.

« Un travail de longue haleine. Nous l'avons attrapé cette nuit. » Je ne rentrerais pas davantage dans les détails. Je ne peux pas lui révéler maintenant que c'est un loup-garou, ni que nous avons joué les appâts vivants. En revanche je cille quand elle parle de m'énerver, de retrouver un peu de vie, ébranlé par ses paroles et cette façon de me voir. Et sa gentillesse... Je ferme les yeux et déglutis. Je dois prendre garde, je me suis fait avoir il y a quelques mois avec cette même forme de gentillesse et d'empathie... Un feu de paille. « Il n'y a rien que tu puisses faire à ce niveau malheureusement. Cela fait un an que nous cherchons des réponses avec Min-Ho, avec l'impression que le reste d monde a déjà tourné la page. Et maintenant que nous savons... Je ne me sens même pas apaisé. » J'avais pensé, à tort, que cela me ferait du bien de savoir, mais le soulagement n'a été que temporaire et le vide a retrouvé sa place prépondérante. « L'éloignement en Europe n'a pas suffi. » Je fais remarquer amèrement.

ft. Eun-Ae

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« Je sais. Dis cela à mon cerveau. » Si j'avais le mode d'emploi pour le débrancher, je serais ravi de pouvoir l'utiliser, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Même si Min-Ho s'y connaissait en potions de sommeil par exemple, je préférais éviter d'en prendre, n'étant pas très adepte de ce genre de médecine à outrance. J'en prenais suffisamment les veilles et le lendemains de pleine lune. Trop épuisé, ou adouci par sa présence neutre et bienveillante, je finis par lui confier que nous avions trouvé qui avait tué notre frère. Et ce qui nous avait motivé. Justice, vengeance, peu importe. Au moins, nous savions la vérité et le coupable devait être puni. « C'est un risque acceptable. » Je réponds sans doute un peu trop froidement, comme ci cela n'avait aucune importance. Mais mon existence n'avait plus vraiment de valeur désormais alors... Je m'en fichais, vraiment. Et Min-Ho devait avoir le même raisonnement. Je jette un regard en coin à Eun-Ae à sa question, qui me semble être le fruit d'une certaine réflexion. L'avions-nous tué ? Avions-nous commis l'impardonnable ? Non. Mais ce que nous avions fait était peut-être pire que lui ôter la vie...

« Il l'est. Ce n'est qu'un pion, dans une machination de plus grande envergure. Un vulgaire tueur à gage pour une famille plus prestigieuse et envieuse. » Il n'y avait pas trente-six familles qui se disputaient le titre de plus puissante de Corée et Eun-Ae était assez calée dans la politique intérieure pour saisir quelques indices. Néanmoins, malgré son aide et ses conseils, il n'y ai rien qu'elle puisse faire pour me soulager. La peine était immense, la colère également. Et le désespoir n'était pas loin. Une bataille d'envergure nous attendait encore Min-Ho et moi : faire tomber les Kim. Nous ne pouvions pas nous relâcher avant d'être parvenus à ce but. Mais... après ? Quel serait le but de mon existence après cela ?

Je fais remarquer à mon ex-fiancée que l'éloignement en Europe n'a pas suffi à me permettre d'oublier ou lécher mes plaies tranquillement. Mais il lui manque une information importante aussi...  Ma malédiction. Les choses alors beaucoup plus claires pour elle, plus évidentes. Mais je ne pouvais partager ce secret. Même si elle avait parlé de confiance... Je ne pouvais pas l'accorder à ce point. Elle tente de me rassurer en parlant de Ho-Seok et du vide qu'il a pu lasser à l'école. Un vide sans doute plus fort qu'au sein de son propre foyer... Je tique cependant quand elle évoque la mort possible de son meurtrier, qui ne changera rien et n'apaisera rien. « Il ne mourra pas si il se tient tranquille. Et je ne souhaite pas la mort de nos ennemis. Juste leur humiliation totale et la perte de tout ce qu'ils possèdent. » Ce qui pourrait m'apaiser ? Rien je suppose. Elle me propose pourtant une promenade et de parler de mes frères. Pour la balade, cela risque d'être compliqué, tant mes forces me font défaut. « Je regrette de ne pas m'être rapproché de Ho-Seok quand il était encore là... J'ai si peu de souvenirs en commun avec lui que c'en est pathétique. Il était plus proche de Min-Ho. Il avait aussi une liberté que nous n'avions pas... C'est son rire qui me manque le plus... Il serait devenu quelqu'un de bien. Quant à Min-Ho... Quelque part, cela nous a rapproché et j'ai découvert une autre facette de mon frère. Il est totalement dévoué. A moi. » Pas à notre famille. A moi. Et cela fait une énorme différence. « Je crois que le retour ici est plus difficile pour lui que pour moi... Tu as eu l'occasion de le voir ou lui parler depuis notre retour ? »

ft. Eun-Ae

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« Elle serait trop douce. » Je réponds rudement, sans avoir besoin de réfléchir. Je n'ai pas l'intention de décimer la famille Kim. Mais ruiner leur réputation sera déjà une grande satisfaction. Que le monde sache quel genre d'assassins ils sont. J'ai conscience qu'humilier un ennemi sans l'abattre expose à la vengeance. Mais encore une fois, cela ne m'atteint pas vraiment. Quand il s'agit de la mort de mon frère, la raison n'a plus vraiment sa place, je le sais. Même si nous essayons de garder la tête froide avec Min-Ho et d'élaborer un plan bien huilé, il y aura des failles... Que nous découvrirons peut-être à nos dépends. « Si ils avaient pu, cela n'aurait pas été un, mais trois enfants qui auraient été tués cette nuit là... » Ce n'est qu'un murmure. Mais le constat est là : éliminer tous les héritiers Jeon... Cela aurait pu réussir. Si Min-Ho n'avait pas été animagus, cela aurait fonctionné. Ou nous aurions été maudits tous les deux en plus de la mort de Ho-Seok.

Puisque je ne suis pas en état de me promener pour le moment, me remettant difficilement de mes blessures et de la nuit cauchemardesque que nous avons passé, je ne relève pas sa proposition, mais me laisse aller à parler un peu de mes frères comme elle m'enjoint de le faire. Et j'en arrive à un constat terrible : je ne connaissais pas bien mon petit frère et je commence seulement à me rapprocher du second. Les remords sont bien présents et la culpabilité ne me lâche pas à ce sujet. Je me suis conformé à ce que l'on attendait de moi, afin d'être le digne héritier de mon père, ne voyant pas vraiment mes frères comme tels, mais plutôt comme de futurs sujets qui sauront me servir comme il se doit. Le fait est que c'est bien le cas de Min-Ho, au delà des espérances de mon père je crois.

Eun-Ae rationalise mes regrets, bien entendu... Plus je l'écoute parler, plus je suis convaincu qu'elle aurait été parfaite à mes côtés. Elle avait ce qu'il fallait pour être une parfaite maîtresse de maison, une épouse dévouée et capable. Rassurante et bienveillante, tout en étant intelligente et capable d'analyse. Une vague de nostalgie et d'amertume sur ce qui a été et ne sera plus déferle en moi, mon visage se fermant encore davantage. Je l'interroge sur mon frère et ne suis pas étonné de savoir qu'il s'est rendu sur la tombe de Ho-Seok. Cette perte a encore été plus difficile pour moi que pour lui. « Je lui transmettrais l'invitation. » J'ignore si Min-Ho sera tenté par une petite discussion avec Eun-Ae, mais cela ne coûte rien de lui en faire part. Quant à moi... Je suis mitigé. J'ai autant envie de la fuir et la rayer de ma vie comme je me suis si bien employé à le faire jusque maintenant, qu'à la laisser revenir et quêter un peu de douceur et de nostalgie auprès d'elle, dans un moment de faiblesse sans doute dû à la fatigue et au climat particulier de notre retour.

Je hoche la tête à l'évocation de notre retour à Poudlard. Quitter pour une année supplémentaire ce climat froid et malsain... Me réfugier dans une culture différente et fuir mes problèmes. « Elles se passent bien. Nous sommes en avance sur leur programme. Plus... complets. Ils ont des horaires assez tranquilles, avec plus de temps libre qu'à Mahoukotoro. » Le rythme n'est clairement pas le même et c'est presque des vacances pour nous, acharnés de travail. J'ai une ombre de sourire à sa question : « Il fallait quelque chose qui me soit utile pour reprendre les affaires familiales. » Ce n'était en rien ce que j'aurais souhaité faire, mais je n'avais jamais eu non plus à me poser la question de mes propres aspirations... « Et quoi, quelle journaliste comptes-tu devenir ? Avide de scoop et de scandales ? Acharnée de vérité et de justice ? »

ft. Eun-Ae

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Je ne peux m'empêcher de souffler avec amertume quand Eun-Ae fait remarquer que nous sommes au moins assez nombreux pour assurer la pérennité de notre famille : « En effet. Nos parents s'y attellent avec zèle. » Si elle n'avait pas encore compris que cela me restait au travers de la gorge, il me semble que là il n'y a plus guère de doutes. C'est injuste de penser ainsi. Mais je songe aussi que je ne parviendrais pas à voir cet enfant comme mon frère ou ma sœur... J'ai largement l'âge d'avoir des enfants moi-même, même si ce n'est pas vraiment encore au programme. « Tu t'inquiètes trop pour moi. » Je lui dis cela, avec une voix un peu plus douce. Pour quelqu'un qui m'en veut de l'avoir abandonnée, elle est très compréhensive. Je serais beaucoup plus piquant à sa place, blessé dans mon ego avant tout. Il me semble avoir compris que ça été le cas pour elle aussi, mais il y avait de vrais sentiments entre nous. De l'amitié, de la complicité. Nous avion entamé notre relation dans le but de nous marier ensuite, d'être des partenaires dans la vie. J'ai tout balayé sans prêter attention à ses sentiments, renfermé dans ma douleurs, devant protéger mes secrets, convaincu qu'elle tirerait facilement un trait.

Grossière erreur.

Et pourtant, malgré ces mois ensemble, j'ai l'impression que tout est à recommencer, que je ne la connais pas vraiment. Et le travail de son côté est encore plus colossal alors que je ne lui oppose qu'indifférence et froideur. Je n'ai jamais été très chaleureux, mais depuis un an, cela s'est amplifié, par besoin de protection. Et paradoxalement, j'ai croisé des gens sincères, honnêtes, passionnés, qui se fichent des normes sociales, qui agissent comme ils le veulent, disent ce qu'ils veulent. Parfois pour le mieux. Parfois non.

Elle m'interroge finalement sur mes études et ma vie à Poudlard, changeant ainsi de sujet. Un sujet un peu moins lourd. « C'est passionnant de pouvoir trouver les failles et s'y engouffrer pour démonter tout un argumentaire tu sais. Mais je concède que les études en elles-mêmes sont un peu soporifiques. » C'est du bourrage de crâne, mais rien que je n'ai pas déjà expérimenté durant mes années à Mahoukotoro. Ses études sont sans doute un peu plus... vivantes ? Je ne la vois pas vraiment à se mêler des rumeurs et les colporter. Je pense qu'elle fera une excellente journaliste. « Il suffit d'énoncer des faits, avec des preuves. Libre ensuite à chacun de se faire son opinion... et d'en tirer sa vérité. » Et sans transition, elle parle de son aversion pour la façon dont refroidissent et ramollissent les beignets... Et contre toute attente, j'ai un rire. Bref, vite étouffé, mais un sourire flotte sur mes lèvres avec ce brillant argumentaire sur les beignets. « Je paierais cher pour voir ça. » Mon regard s'est quelque peu adouci. Je lui glisse un regard en coin quand elle avoue juste après que je lui ai manqué. Que dire à cela ? Je ne devrais pas ressentir une certaine satisfaction à son aveu... et pourtant, si, cela me fait plaisir d'avoir manqué à quelqu'un. Et je me rends compte que ce genre de relation, simple, m'a manqué aussi. Je soupire, avant de lâcher : « Je te demande pardon... D'être parti comme ça. De t'avoir ignorée. Tu ne méritais pas ça. Je m'en excuse sincèrement. » Premières réelles excuses que je lui formule. « Mais ce ne sera plus jamais comme avant... » Impossible. Trop de choses avaient changé. Moi le premier.

« Eun-Ae... Crois-moi, tu ne sais pas de quoi tu parles. Tu n'aurais rien pu faire. » Et je ne l'aurais certainement pas laissé prendre ma peine en ne sachant déjà plus qui j'étais et en craignant ce monstre nouvellement tapi en moi. « Ils ont autre chose... Mais je ne suis pas sûr que cela soit à ton goût. »

ft. Eun-Ae

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Eun-Ae se garde bien de faire le moindre commentaire sur la grossesse de ma mère et la façon dont mes parents se tournent vers l'avenir et font ce qu'il faut pour s'assurer qu'il reste des héritiers pour assurer la pérennité de notre famille. Quel besoin ? Il y a Min-Ho et moi, deux adultes en pleine santé. Alors pourquoi ce besoin d'absolument remplacer notre petit frère ? Je ne comprends pas. Et je ne veux pas comprendre. Mais il me semble percevoir une réaction désappointée chez elle, avant que nous ne changions de sujet et que je l'enjoigne de ne pas trop s'inquiéter pour moi. En réalité, elle a toutes les raisons de s'inquiéter, mais elle ne peut pas deviner à quel point. Sa sollicitude me touche, mais il sera difficile de lui cacher quoique ce soit si elle se met à m'observer et me surveiller. « Et tu crois que tu as de bonnes raisons me concernant ? » Je serais curieux de les entendre. De savoir ce qu'elle peut bien percevoir de moi actuellement. Est-ce que je parviens encore à donner un peu le change ou bien perçoit-elle cette fissure que je m'efforce de combler depuis un an mais qui me semble s'agrandir au fil du temps ?

C'est un peu plus facile de parler de Poudlard et de la vie là bas. Je n'ai pas besoin de m'impliquer émotionnellement, ni de chercher à les étouffer. Même si j'ai eu des moments de faiblesse et d'égarement, me laissant enivrer par cette atmosphère bien différente de Mahoukotoro, plus... libre. Libérée. « Très bien, je te le concède. Heureuse ? » Encore plus les lendemains de pleine lune d'ailleurs, où c'est un combat de chaque instant de ne pas sombrer durant un cours. Heureusement, il y en a de bien plus intéressants et interactifs que d'autres. « Cependant, certains professeurs arrivent à vraiment animer leurs séances. » Le plus intéressant étant quand il est question de débattre, d'argumenter. C'est intéressant de voir certains plaider une cause de façon passionnée, donc de façon très analytique. Il est possible de remporter un argumentaire par tant de moyens finalement.... L'émotion, la raison, la manipulation.

Ce qu'a choisi Eun-Ae n'est pas si éloigné finalement. Le journalisme demande de faire des recherches, de choisir soigneusement les mots à utiliser afin de toucher au maximum son public. Quel genre de journaliste sera-t-elle donc ? Je la vois bien se battre pour des causes perdues, se faire la voix des minorités et dénoncer les injustices... Eun-Ae a du cœur, je n'en ai jamais douté. Et de l'humour alors qu'elle me fait rire en évoquant un sujet totalement incongru. Je sens une complicité renaître entre nous, alors qu'elle m'avoue lui avoir manqué. Je ne sais que faire de cette information. Ma raison me pousse à la rejeter maintenant, avant qu'elle ne s'attache de nouveau... Mais je n'y parviens pas. Sa présence, sa douceur, réchauffent mon âme, sont un baume sur mon cœur meurtri. Elle repousse temporairement les démons de la nuit. Il aurait été facile de lui opposer une réponse froide pour la dissuader. Mais non... Je m'excuse de l'avoir fait souffrir ainsi, tout en soulignant que les choses ne pourront pas reprendre leur ordre d'avant mon départ. Ce qu'elle semble comprendre.

Je ne peux ensuite que lui avouer que de toute façon, elle n'aurait rien pu faire. S'il n'y avait eu que la mort de Ho-Seok... Peut-être que sa sollicitude aurait pu pénétrer la tristesse. Mais pas quand j'ai été changé si radicalement, avec la peur de moi-même. « Je n'ai laissé personne approcher. Pas même Min-Ho. » C'est un simple constat. Et de nouveau, le sujet s'allège, concernant la nourriture des anglais. « C'est... fade. » Et cela a parfois des textures un peu étranges et des associations bizarres. « Oh, je viens de m'éviter une humiliation. Pré-au-Lard. » Je corrige doucement. Je ne me propose pas pour l'aider, ne saisissant pas la perche tendue, peu désireux de passer trop de temps avec elle, qui me fait dangereusement baisser ma garde. « Difficile de t'oublier quand tu t'échines tant à revenir dans ma vie. » Je soupire. « Très bien, je t'aiderais. » Puisqu'il semblerait que sa volonté soit inébranlable. Et je n'ai pas la force de me battre aujourd'hui.

ft. Eun-Ae

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Je ne faisais pas du tout illusion auprès d'Eun-Ae en tous les cas... Éteint... C'étaient ses termes. Et ils ne pouvaient pas être plus justes. Comment s'en étonner alors que la seule source de lumière de la famille avait été éteinte de la plus odieuse des façons ? Et que j'avais plongé dans les ténèbres également ? Sans compter que cette nuit, Min-Ho et Hyun-Ki avaient basculé eux aussi en usant d'impardonnables pour accomplir notre vengeance... De là à penser que la famille était maudite, il n'y avait qu'un pas. Je savais bien que je ne devais pas me laisser envahir ainsi par le désespoir. Je me battais pour Ho-Seok, pour lui faire justice, pour maintenir également les apparences pour l'honneur de notre famille. Mais l'image parfaite des Jeon se craquelait au fil du temps et des épreuves, alors que nous ne trouvions aucun soutien de la part de nos parents, du reste de la famille. Il n'y avait que Min-Ho et moi. Et Hyun-Ki par extension et par accident. Je ne l'aurais pas impliqué si cela n'avait pas été absolument nécessaire.

Parler des études est un sujet neutre et plus léger et je réponds davantage facilement à ses sollicitations. Je me suis lancée dans un parcours qui ne me passionne pas mais qui sera utile pour ma famille et moi-même. Eun-Ae, elle, semble avoir suivi davantage ses aspirations. Et quelque part, cela colle bien à sa personnalité. « Allons, comme-ci tous les journalistes vérifiaient leurs sources et ne colportaient pas des rumeurs. » C'est une petite pique sans conséquences, bien que je n'ai pas toujours une très haute opinion de ce corps de métier, qui a tôt fait de lancer des rumeurs sur des bases de quelques photos ou de témoignages anonymes. Les Jeon en ont déjà fait les frais par le passé, et cela continuera. Nous avons pu lire des inepties et des horreurs concernant le drame qui a plongé notre famille dans le chaos. J'espère sincèrement qu'Eun-Ae sera plus brillante et intègre que cela.

Même si le doute est permis alors qu'elle plaisante concernant un sujet aussi ridicule que les beignets et arrive à m'arracher un rire... Je ressens un doux sentiment de nostalgie alors que notre complicité réapparaît brutalement, quand ma garde est baissée par l'épuisement et que je ne parviens plus vraiment à garder haute la muraille qui protège qui je suis devenu... Je ne peux que lui avouer être navré de l'avoir blessée ainsi, de l'avoir tenue loin de ma vie, durant cette année. Je ne regrette pas de l'avoir fait, je pense sincèrement avoir agi de la meilleure manière possible pour nous protéger tous les deux, mais j'ai sans doute mise trop facilement de côté ce qu'elle pouvait ressentir. Pour autant, je ne peux la laisser reprendre sa place... Eun-Ae rêve de faire la fierté de sa famille et se doit d'épouser un homme riche et haut placé. Pas de s'enchaîner à un loup-garou à la position précaire. J'ignore même ce qu'elle peut penser de cette abomination en vérité...

Devoir lui cacher cette vérité rend les choses plus complexes à comprendre pour elle, fatalement. Peut-être aurait-elle pu me soutenir lors d'un deuil... S'il n'y avait eu que ça... « Tu es tenace. » Ou butée. Peu importe le terme. Elle est déterminée et ne lâche pas facilement l'affaire. C'est une qualité que j'apprécie chez elle en temps normal. Moins quand cela me force à lui faire face, surtout alors que j'ai juste envie de profiter simplement de sa présence apaisante, au lieu de vouloir la faire fuir comme je devrais le faire pour notre tranquillité à tous les deux. C'est aussi pour ça que je ne refuse pas de l'aider à comprendre l'école dans laquelle elle va bientôt me rejoindre. Je cille quand elle pointe du doigt de la chaleur existant encore derrière cette muraille que j'ai pu érigé au fil des mois. Je n'étais déjà pas très expressif avant, mais c'est devenu bien pire. « Tu es trop têtue pour moi aujourd'hui. » Je rends les armes alors qu'elle s'installer et que je ferme les yeux... Pour les rouvrir, avec un air un peu outré quand elle me propose de me ramener par transplanage. « Tu es vexante, tu sais. » Sauf qu'elle marque un point et que ma fierté le dispute à la raison. Je ne suis pas en forme pour faire une petite balade actuellement. Mais je n'ai pas envie de rentrer chez moi pour autant. Sauf qu'on ne fait pas toujours ce qu'on a envie. Jamais en vérité. Surtout dans ma position. « Encore quelques minutes. Je profite du calme ici. » Calme qui ne règne plus chez moi malheureusement. J'ai le cœur agité et rien ne saurait l''apaiser, mais actuellement, je préférerais mille fois retourner à Poudlard et reprendre les cours que passer encore des semaines ici. Est-ce que la réapparition d'Eun-Ae dans ma vie rendra ces semaines plus douces ? Peut-être. Mais elles les rendront aussi plus angoissantes à la rentrée. Pourquoi ai-je accepté de l'aider ?

ft. Eun-Ae

I'm a stranger now

Cette pleine lune a un goût amer. La dernière, j'ai pu profiter d'une certaine liberté, la dernière avant de retourner à l'école. Si celle de début août a été sanglante, celle de la fin de mois a été presque libératrice. Première fois que le loup pouvait fouler l'herbe, se faufiler dans les bois. Avec la potion, aucun risque que cela dérape. Mon regret ? Que Min-Ho ne soit pas là. Mais il était occupé à confondre les Kim avec notre prise, tandis que j'étais absent pour mener des négociations avec les Gimhae. Une excellente couverture pour masquer ma nature. Durant ces deux mois, je n'avais pas trouvé le courage, ni pertinent, d'informer mes parents de ma nature. Finalement, mon frère et moi retournerions à Poudlard en gardant ce secret. Cela lui convenait bien, il n'était pas vraiment disposé à voir nos rôles changer. Il était heureux d'être mon ombre. Il avait davantage de liberté aussi.

Mais cette nuit... Retour aux cachots. Au moins puis-je profiter de la présence de Min-Ho, même si je lui ai assuré qu'il n'était pas obligé de rester toute la nuit. On dirait que cela lui tient à cœur. Je peux me débrouiller, mais sa présence demeure un réconfort certain dans le douloureux processus de la transformation et dans ces nuits si longues. Surtout que l'automne s'est installé, les jours raccourcissent... les nuits rallongent. Le temps passé sous forme de loup aussi. Mais cela m'horrifie moins qu'il y a un an... Est-ce que j'accepte davantage ma nature ? Peut-être. Que mon frère agisse totalement normalement avec moi m'aide sans doute à ne pas trop m'y accrocher et dramatiser tout ça.

J'ai somnolé une paire d'heures durant la nuit, mais la transformation nécessite énormément d'énergie, davantage que je n'en ai en réserve malgré les potions diverses que Min-Ho me fait ingérer. Heureusement, c'est samedi aujourd'hui, une journée moins chargée qu'en semaine. Cela me permet de ne pas avoir à me concentrer sur des cours alors que j'ai le cerveau embrumé et le corps endolori. J'erre quelques minutes dans les couloirs immenses du vieux château, avant d'opter pour l'extérieur. Mes pas m'entraient près d'une des alcôves extérieures de Poudlard. J'hésite un peu, quand une voix féminine et douloureusement familière résonne dans mon dos.

Eun-Ae.

Sa présence ici n'est pas sans incidence. Elle s'est rapprochée de moi, grappillant un peu de mon attention et de mon temps libre. J'ai tenu ma promesse de lui montrer un peu le château et son fonctionnement. Je n'ai pas été surpris qu'elle soit envoyée chez les Serdaigle. Cela lui correspond totalement. « Bonjour à toi aussi, toujours un plaisir de te voir. » Je rétorque, un peu acerbe, alors qu'elle fait une remarque peu obligeante sur ma tête. Un lendemain de pleine lune, cela n'a rien d'étonnant. Je m'assois de toutes façons sur le banc de pierre, alors qu'elle est partie je ne sais trop où. A ma grande surprise, elle revient avec... une bassine ? Je reste pétrifié quand elle le pose sur mon front. Est-ce que j'ai de la fièvre ? Ce ne serait pas impossible. Même si je sais d'où ça vient et que cela n'est que temporaire. La fraîcheur est salvatrice. Mais bien sûr, viennent les questions gênantes. « J'ai peu dormi cette nuit, rien d'inquiétant. Ça ira mieux demain. Et si j'ai attrapé froid, cela passera. » J'ai un sourire léger. « Au pire, Min-Ho me donnera de quoi le faire passer. » Mon frère est extrêmement doué en potions après tout, elle le sait. Je pose ma main sur la sienne pour récupérer le linge et plonge mes yeux dans les siens : « Tu t'en fais trop... Qu'est-ce que tu fais par ici d'ailleurs ? » Est-ce un hasard, ou elle me cherchait ?

ft. Eun-Ae

I'm a stranger now

J'ai un sourire sarcastique quand elle me demande ce qui m'a empêché de dormir cette nuit. Ce serait facile de lui dire que c'est à cause de la pleine lune. Une semi-vérité, mais ce serait lui apporter un indice qui pourrait bien me porter préjudice, alors qu'Eun-Ae est loin d'être stupide. Je sais que la lune agit beaucoup sur la nature et les gens. Mais là, ce serait lui donner des indices... Déjà que l'attaque ai eu lieu une pleine lune... heureusement que l'information que l'assassin était un loup-garou n'a pas fuité. Tout deviendrait alors beaucoup plus clair finalement. Et mon secret serait davantage en danger encore. « Je réfléchis trop. Parfois, je ne trouve pas le sommeil ou que quelques heures. » Je suppose qu'elle peut comprendre que ma situation familiale n'a rien d'idéale et que cela peut me travailler la nuit. Ce qui n'est pas entièrement faux. « Je sais. Je fais attention. » Si elle savait... Combien de potions je peux ingurgiter pour essayer d'améliorer un peu ma condition, ou bien d'onguents. Elle serait effarée. En réalité, elle a toutes les raisons d'être inquiète, mais rien ne peut vraiment être pire qu'être un loup-garou. « Qui te dit que je t'aurais laissée faire ? » Je rétorque, un peu amusé malgré tout par sa façon de se montrer un peu extrême. Quand même, Sainte-Mangouste pour une nuit d'insomnie, c'est bien cher payé. « Laisse donc Sainte-Mangouste aux vrais malades. »

Je l'observe s'installer à côté de moi, plutôt qu'en face, récupérant le linge qu'elle me tend, sans pour autant me l'appliquer, écoutant simplement sa réponse. Ah, sa présence n'est effectivement pas le fruit du hasard. Elle me cherchait pour passer du temps ensemble, tout simplement. C'est difficile de la rejeter et de la tenir éloignée quand elle s'acharne autant à vouloir passer du temps avec moi. Par amitié. Et j'ai conscience de gravement en manquer... Je n'ai personne. Hormis mon frère. Je ne me suis réellement lié à personne ici, restant toujours sur mes gardes et ne laissant pas les élèves approcher. De toute façon, je crois qu'ils n'ont pas envie, alors que j'instaure une distance naturelle appréciable pour ma tranquillité. La dernière fois que quelqu'un a approché de près... C'était de beaucoup trop près. Je retiens une grimace face à mes égarements. Je n'en suis pas fier, clairement.

« Je te rappelle que tu as parlé de ma tête de déterrée avant même que je ne te vois. Alors non, je ne simule pas. » Et ce n'est pas vraiment mon genre non plus. Même si elle me prend pour un lâche d'avoir fui comme ça, ce n'est pourtant pas dans mes habitudes de fuir les problèmes. « J'ai besoin d'un café surtout. Je ne vais pas m'écrouler. » J'ai l'habitude des lendemains de pleine lune. C'est sans doute plus salvateur pour moi de marcher et dégourdir mes muscles endoloris que de rester à me morfondre sur les douleurs qui demeurent et vont s'estomper. « Je ne suis pas en sucre tu sais ? » Je lance, un peu amusé malgré tout. Même si j'ai failli lui dire qu'elle n'était pas ma mère. Non en effet. Elle est bien plus prévenante que ma génitrice et s'inquiète davantage pour moi qu'elle ne l'a jamais fait. Durant ces deux mois en été, mes parents n'ont rien remarqué de ma fatigue ou de mes tourments. Je veux bien penser que je sais très bien dissimuler ce que je ressens... Des parents attentifs y auraient sans doute prêter attention. Quelque part, si cela m'arrange... Cela me peine également, ne faisant que renforcer cette idée de n'être qu'un pion, un héritier, et rien d'autre... l'envie de leur jeter au visage ma malédiction a été forte à certains moments, juste pour le plaisir de les déstabiliser et envoyer valser leurs plans.

Mais la raison m'a toujours retenue. Je n'ai jamais cédé à l'impulsivité.

Mon estomac se met à gronder, venant quelque peu balayer mon affirmation que je n'ai besoin que d'un café. « Bon peut-être un sandwich... » Mon appétit a augmenté depuis ma morsure, mais surtout juste avant et après la pleine lune. « Et pourquoi cherches-tu spécialement ma compagnie aujourd'hui ? »

ft. Eun-Ae

I'm a stranger now

« J'en doute... » Je pince les lèvres, avant de consentir à lâcher quelques bribes d'informations : « A ma place au sein de ma famille... Normalement, je ne devrais concevoir aucun doute, bien entendu. Mais la grossesse de ma mère... » Oui, cela chamboule beaucoup de choses alors que je prends conscience que nous n'avons aucune valeur sentimentale finalement. Cela n'aurait pas du me mettre dans cet état mais... Le fait est que c'est difficile à digérer et la réaction épidermique de Min-Ho me conforte dans ce sens. Bien sûr, je ne demande pas à Eun-Ae d'y aller de son opinion, c'est un terrain dangereux pour elle. Elle est trop intelligente pour ça... Quand bien même de la sincérité serait possiblement appréciée parfois. « Un an à côtoyer une autre culture ici, d'autres personnes amènent un éclairage différent sur notre situation et cela soulève quelques questions. Que j'aurais aimé ne pas avoir à me poser. » Ce ne sont que des vérités, même si la cause principale ne peut être évoquée. Mais comme elle l'a dit si souvent depuis qu'elle est revenue dans ma vie, elle est une amie avant tout n'est-ce pas ? Voyons à quel point ceci est réel ou juste une façade. Faire confiance est difficile, même envers elle, alors qu'objectivement, elle ne m'a jamais trahi.

Je dois mentir en revanche pour ce qui est des potions, parce que j'en use et abuse, mais elle ne comprendrait pas cet usage intense sans connaître ma situation de loup-garou, en proie aux expérimentations de son frère. Il n'est pas question d'aller à Sainte-Mangouste. J'ai tout de même un sourire quand elle me défie : « A moins que tu ai subi un entraînement intensif, je peux affirmer que tu ne peux pas ma maîtriser. » Du moins, pas de façon loyale, c'est certain. Elle a probablement des armes qui seraient capables d'avoir raison de moi.

Elle m'apprend alors qu'elle me cherchait, même si je dois désamorcer sa suspicion de simuler un malaise pour lui échapper. « Pas à ce point. » Si je sais dissimuler mes émotions, je sais beaucoup moins les simuler et cela, elle doit bien le savoir. J'ai tout de même un rire quand elle rétorque avec esprit que je suis trop salé pour être en sucre. J'ai toujours aimé ça chez elle : sa répartie. Elle n'a pas changé sur ce point déjà. J'accepte sa compagnie et manger un morceau. Je me lève et lui emboite le pas, un peu raide de mes muscles endoloris et malmenés par la transformation alors qu'elle continue de parler tranquillement. Elle est juste... Normale. Réconfortante dans un sens. Une ancre solide. « Ne me dis pas qu tu ne te fais pas d'amis, tu es trop sociable pour ça. Et tu s toujours ta sœur avec qui passer du temps. » Mais non, ce ne sont que de fausses excuses pour être en ma compagnie, je le comprends bien.

J'ai un moment de réflexion quand il est question d'un endroit préféré où me promener. « Les abords du lac sont reposants. Tu sais, je crois qu'en un an ici, je ne connais même pas toutes les pièces, ni les recoins de ce château... Je ne m'y suis pas intéressé spécialement non plus. » Je réfléchis, avant de rajouter : « Sinon, il y a toujours la salle sur demande. Très pratique pour ne pas être dérangé et être là où on a envie d'être. »

ft. Eun-Ae

I'm a stranger now

J'ai un sourire amer à la réponse prudente d'Eun-Ae. L'ironie là dedans c'est que je ne suis pas censé être un simple pion, pas quand je suis censé maîtriser l'échiquier à un moment donné. Mais si j'avais encore des doutes sur le fait que pour le moment, c'était mon père qui régnait d'une poigne de fer sur la famille Jeon, je n'en ai plus aucun. Je dois me plier aux exigences du patriarche, et ne pas me rebeller. Un concept que Min-Ho a eu tendance à oublier, me laissant seul avec cette charge supplémentaire. J'ai bien cru que la façon de nous comporter face à ça nous avait de nouveau séparé, mais non, heureusement. J'ai déjà perdu un frère, je ne suis pas certain de supporter la perte du seul qu'il me reste. Même si un autre va venir agrandir la famille. « Je pensais l'être... Mais cela m'affecte davantage que ça aurait du. » Finalement, ce serait bien plus facile de ne rien ressentir. Je n'aurais pas à réfléchir à la meilleure façon de faire mon devoir... « J'ai l'impression que quitter la Corée si longtemps et fréquenter d'autres mentalités ne me laisse pas indemne. » j'ai plutôt bien géré la mort de Ho-Seok et ma transformation l'an dernier, encaissant tout sans rien montrer. Mais je me ramollis au contact de ces européens qui sont bien trop ouverts et francs... Si cela continue, je ne saurais plus jouer le jeu de mes parents et donner le change. « Douter, c'est prêter le flanc à la vulnérabilité. Je ne peux pas me le permettre. » De par ma position d'aîné, de par ma condition dont elle ignore tout. Je ne peux pas être faible.

Je mense cependant allègrement quand il est question de potions pour améliorer ma santé. Je ne veux pas l'inquiéter et rien ne justifie d'en consommer autant sans une excellente raison que je ne peux lui dévoiler de toute façon. Donc autant mentir. Et tourner cela en dérision, en parlant de ses capacités à me forcer à aller à Sainte-Mangouste, par la force physique du moins. Je mets très clairement en doute ses capacités à ce sujet. « Une chance en effet. » Je commente avec un sourire en coin. Je serais curieux de la voir essayer cependant.

Elle me confirme ensuite qu'elle me cherchait pour passer un peu de temps avec moi. Cela a le mérite d'être clair. Mais depuis qu'elle est revenue dans ma vie, Eun-Ae ne se cache pas de rechercher ma compagnie. Il n'a jamais été question qu'elle vienne faire ses études ici pour que nous nous comportions comme deux étrangers, elle a été très claire là dessus. Et cela ne sert à rien de la fuir, sinon aiguiser davantage sa détermination à me poursuivre et à chercher pourquoi je l'esquive. Alors autant faire avec. J'accepte donc sa proposition de déjeuner ensemble, lui emboîtant le pas vers les cuisines. Je fais cependant remarquer qu'elle doit bien s'être fait quelques amies, avec son charme naturel. « Les connaissances deviennent des amis si tu leur accordes du temps justement. » Je soupire, tiquant à la mention de sa sœur : « Trop à faire ? » Son ton m'interpelle.

Une fois les vivres récupérés, elle me demande quel endroit m'est familier ici. Cela ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde, alors qu'elle opte cependant pour la salle sur demande. Je la conduis dans le dédale de couloirs, jusqu'à ce qu'elle fasse apparaître la porte et que nous la franchissions. Je m'arrête de marcher net en voyant le décor, le cœur douloureux. Qui n'a pas de souvenirs près du fleuve ? J'en ai avec mes frères, peu, mais tout de même. Et j'en ai avec elle. Entre autres. « Tu as le mal du pays. » Ce n'est pas une question. « Je doute que tu souhaites ma compagnie pour me regarder dormir. » Je m'assois à côté d'elle, moins souplement que je l'aurais souhaité, les muscles encore raides et un peu douloureux. Mon regard balaie le décor ainsi reconstitué par les soins d'Eun-Ae... J'oscille entre la nostalgie et le soulagement. J'aime mon pays. Pas ce que je suis censé y faire. « Parfois je regrette mon état d'esprit d'avant... » J'avais déjà de lourdes responsabilités, mais en un sens, j'étais encore inconscient de la dureté de la réalité. J'étais juste un riche héritier, un parti très convoité. Il me suffisait de faire un beau mariage. C'était ma préoccupation. Être brillant, charmant, profiter de cette popularité pour me faire des relations... C'était simple. Et c'était terriblement factice.

ft. Eun-Ae

I'm a stranger now

Alors, en réalité, il était facile d’être insensible aux autres, quand les autres étaient des murs qui ne laissaient rien paraître. Ou que ne les laissait pas approcher. C’est ce qu’il se passait avec ma famille, par exemple. Et à Mahoukotoro, j’étais entouré, adoré, convoité, mais pour mon statut. Pas pour qui j’étais réellement, une personnalité que je ne laissais pas voir, alors que tout était entièrement dévoué à ma famille et au rôle que je devrais y jouer ensuite. Saut que j’avais chuté de mon piédestal. Que je n’étais plus vraiment digne de diriger la maison Jeon et que le masque parfait s’était fissuré sous les coups de griffes de la bête, lune après lune. Maintenir les apparences était de plus en plus difficile, alors que tout ce qui avait fait mon éducation tombait en lambeaux, désillusions après désillusions… Elle me corrige quand je parle de ma vulnérabilité que je ne peux pas me permettre… Ah… Si seulement je pouvais en privé, mais cela demeure difficile de lâcher prise et je ne suis pas sûr d’apprécier. Je l’ai fait quand nous avons capturé l’assassin de Ho-Seok et j’ai bien failli perdre complètement la tête et le tuer en le rouant de coups à mort. Sans compter ces larmes que je ne m’étais pas autorisé à verser. Non vraiment, me laisser aller ne me réussit pas. « Tu veux dire que je peux en privé ? Avec toi, par exemple ? » Il est évident qu’elle serait prête à recueillir cette fragilité. Mais je ne suis pas prêt à le lui confier. Je lui parle déjà trop pour mon propre bien.

Elle botte en touche quand je lui dis de passer du temps avec ses connaissances afin d’en faire des amis et qu’elle me rétorque que c’est déjà ce qu’elle est en train de faire… je lui ai dit que je n’étais plus vraiment le même… Sommes-nous donc deux étrangers qui apprennent à se connaître ? oui probablement… Elle n’a pas tort en effet et malgré moi, cela m’arrache un sourire face à ce trait d’esprit. Son esprit… C’est ce qui m’a séduit chez elle autrefois, ce qui a pu faire la différence avec les autres… Ce qui a fait que notre relation était en passe de devenir réellement officielle et que c’était acquis pour tout le monde qu’elle serait la future Me Jeon. Le destin en a décidé autrement.

J’évoque sa sœur et Eun-Ae me fait part de ses doutes concernant une future union avec Zack. Un léger sourire flotte sur mes lèvres. Alors comme ça, ça conspire pour marier la cadette tandis que l’aînée est encore sur la touche ? Qu’est-ce qu’ils attendent pour lui trouver un parti à sa hauteur ? « Il y a pire. Et je ne dis pas ça parce que c’est mon cousin. » D’ailleurs, de tous les Gimhae, c’est celui qui a la plus haute estime de son Sang Pur. Celui avec lequel j’ai plus de points communs, quand Matthew et Ayden sont davantage… libres, va-t-on dire. Et la question de demander si elle a des prétendants me brûle les lèvres, mais je n’ose la poser, de peur de la réponse. Objectivement, ce serait normal. Mais sincèrement, cela me dérangerait… C’est contradictoire.

Et peut-être qu’elle n’est pas vraiment prête à tourner la page alors qu’elle nous envoie directement près du fleuve Han dans la salle sur demande, même si elle se défend que ce soit lié à nos rendez-vous. Il est évident qu’elle a le mal du pays. « C’est normal, il faut le temps de t’acclimater. » Et contrairement à nous, elle n’est pas ici pour se mettre en sécurité, donc par nécessité. « Pas très intéressante comme compagnie. » Elle se contente de peu. Je prends place près d’elle et… j’ignore si c’est la fatigue, le cadre familier, elle, ou l’ensemble, qui me fait parler. « Mais peut-être que celui que je suis devenu ne vaut pas celui que j’étais… » Je souffle, le regard perdu dans le vague, alors que mes doigts se crispent sur l’herbe. Je suis devenu un loup-garou, un moins que rien, un être maudit, haï, craint… Son injonction me sort de mes pensées peu encourageantes, alors que je me saisis de la nourriture et mords dedans à pleines dents, avec un appétit certain. Plus qu’avant. Normal au vu de ma condition. A son anecdote, j’ai un rire plus sincère. « Je suis encore surpris que tu ai eu besoin d’elle pour te donner du courage et me parler. » Je hausse une épaule quand elle ajoute que la jeune femme avait espéré une alliance entre nous. « Elle ne m’a jamais intéressé. Elle faisait une chandelle très efficace. » J’ai un sourire, avant de l’observer. « J’ai aimé ta vivacité d’esprit ce jour là. Ta façon de t’exprimer. Ta maturité. Cela a fait la différence. » Avec toutes les autres. Au-delà du fait qu’elle a beaucoup de charme. Mon regard quitte de nouveau le sien pour se perdre dans le fleuve. Pourquoi je lui dis ça ? Cela n’a plus aucune importance maintenant… Mais au moins sait-elle que je ne me suis pas fichu d’elle à l’époque. Ma fuite était vraiment liée aux circonstances… pas à elle.

ft. Eun-Ae